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Réconcilier agriculture et environnement en Wallonie? La solution unique n’existe pas, il faut combiner différentes agricultures

Pour Philippe Baret, scientifique et professeur à l’université catholique de Louvain, Faculté des bioingénieurs, le modèle agricole unique et idéal n’existe pas. Pour réconcilier agriculture et environnement, il sera nécessaire de passer par une combinaison équilibrée de systèmes qui permette un compromis entre productivité et protection de l’environnement. Le modèle agricole du futur est fait d’une multitude d’agricultures...

Temps de lecture : 8 min

Le professeur commence par un constat : l’agriculture d’aujourd’hui est en crise et marquée par de nombreux paradoxes et une grande diversité de systèmes.

Un modèle agricole doublement en crise...

Une situation empreinte de son histoire : « Nous avons hérité notre modèle agricole du 20e siècle. Il nous vient de l’après-guerre et a conduit à une abondance alimentaire, une nourriture à prix très bas et un accroissement du bien-être des agriculteurs et agricultrices », explique Philippe Baret.

Malheureusement, aujourd’hui, ce modèle subit une double crise : écologique et de croissance. En effet, l’agriculture est le secteur qui a le plus d’impact sur le changement climatique. « Elle doit à la fois s’adapter à ce changement mais aussi et surtout trouver des solutions pour ne pas y contribuer ».

Par ailleurs, on assiste à une modification de la structure des exploitations, avec beaucoup moins d’agriculteurs mais beaucoup plus d’animaux et de surfaces par exploitation. Ce modèle à grande échelle repose sur une logique technique de simplification et d’efficacité aidée par les innovations dans des domaines tels que la mécanisation, la fertilisation, l’amélioration variétale ou encore la phytopharmacie. « L’objectif de tout cela est la double intensification : de la terre et du travail. On veut accroître les rendements tout en simplifiant le travail et agrandissant les fermes. Aujourd’hui, un agriculteur nourrit beaucoup plus de personnes qu’il n’y a 50 ans. Attention, je ne suis pas en train de dire que cela est bien ou mal. Par contre, j’insiste sur le fait que quelque chose se passe et que cela n’est pas forcément bien géré. Nous ne savons pas ce qui va se passer si cela continue. Quel sera l’impact sur l’économie, l’écologie, le bien-être des agriculteurs ? », dit-il.

... et mondialisé

La révolution des transports a également eu pour conséquence la mondialisation de ce modèle agricole. « Le même modèle de production se déploie à l’échelle mondiale, sous l’influence de la standardisation des produits et des grands groupes de l’agrofourniture et de l’agroalimentaire. C’est génial, on peut exporter, mais on est aussi en compétitivité permanente et très dépendant des modes de consommation. La plus value obtenue auparavant par l’agriculteur pour la spécificité de son produit ou sa destination a été transférée vers l’agroalimentaire. Aujourd’hui, le même produit sert à tout faire. La plus value n’existe plus et l’agriculteur fait son revenu en augmentant ses quantités », détaille-t-il.

« L’agriculteur qu’on stigmatise n’est pas toujours maître de son destin. C’est le système qui a changé, ce ne sont pas les agriculteurs. »

L’agriculture, c’est tendance et varié

Il fait un autre constat : « Notre modèle agricole est en crise, pourtant on observe un engouement pour l’agriculture… mais pas la même ! En France 30 % des fermes classiques n’ont pas de repreneurs. Par contre, 30 % de Nima (non issus du milieu) se lancent dans des modèles alternatifs », dit-il. « Il existe une véritable polarisation ‘conventionnelle, répugnant et polluant’ contre ‘alternatif, beau et attirant’. Ce n’est pas du tout correct car chaque agriculteur est différent. Les enjeux sont ne sont pas les mêmes et l’agriculteur qu’on stigmatise n’est pas toujours maître de son destin. C’est le système qui a changé, ce ne sont pas les agriculteurs. Dans ces conditions parler de modèle agricole est donc une simplification. Aujourd’hui, il y a une diversité de modèles qui donne une multiplicité d’options. On peut penser à l’avenir sans rentrer dans une logique de polarisation. », affirme le scientifique.

Le cas de la production laitière

Il illustre ses propos par la thèse de Thérésa Lebacq qui a tenté de comprendre comment on produisait du lait en Wallonie. « 4 façons de produire du lait ont été mises en évidence : deux sur prairie – soit intensive, soit un peu plus extensive – et deux basées sur un mélange herbe/maïs. Il est intéressant de constater que ces 4 modèles, aux impacts économiques et environnementaux différents et dont aucun ne s’en sort parfaitement, coexistent en proportion semblables. L’un des modèles dégage un bon revenu mais est moins bon environnementalement. Un autre se distingue plus particulièrement par ses performances environnementales mais n’atteint pas le revenu du premier. Il est en effet illusoire de croire en une double performance économique et environnementale qui nous permettrait de continuer à produire comme aujourd’hui tout en améliorant notre efficacité environnementale. Ça n’existe pas, mais ce n’est pas grave et on peut trouver des compromis, c’est ce que fait l’agriculture depuis des siècles : des compromis entre sa durabilité, sa productivité et son revenu ».

En ce qui concerne les modèles moins efficaces et notamment le second en mélange maïs et herbe, plusieurs options de progression s’offrent à l’agriculteur : « Il peut tout d’abord opter pour le gain d’efficacité c’est-à-dire qu’il reste dans le même système mais avec un meilleur calcul de ration, une fertilisation plus raisonnée et une diminution de l’usage des antibiotiques. Un autre choix est la substitution d’intrants avec par exemple un passage du concentré à l’herbe, des engrais synthétique aux engrais organiques ou des antibiotiques à l’homéopathie. La dernière option, d’est la reconfiguration, c’est-à-dire qu’on repense totalement le système et le modifie en profondeur ».

Pour la Wallonie, le chercheur propose une approche prospective,  c’est-à-dire d’essayer d’établir un nouvel équilibre entre les différents  modèles agricoles au sein d’une filière.
Pour la Wallonie, le chercheur propose une approche prospective, c’est-à-dire d’essayer d’établir un nouvel équilibre entre les différents modèles agricoles au sein d’une filière. - DJ

Agir au sein de la parcelle, de la ferme et du système

Et pour la Wallonie et l’utilisation des pesticides ? Actuellement, on est dans une logique d’efficacité et de réduction des intrants. « Zéro phyto, moins d’engrais chimiques, moins d’alimentation animale importée… C’est bon pour la santé, pour le changement climatique… Mais jusqu’où cela sera-t-il possible », interroge Philippe Baret.

Pour lui, utiliser moins d’intrants reste néanmoins important pour l’agriculteur : « pour le gain économique que cela représente mais aussi pour la diminution des risques pour sa santé et la restauration de son image. C’est également essentiel pour la société car cela engendre moins de coûts en dépollution et en santé publique, une meilleure valorisation des produits wallons et une moindre dépendance aux importations. On travaille ainsi sur une approche système à plusieurs niveaux. On peut, dans un premier temps, agir à l’échelle de la parcelle et améliorer son efficacité, utiliser de nouvelles pratiques ou encore de nouvelles combinaisons. L’échelle de la ferme est également à prendre en compte. Il faut penser à sa marge brute : on peut produire moins et en même temps gagner plus en jouant sur les coûts. Il est aussi important de retrouver un pouvoir de décision au sein de la ferme, pour l’utilisation des pesticides, le choix des intrants… pour lesquels le conseil privé et commercial a parfois pris le pas sur le publique. Enfin, il faut agir à l’échelle des systèmes, se construire un cadre et faire des alliances ».

« Il n’existe pas de bon ou de mauvais modèle. En gardant toutes les possibilités et en changeant leurs proportions, on peut tout à fait s’améliorer ».

Nouvel équilibre entre les modèles

Pour la Wallonie, il propose une approche prospective, c’est-à-dire d’essayer d’établir un nouvel équilibre entre les modèles au sein d’une filière. Il se prête à l’exercice pour les céréales et fait d’abord l’état des lieux : « En Wallonie, on produit annuellement environ 1 million 700 mille tonnes de céréales dont 37 % vont à l’alimentation animale, 9 % à l’alimentation humaine, 37 % sont destinés à des usages divers (énergie, coproduits…) et 17 % sont exportés. Ces céréales sont produites selon 4 modèles : l’agriculture conventionnelle raisonnée, écologiquement intensive et biologique. En fonction du modèle, le rendement à l’ha n’est évidemment pas le même ».

Actuellement, en production de céréales, l’agriculture conventionnelle occupe 20 % des surfaces mais contribue à 30 % des impacts alors que l’agriculture écologique et biologique occupent 10 % des surfaces et contribuent à 2 % des impacts. Il suggère une réorganisation et une évolution de cette répartition : « Il n’existe pas de bon ou mauvais modèle. En gardant les 4 possibilités et en changeant leurs proportions, on peut tout à fait s’améliorer ».

Il présente un premier scénario, dit tendanciel. Celui-ci repose sur la disparition du modèle conventionnel. L’agriculture raisonnée reste par contre majoritaire tandis que l’écologiquement intensif et le bio se développent légèrement. « De cette manière, on peut envisager une diminution de 18 % des impacts des pesticides et de 10 % de la production ».

Un autre scénario possible est la transition. « Dans ce cas, l’équilibre entre les modèles est totalement bouleversé : le conventionnel disparaît, le raisonné diminue et le bio et l’écologique augmentent avec une diminution des impacts des pesticides de 67 % mais aussi de la production de 28 % ».

Avec les agriculteurs et pour la société

« L’idée, c’est donc bien d’aller vers un mélange de trajectoires et sortir du modèle unique ‘ moi j’ai la solution ’. On ne doit pas forcément tous faire des légumes derrière chez soi et considérer ceux utilisant des tracteurs comme des gros dégueulasses ! Je propose des scénarios qui permettent d’opérer une conversion au sein des filières et de faire des compromis entre productivité et impact. Aujourd’hui, nous devons construire de nouvelles trajectoires avec les agriculteurs pour la société », conclut le chercheur.

Propos recueillis par DJ

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