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Bretagne: engraisser des veaux croisés pour de nouveaux débouchés

Opter pour le croisement des veaux destinés à l’engraissement est une pratique courante pour maximiser son revenu en élevage laitier. Si pour ce faire, le Blanc-bleu est souvent utilisé, d’autres alternatives existent. Cap sur la station expérimentale de Mauron, en Bretagne, afin de voir quelles alternatives elle étudie pour le marché français.

Temps de lecture : 7 min

Après avoir travaillé sur l’autonomie protéique, la Station expérimentale de Mauron, une station de recherche appliquée en production de viande bovine du pôle herbivore des Chambres d’agriculture de Bretagne, s’intéresse au croisement et à la recherche de nouveaux débouchés dans le secteur de l’engraissement.

Un cheptel hétéroclite

« Mis à part le troupeau de vache Salers qui pâture les landes, on engraisse et on vend entre 250 et 300 bovins par an. Charolaises, Prim'holstein, croisée Angus, Hereford, Limousine… constituent la grosse majorité de notre troupeau actuel, explique Daniel Le Pichon, responsable de la station.

En termes de génétique, les animaux sont sélectionnés pour être dans les moyennes d’élevage ! Ce n’est pas la peine de chercher le haut de gamme, si les éleveurs ne suivent pas derrière… Les essais doivent donc être transposables dans le plus grand nombre d’exploitations. « Comme la station produit des références pour l’engraissement, nous avons besoin de connaître précisément les consommations des individus que nous engraissons. Les animaux sont donc pesés régulièrement, l’alimentation l’est quotidiennement, les refus, deux fois par semaine ! »

Du veau de boucherie élevé sans… lait !

Importante région laitière en France, la Bretagne compte un très large troupeau de vaches laitières. Un débouché en a découlé et s’est bien développé : le veau de boucherie.

Ladite production s’est développée en France avant l’instauration des quotas laitiers. Historiquement, il est question d’un veau élevé sous la mère qui est abattu à 100 kg de poids carcasse… Il passait donc à l’abattoir plus jeune qu’aujourd’hui.

« Avec les montagnes de poudre de lait que l’on avait à l’époque, les éleveurs se sont décidés à les valoriser en développant cette filière», explique le responsable de la station.

Mais il est arrivé que la poudre soit si chère, que les intégrateurs ne remplissaient plus leurs ateliers, d’où une chute de la valeur des veaux. Au vu de la demande croissante pour des produits «made in France», un abattoir du secteur s’est donc demandé s’il n’était pas possible d’en produire autrement… sans lait. La station de Mauron s’est alors tournée vers le maïs grain et le tourteau de colza.

Dans le centre de recherches, les veaux Prim’holstein arrivent à un mois. Ils sont logés dans des bâtiments d’élevage traditionnels car l’objectif est de développer des ateliers complémentaires à vache laitière, par exemple.

Les jeunes reçoivent du lait pendant 8 semaines avant de voir leur ration changée pour du tourteau de colza ainsi que du maïs grain récolté sur la ferme. Ils seront ensuite abattus à 6 mois, à 145 kg de poids carcasse

« Avec cette option, on arrive à produire des carcasses comparables à celles de veaux de boucheries classiques en termes de poids de carcasse, d’état d’engraissement, de conformation. Par contre, en termes de couleur de viande, on est sur une coloration plus rosée. Or, le marché recherche plutôt une viande blanche. Il a donc été décidé d’orienter cette viande sur le marché de la restauration collective ou des plats préparés, là où la couleur de la viande – cuite – a beaucoup moins d’importance.

Il est évident qu’il ne s’agit pas de produire tous les veaux de cette manière mais c’est une piste à explorer pour certains exploitants. « Nous sommes contents du résultat d’autant que le coût alimentaire est divisé par deux », note le responsable de la station.

La même expérience a été réalisée en croisement holstein-limousin. Pour le chercheur, on améliore ainsi la conformation des animaux et leur indice de consommation, ce qui permet de les abattre plus jeunes.

Trop de conformation en France ?

Quand on observe le cheptel allaitant français, on ne peut passer à côté de ces animaux « immenses », dépassant parfois la tonne. « Les éleveurs ont sélectionné des animaux de bonne conformation qui ont beaucoup de développement. Pourtant, ce faisant, ils ont oublié de sélectionner la production laitière ! Et c’est de cela qu’ils ont besoin pour bien démarrer la croissance des veaux », note le scientifique.

Dans le centre de la France, des éleveurs croisent d’ailleurs de la Salers avec de la charolaise, non pas pour le débouché de broutards existant avec l’Italie, mais bien pour la recherche d’animaux qui « poussent » plus vite et que l’on abattra plus jeune.

Daniel Le Pichon : « En France, en termes de poids carcasses, on est arrivé trop haut pour le gros du marché. Les carcasses lourdes se valorisent bien mais sur un petit créneau : celui de la boucherie traditionnelle. Or, ce n’est pas là que se consomme le gros de la viande. »

Selon lui, en boucherie traditionnelle, l’on compte 14 % des bouchers… le reste se situe dans la grande distribution ou dans la restauration hors foyer ! Et sur ces segments de marché, on ne va pas forcément rechercher des carcasses très lourdes.

Et de préciser : « Il n’y a pas tant de différence de qualité de viande entre les races. C’est l’état d’engraissement de la carcasse qui va influer sur la tendreté, le goût. Il faut donc des animaux suffisamment gras. Après l’abattage, c’est la maturation de la viande qui va également jouer ! »

« Plus on va être sur des races tardives comme la Blanc-bleu belge et la Blonde d’Aquitaine, plus on va avoir de mal à l’engraisser. Ces races vont donc coûter plus cher à élever.

Garder le plaisir de la dégustation

L’interprofession de Bretagne (boucher, abatteurs, éleveurs viandeux…) a demandé à la Station de Mauron de produire des carcasses jeunes pour le marché des grandes surfaces. Deux objectifs : des carcasses pas trop lourdes (320 kg carcasse maximum) en vue d’obtenir des portions consommateurs pas trop grosses, et de la viande tendre.

Car si le choix du consommateur pour de la viande bovine est influencé d’abord par la qualité du morceau, il l’est également par le prix.

« Lorsqu’un animal de plus de 450 kg de poids carcasse est abattu, les morceaux nobles découpés seront relativement gros. Pour diminuer le prix de ces morceaux, le boucher les découpera alors plus finement, ce qui peut être problématique en termes de cuisson. Et il n’y a rien de pire que de tomber sur un morceau mal cuit.

Le chercheur s’explique : « L’une des particularités de la viande bovine reste son prix élevé. Le consommateur se fait donc déjà plaisir en l’achetant, avant même de l’avoir mangé. Imaginez la déception du consommateur qui tombe sur un morceau trop dur… » L’idée était donc d’avoir des carcasses qui produisent des morceaux plus petits en vue d’avoir des morceaux plus épais qui vont donner le plaisir de dégustation que le consommateur recherche.

« Dans le Grand Ouest, le sexage des doses est en plein essor, ce qui laisse la possibilité de faire du croisement. Et tant qu’à viser des carcasses jeunes, autant croiser la Prim’holstein avec des des races plus précoces comme l’Angus ou la Hereford.

Si ces races sont dans l’air du temps, la limousine pourrait également correspondre pour ce type de croisement. Un essai a été réalisé avec 42 individus abattus il y a 10 mois. Plusieurs régimes à base d’ensilage de maïs et d’ensilage d’herbe ont été testés. Les abatteurs étaient assez contents des carcasses proposées. Des tests de dégustation ont ensuite été réalisés au Centre culinaire contemporain à Rennes. Trois muscles d’un bœuf abattu ont été comparés à ceux d’une jeune vache limousine et à ceux d’une vache de réforme laitière. Il en ressort que le croisé limousin engraissé plus jeune a donné des meilleurs résultats que les deux autres races, en termes de tendreté et de goût.

Entre-temps, la Station a fait inséminer des laitières avec de l’Angus et de l’Hereford, pour comparer ces croisements avec ceux réalisés en limousins. Les résultats sont encore attendus.

P-Y L.

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