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Favoriser la biodiversité grâce aux pratiques culturales: la preuve par les carabes! (+ vidéo !)

Riche notamment d’insectes et autres organismes utiles à la protection des plantes, la biodiversité présente dans les parcelles de grandes cultures est directement du ressort de l’agriculteur. Lui et lui-seul, par ses choix culturaux adaptés, est en mesure d’alléger la protection phyto de ses récoltes en devenir. Un message délivré, ce lundi, lors l’assemblée générale de l’Appo.

Temps de lecture : 8 min

Pour progresser dans la lutte intégrée contre les maladies et autres ravageurs des cultures et se préparer à une interdiction progressive de substances actives utilisées en protection des plantes, plusieurs parcelles de la ferme du Centre de recherches agronomiques de Gembloux ont fait l’objet en juin dernier d’un échantillonnage des insectes (ou entomofaune) mais aussi d’autres organismes présents au sol. « Parmi ceux-ci, on trouve en effet des ennemis naturels (carabes, araignées…) des insectes et autres nuisibles des cultures ; ces ennemis naturels sont baptisés «  auxiliaires de lutte » car ils rendent un grand service à l’agriculteur. Petit souci : ils demeurent largement méconnus », indique Donatienne Arlotti, du Cra-w.

Pourquoi cet échantillonnage ? « Il s’agissait d’évaluer l’ampleur de la biodiversité présente dans une série de terres bien identifiées quant à leur historique des pratiques culturales », intervient Jean-Luc Herman, responsable notamment de la gestion de ladite ferme au Cra-w. L’échantillonnage a été réalisé par piégeage, en enfouissant dans le sol, le bord supérieur à fleur de la surface, un pot contenant un liquide létal : les insectes qui tombaient dans le pot n’en ressortaient pas. Ils ont été récupérés toutes les semaines, conservés dans de l’alcool en vue d’un dénombrement et classification ultérieurs.

Des carabes…

L’idée de départ était de piéger les carabes, très vulnérables à ce genre de pièges. « Ces petits coléoptères de 1 à 3 cm de long sont un bon indicateur de la qualité du milieu. Ils vivent sur et dans le sol et c’est ainsi qu’ils régulent, en s’alimentant, une grande variété d’espèces de nuisibles », précise Donatienne.

Donatienne Arlotti, Cra-w: «Plus la diversité des espèces est grande sur la parcelle cultivée, plus les services rendus par cette biodiversité seront potentiellement vastes et multiples.»
Donatienne Arlotti, Cra-w: «Plus la diversité des espèces est grande sur la parcelle cultivée, plus les services rendus par cette biodiversité seront potentiellement vastes et multiples.» - M. de N.

Comme tous les organismes vivants du sol, ces insectes « auxiliaires » sont sensibles au travail du sol, à sa couverture par des végétaux vivants ou morts, mais aussi à la rotation des cultures, aux apports de matières organiques et à l’application de produits de protection des plantes. Leur présence dans les terres cultivées est favorisée par le non labour, la disposition de zones refuges (haies, bandes enherbées), et bien évidemment l’usage minimal des produits de protection des cultures. Ils sont très actifs la nuit et aiment se mettre à l’abri de la lumière du jour et de leurs prédateurs en se cachant sous la végétation.

Les carabes sont très voraces en œufs et larves de nuisibles.
Les carabes sont très voraces en œufs et larves de nuisibles.

« Les mesures les plus préjudiciables à ces carabes bien utiles sont le labour d’hiver qui remonte à la surface les insectes qui se sont enfouis pour se mettre à l’abri de l’hiver et l’application d’insecticides sur leur nourriture (les molluscicides à action insecticide appliqués lors des semis) et pendant leur période d’activité maximale (l’été) », poursuit Jean-Luc.

Devant la diversité des insectes piégés, les chercheurs du Cra-w ont décidé de ne pas se cantonner aux carabes, mais d’étendre l’observation à tout ce qui était recueilli dans les pièges.

… mais aussi des araignées

Le piégeage a également révélé la présence de diptères mais surtout d’araignées. Celles-ci sont un des meilleurs bio-indicateurs et leur présence revêt une importance particulière car elles sont voraces (jusqu’à 1/5 de leur poids, chaque jour), assez opportunistes dans leur menu et très nombreuses (jusqu’à 800 individus/m² en prairie), ce qui en fait le premier groupe prédateur en termes de proies ingurgitées. Ces auxiliaires méconnus prédateurs pratiquent différents modes de chasse (à courre, à l’affût, au moyen de toiles).

Semé en strip-till et associé à des espèces compagnes, ce colza offre le gîte et le couvert à de nombreux insectes et autres organismes auxiliaires qui lui seront d’une grande utilité.
Semé en strip-till et associé à des espèces compagnes, ce colza offre le gîte et le couvert à de nombreux insectes et autres organismes auxiliaires qui lui seront d’une grande utilité. - M. de N.

Comme tous les organismes, les araignées prolifèrent si elles trouvent dans leur milieu de vie, le gîte et le couvert. L’intensité du travail du sol détruit en partie l’habitat et l’application de produits de protection des plantes (bien sûr les acaricides spécifiques, mais aussi les insecticides – deltamétrine, parathion, imidaclopride, chlorpyriphos-méthyl, endosulfan –, certains fongicides – soufre, iprodione, mancozèbe –, certains adjuvants – huile de pétrole –) participent à la pression sur ces organismes.

Des situations – cultures et travail du sol – bien typées

Six parcelles – baptisées respectivement Zoologie, Ernage, Rêves… – ont ainsi été suivies, et ont fait l’objet de piégeage, dont les résultats sont présentés dans le tableau ci-joint. Voici leurs caractéristiques culturales résumées brièvement :

– Zoologie  : monoculture de froment d’hiver, labour systématique, apports occasionnels de matières organiques, enlèvement des pailles, application conventionnelle de produits phytosanitaires ;

– Ernage  : rotation diversifiée betterave-froment-escourgeon. L’escourgeon de la dernière rotation a été remplacé par une prairie temporaire exploitée 1 an, détruite au glyphosate et semée en direct avec du froment. Les produits phyto y sont appliqués de manière conventionnelle ;

– Rêves Haut Droit  : rotation diversifiée classique de la région gembloutoise, avec application régulière de matière organique. En conversion en agriculture biologique ;

– Rêves Bas Gauche  : rotation diversifiée classique de la région, complexe argilo-humique dégradé, également en conversion bio ;

– Rêves Centre Bas : rotation diversifiée classique de la région, minimalisation de tous les intrants, avec un pH très bas. Et aussi en conversion en agriculture biologique ;

– Grand Manil  : verger abandonné, défriché, remis en culture depuis 7 ans, en prairie temporaire en 2015 et 2016, détruite au glyphosate et semée en direct avec un mélange froment-pois pour la récolte 2017. Application conventionnelle de produits phyto.

« Ces parcelles constituent volontairement un très large éventail de pratiques agricoles, tant au niveau de l’assolement, que de l’intensité de l’apport d’intrants et du travail du sol », relève Jean-Luc Herman.

Situations culturales… et biodiversité: gros écarts

« Le résultat des piégeages (voir tableau) est riche d’enseignements », poursuit le chercheur, avant de passer en revue chacune des situations culturales observées.

bio

– Zoologie  : le manque de diversité de la monoculture de froment se retrouve bien dans les captures, c’est dans cette situation qu’elles sont les plus basses.

– Ernage  : cette parcelle était en froment d’hiver après prairie temporaire. Auparavant, elle était en rotation triennale classique betteraves froment escourgeon. Tous les groupes sont bien représentés, ce qui est déjà très bien puisque la biodiversité est présente, il faut juste laisser le temps qu’elle se développe en nombre. La prairie puis le froment semé en direct sur une destruction au glyphosate permettent donc une construction intéressante du milieu de vie.

– Grand Manil  : c’est dans cette parcelle que les captures sont les plus nombreuses et les plus diverses. « Ce résultat prouve une fois de plus que ce n’est pas le glyphosate qui réduit la biodiversité, que du contraire », affirme Jean-Luc Herman. La réduction du travail du sol et l’introduction de plantes peu gourmandes en intrants chimiques (telles que le maïs, la prairie temporaire, l’association froment-pois) sont les préalables à l’établissement de chaînes alimentaires non perturbées. On retrouve particulièrement sur cette parcelle beaucoup d’araignées.

Il est vrai que les araignées y trouvent leur régime alimentaire, eu égard aux mouches aussi présentes en grand nombre. La pression prédatrice qu’elles développent dans leur milieu, s’exerce aussi vraisemblablement sur les insectes non capturés dans les pièges, car leur régime alimentaire est assez opportuniste. C’est là que leur présence s’avère intéressante pour contenir les populations d’indésirables, les insectes ravageurs des semis et plantules en germination. Ces insectes des semis sont maintenant contrôlés par les néonicotinoïdes en enrobage des semences ;

Le jour où la protection insecticide n’est plus autorisée légalement, la lutte alternative devient la nouvelle règle et c’est ce genre de milieu qu’il faut essayer de mettre en place et maintenir. On retrouve aussi beaucoup de nécrophores (insectes se nourrissant de cadavres), signe de la présence de mulots vraisemblablement ;

– Rêves  : les 3 parcelles étaient en conversion bio depuis 2 ans et viennent d’obtenir leur attestation bio pour cette nouvelle année. Comme c’est une terre qui vient d’être remembrée, l’historique cultural est très différent et l’effet parcelle reste très marqué, même après 3 années uniformes. La parcelle Rêves Centre Bas livre en 2017, comme en 2016 d’ailleurs, une belle diversité biologique. C’est la parcelle historiquement la moins intensive, la plus négligée comme le dirait l’agriculteur conventionnel.

Malheureusement encore, le travail du sol intensif exigé par l’agriculture bio (labour, 4 à 5 hersages-binages printaniers, travail de l’interculture) pour contenir la flore adventice ne permet pas à ces populations d’auxiliaires de se reconstituer.

La diversité et la disposition des milieux composant un paysage ont une influence considérable sur la biodiversité, qui recèle des espèces nuisibles mais aussi d’autres, dites auxiliaires, utiles à la protection «douce» des plantes.
La diversité et la disposition des milieux composant un paysage ont une influence considérable sur la biodiversité, qui recèle des espèces nuisibles mais aussi d’autres, dites auxiliaires, utiles à la protection «douce» des plantes. - M. de N.

Travail du sol et présence d’auxiliaires: toute la différence!

Que retenir de ceci ? « Ce qui relie toutes les situations étudiées est le travail du sol plus ou moins intensif ; c’est le principal facteur explicatif des différences de biodiversité observées », conclut Jean-Luc Herman.

Le travail du sol intervient à deux niveaux :

– la destruction mécanique par choc et destruction de l’habitat dans le sol (charrue et déchaumage profond, outils animés par la prise de force) ;

– et la destruction de la végétation à la surface du sol, qui joue un rôle protecteur apportant ombre, humidité, protection contre le gel.

La réduction du travail du sol peut parfaitement être mise en œuvre pour les céréales d’hiver, le colza en sol bien structuré et non défoncé par des récoltes effectuées sans respecter le sol (travail en conditions humides, roulage des bennes un peu partout…).

Ce travail moins intensif du sol peut aussi concerner les plantes à racine pivotante (colza, betteraves, chicorée) pour lesquelles la technique du strip-till est au point dans des sols bien structurés ; ce travail en bande sur la ligne de semis préserve l’interrang qui joue alors le réservoir de biodiversité qui aura tôt fait de reconquérir la totalité de la surface.

Le strip-till est selon Jean-Luc Herman un très bon compromis entre le travail réduit (interligne) et le travail profond du sol (dans la seule ligne) car il favorise tant la culture que la biodiversité.
Le strip-till est selon Jean-Luc Herman un très bon compromis entre le travail réduit (interligne) et le travail profond du sol (dans la seule ligne) car il favorise tant la culture que la biodiversité. - M. de N.

De même, il n’exclut pas à intervalle long des plantes telles que la pomme de terre. Jean-Luc Herman remarque à nouveau qu’une biodiversité bien établie n’est pas anéantie en une seule année, mais elle mettra du temps à s’en remettre, d’où la nécessité d’adapter la longueur de la rotation. La parcelle de Grand Manil le prouve aussi, dans la mesure où elle a subi un défrichage à grands coups de pelle mécanique et nivelage subséquent, mais a totalement récupéré de l’impact après 7 ans.

Propos recueillis par M. de N.

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