PAC 2020: penser le changement ou changer le pansement?

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À quoi faut-il s’attendre ? Les derniers sons de cloche (le glas, juste après la Toussaint), annoncent « gaiement » un verdissement supplémentaire de la politique. Depuis 1962, on est passé par toutes sortes de couleurs : du kaki au vert dollar, du bleu horizon au bleu ultralibéral, du vert nitrate au vert bio. On nous promet un vert MAEC, largement liseré d’un gris paperasse du plus bel effet. Les pansements de gaze grasse sont de couleur vert pistache (comme la mousse…) : de toute évidence, la prochaine réforme va en utiliser des kilomètres.

Les temps ont bien changé… Dieu, que la PAC était jolie, quand elle marchait dans les années 60, en chantant à pleine voix « ça ira, ça ira, vive l’agro-industrie » ; Dieu, que la PAC était jolie, quand elle embrasait les cœurs des fermiers, en criant dessus les toits : « ça ira, ça ira, liquidons les petits ! ». D’emblée, le ministre français Edgard Pisani déclara en 1963 que toutes les exploitations inférieures à trente hectares devaient disparaître ; le grand ami des agriculteurs, l’ultralibéral Sicco Mansholt, programma en 1968 l’élimination de cinq millions de fermes dans l’Europe des Six, excusé du peu… Même le grand Charles De Gaulle se fendit d’un de ces bons mots dont il avait le secret : « Le problème paysan, c’est comme celui des anciens combattants : tous les jours il en disparaît, si bien que la question va se régler d’elle-même ! ».

À l’époque, les hommes politiques y allaient franco, comme le Caudillo, et affichaient clairement leur intention de moderniser l’agriculture et de liquider la paysannerie, jugée archaïque et trop peu productive. La PAC était une véritable machine de guerre, une machine à tuer les trop petites fermes, lesquelles constellaient de vilaines taches le Grand Dessein du Marché Commun. L’Europe des Six singeait par tous les moyens le Grand Frère Américain, modèle de richesse et de réussite. L’agriculture devait absolument devenir un rouage du grand mécano économique en pleine construction ; les agriculteurs devaient produire des denrées à foison, se spécialiser, se professionnaliser, consommer un maximum d’intrants, se mécaniser, acheter, vendre, investir, emprunter, semer de l’engrais à la pelle à neige, pulvériser au canadair, labourer les prairies, défricher les vergers et les haies vives, drainer les prés humides.

Allez hop ! La PAC a passé la paysannerie de nos régions au Roundup, épargnant les meilleurs élèves de l’école darwiniste des « bons fermiers », ceux qui voyaient grand, très grand, et s’endettaient en suivant les préceptes de la doxa européenne. Celle-ci montra rapidement ses limites, lorsque la surproduction vint encombrer les frigos et les halls de stockage, dans les années 80. La PAC avait pris un fameux billet de parterre ! Pour panser ses bosses et ses plaies, on lui appliqua d’épais pansements : les quotas laitiers et betteraviers. Mais ceux-ci gênaient aux entournures, et apportaient leur lot de nouvelles contraintes pour les fermiers. Les ennuis ne faisaient que commencer, pour les survivants de la grande purge « mansholtienne »…

Dans les années 90, après l’enterrement de première classe en 1989 du capitalisme d’état communiste, et la réunification de la grande Allemagne, une marée de viande venue de l’Est submergea nos marchés et coula par le fond les élevages de bovins viandeux, déjà bien éprouvés par « l’affaire » des hormones. La PAC était à nouveau au tapis : une nouvelle réforme-pansement allait être appliquée avec l’avènement des aides directes aux agriculteurs. Décidément, la jolie PAC des années 60 vieillissait mal ! Elle ne ratait aucune maladresse. Il lui fallait subir scandale sur scandale, se panser de réforme en réforme : Agenda 2000, découplage des aides directes en 2004, conditionnalité aux normes environnementales, etc., etc. Je n’ose vous raconter ici l’avalanche des directives européennes de toutes natures, les multiples errances de notre PAC de pacotille lors de ces dernières années : vous direz que je me répète et que je gâtouille. Après avoir éradiqué consciencieusement la petite paysannerie pendant quarante ans, laquelle pratiquait une agriculture bio et entretenait gratuitement son environnement naturel, la PAC donne maintenant des primes pour inciter, voire obliger les agriculteurs à revenir à ces nobles pratiques jugées « archaïques » dans les années 1950 ! Mieux vaut en rire que d’en pleurer…

Jamais, JAMAIS, on ne nous a fait confiance. Pourtant, les paysans sont capables de s’adapter à toutes les situations, à tous les types de climat, à tous les terroirs. Ils sont passés de l’araire à la charrue sans problème, des moutons aux bovins, des bêtes à deux fins aux culs-de-poulain, des chevaux aux tracteurs, de l’agriculture paysanne au smart-farming. Ils ont traversé les pires épreuves : guerres, épidémies, catastrophes naturelles; et se sont toujours relevés. Au nom de quelle croyance la PAC a-t-elle voulu détruire un tel savoir-faire, une telle faculté d’adaptation, une telle résilience ? La folie du profit, la gloutonnerie du capitalisme, l’aveuglement et le cynisme des administrations, l’inconscience et la frivolité des grands partis politiques…

Je crains le pire pour 2020. Une fois de plus, la PAC va changer le pansement, au lieu d’oser penser le changement !

Le direct

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