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M’installer en agriculture: ma décision!

Le premier congrès des jeunes agriculteurs était organisé récemment à Ciney, suite à la réussite de la formation à l’installation ayant eu lieu en 2016. Cette journée, réalisation conjointe de Fedagrim et de la FJA (Fédération des Jeunes Agriculteurs), avait pour but de renforcer les capacités et compétences d’installation des (futurs) agriculteurs.

Temps de lecture : 8 min

Ce sont 150 jeunes, venus principalement d’écoles agricoles, qui étaient rassemblés à Ciney pour assister aux différents ateliers proposés. La journée répondait à une constatation du secteur d’un déficit dans la formation au niveau de la comptabilité, de la gestion du temps de travail et de la main-d’œuvre. Au programme du jour : une activité pour mieux se connaître, des ateliers pour définir les éléments auxquels faire attention avant de se lancer, une pièce de théâtre traitant de la vie des agriculteurs, et des rencontres avec des jeunes ayant osé franchir le pas.

En introduction, Guillaume Van Binst, de la Fja, a rappelé le contexte actuel et les principaux problèmes auxquels sont confrontés les jeunes souhaitant se lancer dans l’agriculture. « Vous vous en doutez, la situation n’est pas rose », débute-t-il. « On assiste globalement à une diminution du nombre d’agriculteurs corrélée à une surface agricole utile relativement stable. Bref, un agrandissement des exploitations. Autre constat : de moins en moins de jeunes agriculteurs s’installent, que ce soit par reprise ou création. Seulement 9 % des agriculteurs ont moins de 40 ans, 4,4 % ont moins de 35 ans alors que 55 % ont plus de 55 ans ».

Des difficultés pour s’installer

Le premier facteur problématique présenté par Guillaume Van Binst est la Pac, qui offre un « marché mondialisé caractérisé par une instabilité et une volatilité extrêmement préjudiciables aux agriculteurs et singulièrement aux jeunes ». La Fja voit en la réforme de la Pac en 2020 une occasion de réorientation favorable à l’avenir de l’agriculture. Trois modifications lui semblent primordiales : la sécurisation des revenus, une définition renforcée de l’agriculteur actif percevant les aides, et une majoration des aides durant les 10 premières années après l’installation.

L’accès au foncier est mis en avant comme un autre facteur à l’origine des difficultés. De moins en moins de baux à ferme sont conclus, et il devient impossible pour les agriculteurs d’acheter des terres au prix actuel. « Il convient de profiter de la future réforme du bail à ferme pour mettre en place des dispositifs qui permettraient à la fois de rendre le bail plus attractif pour les propriétaires via des incitants fiscaux par exemple, tout en garantissant une sécurité d’exploitation suffisante pour les jeunes agriculteurs ».

La multifonctionnalité du métier pose également problème. « On ne parle plus du métier mais des métiers de l’agriculteur. Outre son rôle premier nourricier, l’agriculteur d’aujourd’hui est garant de la gestion des paysages, de l’environnement, parfois producteur d’énergie, parfois aussi transformateur ou même commerçant ». Il convient donc d’être suffisamment formé et conseillé pour faire face à ces nombreux rôles.

Une difficulté supplémentaire est l’image du métier, très lourde à porter actuellement, qui demande une communication renforcée avec le grand public. « Ces derniers temps, l’image de l’agriculture a été écornée par des campagnes ou des reportages médiatiques faits d’analyses subjectives, de procès à charge qui stigmatisent tous les agriculteurs sans distinction ni nuance. »

Coopérer pour être plus forts

Enfin, Guillaume Van Binst conclut en soulignant l’importance de l’entraide et de la coopération au sein du secteur. « Une mutualisation des forces en présence via un regroupement sous forme de coopérative par exemple, permet d’être plus fort, plus innovant, plus autonome face aux difficultés mais aussi face aux défis d’aujourd’hui et de demain. »

Le premier atelier portait sur les manières de chacun de communiquer, et l’importance de se cerner soi-même avant tout afin de comprendre les autres et de gérer les contacts.

Les questions de la banque

Les jeunes présents devaient ensuite choisir, entre quatre séances, les deux auxquelles ils souhaitaient assister, celles-ci se déroulant simultanément. Un de ces ateliers avait pour thème la préparation de la rencontre avec la banque. Celui-ci était animé par Vincent Van Zande, de Crelan. « Cela peut parfois prendre 10 ans avant de se décider à s’installer, car il faut faire attention à ne pas foncer dans le mur », entame-t-il. « La banque va vous poser quatre questions : «  Qui  ? », «  Quoi  ? », «  Comment  ? » et «  Quelle est votre capacité de remboursement  ? », mais il existe des outils pour vous aider à y répondre ».

Le «  Qui  ? », c’est le profil de l’agriculteur. Son parcours, ses formations, ses forces et faiblesses, son expérience, son éligibilité aux aides, sa personnalité, etc.

Le «  Quoi  ? » c’est la situation actuelle de l’exploitation et le projet. L’état des bâtiments, l’état des baux, la rentabilité actuelle, la volonté de créer un magasin à la ferme ou non, l’environnement actuel (foncier, voisinage…), la vision à long terme, etc. Mais aussi l’identification des risques agricoles : matériels, financiers, corporels, environnementaux, etc.

Le «  Comment  ? », c’est la manière de financer le projet. Grâce aux fonds propres, par donation, à l’aide des subsides ou via un emprunt, mais aussi via un crowdfunding. « C’est une manière très nouvelle de financer son projet, mais très intéressante car le financement participatif est à la mode. En plus, tous les participants au crowdfunding représentent autant de clients potentiels, ce qui est un argument supplémentaire lors d’une demande auprès de la banque ». La banque analysera également la rentabilité, la solvabilité et les liquidités du projet.

Enfin, la capacité de remboursement nécessite un travail de l’agriculteur. Il faut revoir l’historique de l’exploitation avec le chiffre d’affaires, les aides perçues et les revenus extérieurs éventuels par exemple. Mais il est également primordial d’établir le cash-flow de l’exploitation, ainsi que les plans financier et de trésorerie pour celle-ci.

Vincent Van Zande souligne que plusieurs outils existent pour faciliter toutes ces recherches, comme l’analyse SWOT, pour Strengths/Weaknesses/Opportunities/Threats (forces/faiblesses/opportunités/menaces), qui permet de déterminer les options stratégiques à envisager. Ou encore le Business Model Canvas (BMC), un outil qui permet de dresser un état des lieux du modèle économique de l’exploitation. « Même un tableur excel est un outil simple qu’il faut apprendre à utiliser, car il permet de faciliter la tenue de votre comptabilité ! ».

Une charge de travail mal jugée

L’atelier sur l’organisation de la charge de travail était présenté par Amélie Turlot, du CRA-W. Pour cette séance, les jeunes présents doivent énoncer les différentes activités qui représentent une charge de travail dans l’exploitation, lesquelles sont réunies par secteur. Le but ici est de conscientiser les jeunes à l’importance de la charge de travail une fois toutes les activités regroupées, et de rechercher des solutions pour optimiser ce temps de travail.

Concernant la main-d’œuvre par exemple, il faut trouver un terrain d’entente par rapport à la façon de travailler de chacun, décider de spécialités ou si tout le monde fait tout, ou encore gérer au préalable les tâches de son employé pour qu’il ait toujours quelque chose à faire pendant ses heures prestées.

L’importance de la localisation des structures dans la ferme est également soulignée, afin de réaliser un minimum de trajets, par exemple en plaçant les stocks de nourriture près des auges, ou en plaçant la salle de vêlage près de la salle de traite.

« La charge mentale et la pénibilité du travail sont trop souvent sous-estimées », rajoute Amélie Turlot. « En moyenne, un agriculteur va faire face à une heure de travail imprévu par jour, donc si son horaire est trop serré, il va devoir éliminer ou bâcler des activités. L’administratif est souvent relégué en dernier lieu, mais si vous vous en occupez à 2h du matin, il y a un plus grand risque d’erreur, et ce serait idiot de perdre de l’argent comme ça ». D’après elle, il faut donc placer cette partie du travail, souvent déplaisante, dans l’agenda, et s’y astreindre au minimum 3 heures par semaine.

«La charge mentale et la pénibilité du travail sont trop souvent sous-estimées», souligne Amélie Turlot

En fonction du mode de production et de la spéculation, la charge de travail peut être optimisée, mais il est primordial de quantifier le temps de travail avant de s’installer. Celui-ci dépend de la personnalité de l’agriculteur, de son matériel, de son parcellaire, etc. « En Belgique, il y a beaucoup de bénévolat des parents retraités, mais il faut trouver des solutions pour quand ils ne seront plus capables de travailler. L’agriculture de précision peut être une solution mais n’est pas la panacée. Par exemple, les robots de traite permettent effectivement de réduire le travail, mais en contrepartie ils augmentent le stress et les frais de maintenance, notamment ».

Communiquer positivement

Le Collège des Producteurs animait, lui un atelier sur l’importance de la communication dans le monde agricole. Face aux polémiques incessantes sur l’élevage, aux incompréhensions grandissantes sur le métier, voire à l’ignorance même de certains citoyens, le secteur agricole se trouve en effet souvent dépourvu.

« S’il est vrai que ces situations ne sont ni justes ni confortables, nous devons apprendre à anticiper et à participer au débat public sur ces questions, et surtout, à faire en sorte de créer des spirales positives autour de notre agriculture. », explique Marie Poncin.

« Là où l’envie de réagir à chaud pourrait prédominer, il peut parfois être utile pour le secteur de se demander si la réaction vive n’est pas plus dommageable à l’image agricole que l’effet escompté ». Réagir aux attaques, donc, mais réagir par une communication positive qui convainc les indécis plutôt que de les faire fuir. Personne ne fera changer d’avis les opposants purs et durs à l’agriculture, mais ils ne forment qu’une minorité du grand public auprès duquel l’agriculteur a tout intérêt à se faire bien voir.

Marie Poncin prouve d’ailleurs, chiffres à l’appui, que toutes les tendances ne sont pas négatives : « Près de 88 % des Belges déclarent avoir beaucoup de respect pour les agriculteurs et 85,6 % estiment que les consommateurs ne sont pas assez proches des agriculteurs. Seuls 2 % des consommateurs sont abolitionnistes (désirent arrêter toute production animale) en France. »

Au vu du succès rencontré par ce premier congrès des jeunes agriculteurs, il y a fort à parier que cela ne restera pas l’unique édition !

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