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Quelque chose en nous…

Le plus belge et le plus rock’n’roll des Français a tiré sa révérence, dans un intense et ahurissant battage médiatique. On appelle ça un enterrement de première classe, le genre d’événement qui frappe l’imaginaire public et le distrait de ses soucis quotidiens.

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En ce qui me concerne, toute la musique que j’aime ne me poussera jamais à déifier un chanteur de cette façon ! Johnny ou pas, j’ai ignoré les images de son concert d’adieu définitif à la télé, et mes rares temps libres de ce week-end, je les ai passés à converser avec des amis, agriculteurs et lecteurs du Sillon Belge, interloqués par mon texte ’’Génération désenchantée’’ consacré au Sommet des éleveurs de Libramont de ce 30 novembre.

Noir, c’est noir, se désolent les éleveurs de bovins viandeux, avec cette sensation de voir se refermer sur eux les portes du pénitencier, d’avoir oublié de vivre. Le requiem pour un fou du Sommet du 30 novembre nous a quelque peu déstabilisés. «  Retiens la nuit », ont chanté les chevaliers du fiel lors de la table ronde du matin. «  Pour nous, la vie va commencer  », « agriculture, que je t’aime, que je t’aime  » ont rétorqué les trois fermiers invités à présenter leur projet au cours de l’après-midi. Ils ont quelque chose en eux de Tennessee, ce désir fou de vivre une autre vie, cette force qui vous pousse vers l’infini.

Vivre pour le meilleur  ? Trouver des solutions à nos problèmes ? Un jour viendra où les choses finiront par s’arranger pour les agriculteurs, forcément ! Il suffira d’allumer le feu pour faire danser les diables et les dieux. Mes amis les plus optimistes m’ont chanté ces titres-là, mais la réalité compose pour nous d’autres chansons : des airs de rien, des airs du temps. Des vérités s’imposent, et on ne peut les ignorer : il faut danser comme la musique, tirer des conclusions, trouver des solutions. Quand le commerce de viande bovine dit « 164 % d’auto-approvisionnement en Belgique » et « moins 27 % de consommation en dix ans », la meilleure réponse au problème se trouve dans une sévère cure d’amaigrissement de l’offre et de la production. La filière commerciale n’en veut pas, évidemment, puisqu’elle profite amplement de cette situation de surabondance !

Mais que faire ? Chacun a sa petite idée. Beaucoup trop d’éleveurs se complaisent dans un déni total et inconditionnel : pour aucune raison au monde, ils ne diminueraient leur nombre de vêlages. C’est bon pour les défaitistes, ça ! C’est bon pour les couillons, les fainéants, les vieux pépés proches de la pension ! Et puis, il y a ces primes « vaches allaitantes » qu’il faut pouvoir activer, ces aides couplées qui encouragent les naisseurs à garder trop d’animaux…

D’autres se tournent vers l’agriculture biologique comme vers un pis-aller, vers ses primes et ses promesses miroitantes. D’autres, plus lucides, diminuent drastiquement leur bétail, afin d’assurer chez eux l’autonomie fourragère, et de profiter au mieux des aides directes à l’hectare et des primes MAEC, pour sortir le moins d’argent possible et se refermer sur eux-mêmes. Les plus entreprenants se lancent dans la vente à la ferme ; d’autres, plus futés, diversifient leur production, élèvent des moutons, des volailles, des cochons, des lapins, des chèvres…, fabriquent des fromages, brassent des bières, tiennent une table d’hôtes, ou encore se lancent dans le maraîchage.

« Il n’y a pas de sot métier ; il n’y a que des sottes gens ! ». Ce n’est pas un titre de Johnny, mais un très vieux proverbe paysan. Le but du jeu est de diversifier sa production et de diminuer l’offre de viande bovine au maximum, afin de désengorger le marché. Un miracle est toujours possible, bien entendu. Un génie du marketing va peut-être créer demain une marque qui déchire, un logo pour notre viande bovine wallonne, un nouveau « branding » comme ils disaient au Sommet à Libramont, et faire bondir la consommation, écraser la concurrence des viandes blanches et porcines. Peut-être ! De nouveaux et vastes marchés d’exportation vont peut-être s’ouvrir demain. Peut-être ! Depuis longtemps, trop de promesses, trop de « peut-être » jalonnent notre chemin, et comme Gabrielle, brûlent notre esprit et étranglent notre vie. Et même l’enfer devient comme un espoir !

Il faut oublier ces « peut-être », ces douces croyances sans lendemain, cesser notre fuite en avant suicidaire et prendre notre destin en main, pour que renaisse en nous l’envie d’avoir envie  !

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Voix de la terre Il n’aura fallu que cinq jours ! Lundi matin, l’énorme vieille ferme dressait encore ses murs orgueilleux au milieu du village, défiant le temps et les saisons depuis trois cents ans. Vendredi soir, elle n’était plus là, tout simplement ! Disparue, envolée, comme si elle n’avait jamais existé. Un bulldozer, deux pelleteuses, ainsi qu’une noria de très gros tracteurs attelés de bennes, ont tout rasé et enlevé en quelques dizaines d’heures. Sur le terre-plein ainsi dégagé, sera bientôt construit un complexe de vingt appartements. L’un après l’autre, les derniers témoins de la vie agricole d’autrefois disparaissent des paysages intérieurs de nos localités.
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