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Ramener le boeuf à bon porc

Dans le cochon tout est bon, du grognon au jambon ! Dans la vache itou, bon du museau aux cuissots. Hélas, ces adages ne font plus du tout l’unanimité, et le désamour pour la viande ne cesse de prendre du poids, nourri par les malentendus, les méconnaissances, les campagnes de désinformation et surtout les scandales du style Veviba. Les abattoirs sont devenus des antres du diable sur lesquels se focalisent toutes les peurs, toutes les indignations, toute la défiance des consommateurs.

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Les grands abattoirs d’aujourd’hui ressemblent aux usines à viande de Chicago, caricaturées dans « Tintin en Amérique », où l’on voit une vache entrer bien vivante sur ses quatre pattes, et ressortir l’image suivante sous forme de boîtes de Corned-Beef. Dans les établissements comme ceux de Bastogne, des camions chargés d’animaux entrent d’un côté, et de l’autre ressortent des palettes de viande transformée en préparations de toutes sortes, conditionnées dans des barquettes en polystyrène emballées sous plastique transparent. Entre ces deux stades, mystère ! Avant toutes les révélations diffusées sur Youtube & Cie par les organisations de défense des animaux, et les dernières « publicités » Veviba, le consommateur n’avait aucune idée du processus de mise à mort et de découpe, et pour lui, c’est maintenant l’horreur, l’effarement, le plus profond dégoût. De quoi lui couper l’appétit pour toute forme de viande…

Autrefois, l’abattage des animaux faisait partie d’un quotidien que les gens découvraient dès leur plus jeune âge. En ville, le boucher tuait lui-même les cochons, bœufs, moutons…, et disposait chez lui d’une salle d’écorchage et d’éviscération. Les enfants assistaient souvent aux opérations, avec une curiosité toute naturelle et pas du tout malsaine : cela faisait partie des réalités de la vie. De même, chez eux, ils aidaient à plumer les poulets décapités sur un billot, à « déshabiller » et vider les lapins tués d’un coup bien appliqué sur la nuque. Les animaux domestiques étaient perçus comme de la nourriture sur pied, des sources de protéines que l’on sacrifiait avec savoir-faire et respect pour pouvoir les manger.

Dans les campagnes, la tuerie du cochon était toute une fête. On attendait un mois en « r », de septembre à avril, pour éviter les chaleurs et les mouches. Les journées de gel étaient les plus prisées pour sacrifier le « gros pépère » nourri avec soin durant des mois. Le matin de sa mise à mort, il était à jeun et grognonnait de faim, sans se douter de son sort. Un bon coup de masse sur le crâne l’envoyait au pays des rêves, puis le « tueur » lui enfonçait prestement un long couteau dans le cou. Le sang giclait par saccades dans un bassin propre ; il était récupéré pour préparer le boudin. Ensuite, Messire Dugroin était installé sur une échelle de meunier et on étalait sur lui de la paille bien sèche, à laquelle on mettait le feu, juste le temps de lui brûler les soies. Puis il était lavé à grande eau et brossé énergiquement. Les enfants s’en donnaient à cœur joie à l’aide de grattoirs improvisés bricolés à partir de boîtes de Pilchard. Le cochon était vidé de ses entrailles, découpé en quartiers et placés dans la chambre la plus froide de la maison. Toute la famille s’y mettait, avec un coup de main des voisins, pour aider la maman à fondre le saindoux, nettoyer les tripes pour les saucisses, cuisiner le pâté de foie et la tête pressée, cuire le boudin, etc. La viande découpée était mise au saloir : le lard, les jambons, les côtelettes, les plates-côtes…

À la ville comme à la campagne, les questions de bien-être animal et de normes sanitaires ne se posaient pas du tout. Le destin des animaux domestiques était tout tracé : ils finissaient à la casserole, et personne ne s’en offusquait. Puis les choses ont changé, petit à petit, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Les abattoirs ont été priés de s’installer en dehors des villes. Subsidiés quelquefois par les pouvoirs publics, ils se sont concentrés en grosses entités, de plus en plus fermées sur elles-mêmes, pour garantir la santé publique, donner une image de propreté, améliorer la rentabilité économique.

Puis l’Afsca, agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire, est passée par là, investie des pleins pouvoirs de sa mission « divine ». Orthodoxe intégriste, procédurière, aveuglément bureaucrate, elle sonna le glas des derniers petits abattoirs…

Avec la disparition des pratiques d’abattages « intra muros » visibles au grand jour, les consommateurs ont été complètement déconnectés des réalités du cycle vie-mort des animaux domestiques, autrefois perçues sans le moindre problème de conscience. Même les agriculteurs ont perdu ce contact ! Le cochon, ou le mouton, n’est plus abattu à la maison ; les poulets sont conduits vers un établissement agréé.

Aux yeux du grand public, les animaux ont perdu cette image de « protéine sur pied ». À l’école et à la maison, les enfants apprennent à aimer leurs compagnons à quatre pattes comme des peluches vivantes, que l’on doit câliner, bichonner, protéger. Les conduire dans des abattoirs, tuer pour les manger des agneaux innocents, des jolis petits veaux ? Quelle horreur !! On comprend mieux pourquoi le végétarisme gagne sans cesse du terrain, comment il s’incruste solidement et profondément dans les consciences…

Pour ramener le bœuf à bon porc, il faudra ramer à contre-courant de tous ces flux de pensées, réconcilier le consommateur avec les choses de la vie, en espérant que d’autres « Veviba » ne viennent nous couler définitivement par le fond.

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