Accueil Voix de la terre

Locavorisme

L’espagnol et le français sont deux langues latines qui partagent de nombreuses racines, mais pas toutes ! Il existe des mots fort semblables qui n’ont pas du tout la même signification, un peu comme des « faux amis », présents également dans l’anglais. Ainsi, en espagnol, « loco » veut dire « fou », et son féminin « loca » signifie « folle ». Et quand j’entends parler de « locavore » (qui consomme local), je ne peux m’empêcher de penser au « loca » espagnol, et mon locavore devient un mangeur de folle…

Temps de lecture : 4 min

Pardonnez mon esprit tordu ! Manger local n’a rien de fou. Nos aïeux et ancêtres paysans étaient d’authentiques champions du locavorisme, ils tiraient toutes leurs ressources de leur milieu local : nourriture, matériaux de construction, chauffage, habillement… Cette manière de consommer a été tuée par l’industrialisation de l’agriculture et la mondialisation du commerce, lors des décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale. Elle revient maintenant un peu à la mode, car elle s’inscrit, chez ses adeptes, dans la volonté globale de diminuer son empreinte écologique en mangeant exclusivement des aliments produits dans un rayon de 150 kilomètres. Le mouvement aurait démarré aux États-Unis, en 2005, à l’occasion de la Journée Mondiale de l’Environnement. Il a fait depuis son chemin de petit bonhomme souriant et concerne un nombre sans cesse croissant de consommateurs. Les aliments achetés sont issus des agricultures tant conventionnelles que biologiques, et couvrent une gamme complète : légumes, viande, céréales, fruits, œufs, produits laitiers, boissons de toutes natures…

Cette volonté de manger local et pluriel encouragerait les agriculteurs, selon les locavores, à diversifier leurs activités et les inciterait à éviter le piège de la monoculture. Le locavorisme stimulerait les producteurs à revoir leurs méthodes de cultures, à s’essayer à des spéculations variées afin de satisfaire ces clients d’un genre nouveau : pratiquer le maraîchage, la fructiculture, la fabrication de fromages, l’élevage de diverses espèces d’animaux (lapins, volailles, moutons, autruches…). Voilà qui serait excellent, selon les locavores, pour la biodiversité de nos campagnes, et qui leur insufflerait un vent nouveau ! De plus, cette forme d’agriculture nécessiterait moins de pesticides, lesquels assurent entre autres une meilleure « transportabilité », une meilleure conservation pour les voyages à longue distance. Encore et surtout, le locavorisme permet de diminuer drastiquement l’emploi affolant de plastique et de polystyrène pour l’emballage et le suremballage de ces produits baladés à travers le monde, sans parler de l’effroyable gaspillage des carburants fossiles brûlés sur les routes, sur mer et dans les airs, lors du mouvement perpétuel de transport engendré par le commerce ’’globalivore’’, tel que nous le pratiquons.

À l’énoncé de tous ces atouts, il faudrait être complètement « loco » ou « loca », comme disent les Espagnols, pour ne pas adhérer au locavorisme ! Seulement voilà, si tout le monde sur Terre devenait demain locavore, l’agriculture belge serait dans un fameux pétrin, car nous exportons plus du tiers de notre production agricole ! En Wallonie, les provinces du Brabant et du Hainaut fort peuplées se débrouilleraient plus ou moins bien, sauf pour les céréales et les betteraves ; pour le Luxembourg et Namur, le locavorisme sonnerait le glas de la moitié des fermes ; ce serait pire en Flandres : malgré leur forte population, que feraient-ils de leurs millions de cochons et leurs myriades de volailles ? À côté de la menace locavore, Ceta et Mercosur font figures d’épouvantails dépenaillés… De quoi rendre folle (loca, loca) d’inquiétude notre agriculture intensive tournée vers l’exportation et le grand commerce mondial ! Mais rassurez-vous, le séduisant locavorisme risque bien de végéter encore longtemps dans les limbes du paradis des consommateurs responsables. Il ne fait guère le poids face aux pratiques agressives du capitalisme mondial…

Au fond, qui est « loco », qui est « loca » ? Probablement nous, agriculteurs belges et wallons, pour nous être laissé entraîner dans cette production à outrance, remise aujourd’hui en question par nos consommateurs locaux, et qui nous emprisonne dans un système fermé à double tour par le grand commerce et la PAC. Vers qui faut-il se tourner, qui faut-il écouter ? Ceux qui dirigent nos destinées, profitent au maximum de nos efforts, et nous récompensent bien mal ? Ou plutôt ceux qui désirent tout simplement s’inscrire dans un mouvement sympathique, et partir à notre rencontre pour se nourrir en respectant l’environnement ? Qui est « loco », qui est « loca » ? L’avenir nous le dira…

A lire aussi en Voix de la terre

Une occasion ratée d’encourager les jeunes

Voix de la terre Vous le savez, il n’est pas simple d’être agriculteur aujourd’hui, et le défi est encore plus grand si vous êtes un jeune agriculteur. Or, nous entendons partout que l’état offre des aides, du soutien… ; cela particulièrement destiné à ces jeunes fermiers. Magnifique, pensez-vous. La réalité sur le terrain est bien différente.
Voir plus d'articles