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La filière viande bovine réunie à Vaulx-lez-Chimay: le ministre Ducarme face aux forces vives (+ vidéos)

Dans un contexte de crise profonde de la filière viande bovine, le ministre fédéral de l’Agriculture Denis Ducarme a rencontré, vendredi dernier, au siège de l’Elevage des Neuf Maisons, de nombreux acteurs de terrain – éleveurs, représentants du commerce et de l’exportation de bétail et de viande, Herd-book, syndicat – . L’heure est grave, les prix sont au ras des pâquerettes et les négociations entre l’UE et le Mercosur font froid dans le dos.

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Philippe Van De Velde gère avec ses parents les activités de la ferme familiale: un troupeau de 200 têtes de bétail BBB et un peu moins de 200 ha consacrés pour les 3/4 à la culture (luzerne, colza, maïs fourrage, froment, escourgeon, avoine, méteil) et pour le solde à des prairies permanentes. Le travail est également réparti: le papa, Jacques, gère les prairies et les cultures, tandis que Philippe met toute son énergie dans sa passion pour l’élevage.

Une viande de qualité!

Hormis l’achat de taureaux pour la saillie pendant la bonne saison, l’élevage entièrement dévolué au BBB est pratiqué en circuit fermé. Tous les veaux sont élevés. La plupart des mâles sont vendus au poids de 300-350 kg à l’âge de 10-12 moins. «J’engraisse uniquement les vaches de réforme, âgées de 5 ans en moyenne, après 2 ou 3 vêlages. Une partie d’entre elles sont valorisées chez un boucher de la région les autres suivent la filière de commercialisation traditionnelle et abattues à Baileux (Chimay)», précise Philippe.

Après avoir donné 2 ou 3 veaux, les vaches sont finies avec des aliments de la ferme, quelques mois, et valorisées localement chez un boucher.
Après avoir donné 2 ou 3 veaux, les vaches sont finies avec des aliments de la ferme, quelques mois, et valorisées localement chez un boucher. - M. de N.

Tous les aliments sont produits au sein de l’exploitation, à l’exception du lin. «C’est une volonté de longue date, car gage de qualité et de maîtrise des coûts. Les vaches sont nourries à l’herbe, au foin, paille, luzerne, céréales (escourgeon, avoine, froment), plaquettes de lin, et un complément liquide. Le maïs fourrage cultivé sur la ferme est vendu à des producteurs laitiers. Ce mode d’élevage et d’alimentation allonge quelque peu la période d’engraissement, mais le gain qualitatif sur la viande est significatif; elle a du goût, du persillé. C’est dans cette voie que se trouve l’avenir du BBB, qui, ne l’oublions pas, est un ruminant et pas un avaleur de concentrés.»

Jeune boucher du village, Gaël Leblanc confirme: « J’aime travailler avec des éleveurs de la région. J’achète des vaches BBB de réforme en confiance chez Philppe parce que je viens régulièrement voir le bétail sur pied et je sais comment il nourrit ses animaux. Je privilégie le local et je pratique des prix raisonnables. Aujourd’hui, c’est ce que recherchent les consommateurs qui s’approviosionnent chez moi.

Une trahison!

Pourquoi cette invitation lancée au ministre fédéral de l’Agriculture? La réponse fuse: «Nos animaux et la viande produite sont soumis à de nombreux contrôles, ce que j’accepte volontiers. Par contre, l’absence de transparence sur les viandes importées qui en outre ne sont pas soumises aux mêmes contraintes que les nôtres sur les plans sanitaire et alimentaire, cela, c’est inadmissible. L’accord du Ceta avec le Canada et les négociations en cours avec les pays d’Amérique du Sud nous fait très peur, avoue le jeune éleveur.

Et que dire des prix ? « Ils sont très bas et n’ont pas évolué par rapport à ceux qu’obtenaient mes parents et même mes grands-parents ; c’est incroyable, d’autant plus que les normes sont bien plus sévères et coûteuses aujourd’hui qu’hier. Or, les prix de nos fournisseurs ne cessent de grimper. Résultat : nous n’y arrivons plus!»

Jacques abonde dans le sens de son fils: « Je ne comprends pas que les dirigeants européens défendent ces traités internationaux. Ils acceptent de sacrifier l’agriculture comme ce fut le cas avec la sidérurgie en région wallonne. A ce rythme, l’agriculteur belge – et la situation sera similaire à travers toute l’UE – ne sera bientôt plus qu’un jardinier, tandis que le rôle de nourricier deviendra l’apanage de pays tiers, très grands producteurs, qui pourront exporter toujours plus de sucre, d’éthanol, de viande… J’y vois une trahison de la part des ministres européens de l’Agriculture, et une menace pour des pays comme le nôtre qui seront alors à la merci de holdings surpuissants pour un bien aussi précieux et fondamental que l’alimentation. Dans nos conditions d’exploitation, nous ne sommes pas en mesure de concurrencer des pays comme le Brésil, bien décidés à confisquer la production et l’alimentation de la planète. Une guerre alimentaire est en train de se jouer!»

«Alors que nos productions sont soumises à de fortes contraintes et des contrôles très stricts, il n’existe rien de tel pour les viandes que nous importons. C’est inadmissible», s’insurge Philippe Van De Velde.
«Alors que nos productions sont soumises à de fortes contraintes et des contrôles très stricts, il n’existe rien de tel pour les viandes que nous importons. C’est inadmissible», s’insurge Philippe Van De Velde. - M. de N.

Le consommateur en est-il conscient, s’interrogent père et fils. «Nombre de nos concitoyens sont davantage enclins à payer pour des loisirs que pour se nourrir. L’agriculture n’est plus respectée. Serait-ce le signe d’une suffisance (toute relative pourtant) propre à nos pays industrialisés?»

La consommation évolue...

Au terme de la visite de l’élevage des Neuf Maisons, le ministre fédéral de l’Agriculture Denis Ducarme a participé à une dégustation de viande et de produits du terroir organisée par Edgard Guiot, vice-président des bouchers de Chimay et environs. L’occasion pour les représentant(e)s des différents maillons de la filière viande bovine de faire l’état de la situation et préciser leurs attentes.

Au nom des bouchers, André Briclet, président de la Fédération du Hainaut confirme la forte évolution des modes de consommation de la viande de bœuf. «Les pièces nobles sont de moins en moins demandées tandis que le haché, l’américain, les hamburgers et les préparations sont beaucoup plus prisés. On peut le regretter pour le BBB spécialisé dans les pièces nobles, mais c’est une tendance lourde, même si en dégustation à l’aveugle, le consommateur accorde toujours sa préférence au blanc-bleu.»

.... communiquons mieux

Président du Herd-Book BBB, Jean-Marie Wilmet observe, ces dernières années, une tendance haussière pour le prix du bétail ordinaire alors que le prix du bon bétail stagne. La différence de prix entre les carcasses S et U devient trop étroite et la qualité ne paie plus. «On doit revaloriser notre image et trouver de nouveaux marchés pour inverser cette tendance.»

L’image et la communication sont aussi au cœur du message délivré par Sébastien Geens, de la Fja qui sollicite l’appui du ministre Ducarme pour une communication professionnelle et moderne vers le grand public (réseaux sociaux, etc.).

Par ailleurs, mettant en évidence le différentiel grandissant entre le prix payé par le consommateur et le prix perçu par le producteur, Stéphane Pierard et Marie Laurence Semaille (Fwa) demandent que l’observatoire des prix du SPF Economie s’intéresse à la répartition de la valeur ajoutée dans la filière «dont le producteur est toujours le maillon faible».

Défricher le terrain à l’export

Pour la Fédération nationale du commerce de bétail, Benoit Cassart insiste sur l’absolue priorité à donner à la recherche de nouveaux débouchés à l’exportation, seule réelle solution. Il pointe aussi la nécessité de rendre à l’Afsca sa vocation de service public. «La qualité de notre sécurité alimentaire est un atout pour nos entreprises mais l’excès de zèle est aussi parfois contreproductif : parmi les pays européens agréés par la Turquie pour l’exportation d’animaux vivants, seule la Belgique n’est pas parvenue à trouver une solution à la certification pour exporter. Cela a coûté cher au secteur et révèle un manque de pragmatisme inquiétant. Les bovins belges ont dû partir…via d’autres états membres ! La sévérité de l’Agence est d’autant plus difficile à accepter à un moment où l’Europe négocie l’importation de nouveaux contingents de viande en provenance des pays tiers.»

Le secrétaire de la Fncb constate aussi que «la filière bovine wallonne est prise dans un étau entre des contraintes de production de plus en plus élevées et une concurrence internationale déloyale. «Elle se trouve au point de rupture, d’où le besoin de choix politiques urgents et cohérents entre les différents niveaux de pouvoir si on veut préserver l’avenir de la production européenne. La forte érosion du cheptel wallon en 2017 (-36.400 têtes) est un signal d’alarme à prendre très au sérieux.»

Carte rouge au Mercosur

Jean-Luc Mériaux, secrétaire général de l’Union européenne du commerce de bétail et viande, alerte le ministre Ducarme sur le dossier du Mercosur. «L’accord franco-allemand entre le président Macron et la chancelière Merkel qui devrait signifier la signature du traité par l’UE, est très inquiétant.» Saluant la lettre de notre premier ministre au président de la Commission européenne et les réserves émises par le ministre président Borsus pour le secteur agricole, il demande à Denis Ducarme de «continuer à négocier à propos des contingents d’importation en limitant au maximum les volumes, en allongeant la période de transition et en limitant au maximum le pourcentage de pièces nobles nuisibles aux races de qualité supérieure comme le BBB.» Jean-Luc Mériaux relève aussi l’énorme enjeu du Brexit, le Royaume Uni étant importateur net de 450.000 t de viande bovine en provenance de l’UE.

Deux terrains d’action

Le ministre Ducarme s’est montré très réceptif aux messages délivrés par la filière, rappellant «sa volonté de défendre le bétail de qualité, le BBB qui répond pleinement aux défis actuels pour la santé du consommateur et le respect de la planète».

Il souligne également son intention de continuer à rapprocher les producteurs belges et l’horeca et s’est dit disponible pour soutenir la campagne de communication des jeunes agriculteurs.

Denis Ducarme se réjouit des positions très en pointe du gouvernement wallon sur le Mercosur à côté des Irlandais, tout en indiquant la complexité du dossier, «compte tenu des pressions des autres secteurs économiques, notamment au nord de notre pays». Concernant les exportations, Denis Ducarme martelle qu’elles constituent sa priorité et que la mise en fonction d’un attaché sanitaire en Chine pour finaliser les accords sanitaires en discussion en est la meilleure preuve.

Le ministre fédéral réitère également sa volonté «de résister à la vague écolo-intégriste qui, selon lui, représente une réelle menace pour notre agriculture raisonnée alors que celle-ci ne cesse de progresser et répond à l’attente des consommateurs».

M. de N.

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