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Rencontre avec Frederik Backaert : le cyclisme et la ferme, deux métiers

« L’agriculture et courir à vélo, ce sont deux mondes totalement différents », nous dit Frederik Backaert. Il le sait bien. Ce fils de fermier est coureur professionnel depuis 2014 chez Wanty-Groupe Gobert. Il s’est illustré lors du Tour de France 2017, en faisant partie de nombreuses échappées, dont une très longue en solitaire. À 27 ans, « Backy » songe à l’avenir et pourrait reprendre la ferme familiale, « même si le cadre actuel n’est pas toujours en faveur du métier d’agriculteur ». Frederik Backaert et son père Christian vivent tous les deux les mêmes passions : l’agriculture et le vélo.

Temps de lecture : 10 min

La famille Backaert exploite l’exploitation agricole « De Sint-Michaëlshoeve » à Michelbeke, un petit village de l’entité de Brakel, dans les Ardennes flamandes, au pied du Berendries, un des célèbres « murs » de Flandre, certes moins connu que le mur de Grammont. Frederik ne pourrait pas être plus près pour s’entraîner à vélo. La vie agricole est menacée dans cette région de collines, de nombreux fermiers ont reçu des cartes orange ou rouges. Cela signifie qu’ils doivent nettement réduire, voire arrêter les fertilisations organiques sur leurs champs et prairies. D’autres préoccupations ont également trait aux problèmes d’érosion des sols.

Christian, le papa, qui a 67 ans, trait environ 80 vaches. Il estime que les temps sont incertains pour les producteurs laitiers en Flandre : « Ou bien on travaille sur le fil du rasoir pour le marché mondial ou bien on travaille pour un marché de niche ».

Lait cru transformé en fromage

La famille Backaert a opté pour la deuxième solution. Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il a fallu s’éloigner de la facilité qu’est la vente à l’industrie pour se lancer dans le circuit court. La transition s’est faite petit à petit. Christine, la maman de Frederik est assez fière de la décision prise : « Cela va faire trente ans, cette année, que nous transformons du lait en produits laitiers. Quand les quotas laitiers sont arrivés, nous avions justement agrandi l’étable. Ou bien il nous fallait acheter du quota, ou bien on se lançait dans la vente directe. »

La diversification s’est révélée une étape logique dans l’évolution de la ferme. Il faut dire que la ferme se situe vraiment au milieu du village. « La situation a joué en notre faveur. Mais, évidemment, il faut que les produits soient de bonne qualité. Notre gamme consiste en lait cru, beurre, lait battu, et pas mal de fromages : du jeune, de la pâte demi-dure, du demi-vieux… et des fromages aux herbes aromatiques. C’est beaucoup de travail, mais cela en vaut la peine. Avec dix litres de lait, on a à peu près autant de yoghourt. C’est le plus facile. Il faut avoir une gamme très variée et satisfaire à toute la réglementation, mais si on ne vend pas le yoghourt, c’est perdu. Tandis qu’avec du fromage, le volume est réduit, et il se conserve plus longtemps. C’est plus facile à gérer. »

Une ancienne étable a été transformée pour pouvoir accueillir des groupes. « Nous avons accueilli jusqu’à 100 bus par an, avec un petit film sur le secteur laitier ou sur la région, et une promenade à travers notre ferme. », raconte Christian. « Les organisateurs des visites groupaient la visite chez nous avec la visite au musée archéologique de Velzeke, qui n’est pas loin. Mais c’est moins qu’avant, les voyages en bus dans les Ardennes flamandes sont en diminution depuis le début des années 2000. »

Hygiène et propreté

« L’exigence de base pour faire du fromage, c’est d’avoir du lait d’excellente qualité. », explique Christine. « Nous faisons du fromage au lait cru, on ne pasteurise pas, il faut donc une hygiène impeccable. Les analyses de cellules et de germes doivent être très bonnes. Nous avons l’avantage de pouvoir transformer directement le lait frais, donc on ne doit pas le réchauffer. »

Du lait propre, cela commence par des vaches propres dans une étable propre. Les vaches sont logées dans une étable à logettes depuis 2008. Les caillebotis sont nettoyés régulièrement et les logettes tenues propres avec de la sciure et de la chaux.

« La production moyenne atteint 8.500 litres à 4,2 % matière grasse et 3,5 % protéine. », expose Christian. « On n’a jamais privilégié les grandes performances. Les frais vétérinaires sont alors plus élevés, et les vaches durent moins longtemps. »

Il souhaite, autant que faire se peut, bien tenir les rênes de l’exploitation : « À mes débuts, dans les années 70, les organisations d’élevage étaient vraiment contre l’insémination artificielle par l’éleveur. Mais quand cela a été possible, j’ai été dans les premiers à suivre les cours. Je fais également passer le scanner moi-même pour suivre les gestations. »

Pour gérer les retours en chaleur, un veau mâle est acheté tous les deux ans.

« Les génisses sont inséminées avec du sperme sexé. La condition de base pour le choix est une bonne dispersion des lignées. Ensuite, je regarde aux taux de matière grasse et de protéine. Il m’arrive aussi de choisir du sperme de taureaux mixtes. »

L’étable pour les veaux

Les veaux nouveau-nés sont logés près de la maison, dans l’ancienne ferme en carré. Ensuite, ils partent vers une étable, construite en 1992 dans un hangar dont la moitié est destinée au stockage. L’autre moitié, pour les veaux, est divisée en boxes. À l’avant, c’est un caillebotis, et à l’arrière, la partie paillée, 90 cm plus bas. « J’avais vu cela dans une exploitation de bétail viandeux cul-de-poulain, et cela marchait bien. La grande partie des déjections se fait sur les caillebotis et, comme la litière se trouve bien plus bas, il n’y a quasi jamais de paille sur les caillebotis. Tous les 3 ou 4 mois, on ouvre les barrières, et on enlève le fumier en une heure ou deux avec le télescopique. »

Escourgeon aplati

La ration de base se compose principalement d’herbe, de maïs, de pulpes de betterave, parfois aussi de drèches, avec un complément de protéines, vitamines et minéraux.

De l’escourgeon aplati est ajouté pour améliorer l’énergie de la ration. « L’aplatissage est réalisé par un moulin mobile. Nous appelons cette entreprise quand nous allons arriver à court. L’aplatissage se fait par 6 tonnes d’un seul coup. Tout ce qu’on peut cultiver soi-même pour composer la ration, il ne faut pas l’acheter. »

Du côté des pommes de terre

Si l’élevage laitier est une des activités de l’exploitation, l’autre activité concerne les cultures : 25-30 ha de maïs, 15-20 ha de pommes de terre, 8-9 ha de haricots après prairie temporaire, 8 ha de froment, 5 ha de betteraves sucrières, 3-4 ha d’escourgeon et 2 ha de betteraves fourragères.

La culture de la pomme de terre tient une place à part dans l’exploitation. Le hangar à pommes de terre est géré par ordinateur et peut en contenir jusqu’à 1.000 tonnes. Cette année, les prix sont désastreux, et c’est particulièrement ressenti par ceux qui optent pour le marché libre, comme Christian Backaert qui a un quart de sa culture de pommes de terre en contrat. Il préfère éviter les risques mais il devra trouver, cette année, un débouché pour les pommes de terre non contractées. « En pommes de terre, on ne sait jamais à l’avance quel sera le rendement final. Les contrats peuvent être risqués si toute la culture est sous contrat. Si la quantité n’y est pas, il faut acheter très cher à l’extérieur, et si on en a de trop, on ne reçoit pas beaucoup pour l’excédent. »

Protestations lors de courses

Comme toute région de collines, les Ardennes flamandes sont un bel endroit pour y habiter, mais ce n’est pas facile pour y vivre en tant que fermier. L’avenir risque d’ailleurs de devenir un véritable défi. Il faut savoir que l’exploitation se situe à 800 m d’une zone naturelle. Elle a donc reçu une carte orange de la part de l’administration. « Dans notre coin, des exploitations ont eu une carte rouge, ce qui veut dire : plus question d’épandre sur les champs et les prairies. Ce n’est pas par hasard qu’il y a eu des manifestations d’agriculteurs lors des courses cyclistes printanières en 2017. C’était une bonne façon de signaler que nous avons des problèmes. Et les ennuis ne se limitent pas aux épandages. L’érosion est un gros problème. Nous-mêmes, nous avons deux parcelles « en mauve ». Ce qui veut dire qu’il faut faire attention. Pourtant, je ne vois pas d’érosion, mais j’ai déjà eu deux fois des ennuis. »

Dans la région, la réglementation très stricte se combine avec des prix très élevés pour le foncier, sans compter la main-d’œuvre chère. « Cela devient difficile de concurrencer d’autres pays, comme la Pologne ou même la France. En tant que fermiers, nos productions partent pour le marché mondial et nous travaillons sur le fil du rasoir. Ou alors, il faut trouver un marché de niche. Mais ce n’est pas possible pour tout le monde, la situation de la ferme peut ouvrir des perspectives, si on le veut. »

Ce qui se passe dans les champs

Frederik est assez de l’avis de son père. Il suit tous les événements de la ferme familiale et il n’hésite pas à donner un coup de main, même si son temps est compté : « En 2017, j’ai eu 108 jours de course, et entre-temps, il faut surtout se reposer. »

Comme la plupart des agriculteurs amateurs de courses cyclistes, il aime regarder les champs. « Durant le Tour de France, j’ai surtout vu des champs de colza et de tournesol. Et quand je m’entraîne par chez nous, je reviens souvent en disant : « Papa, ils sont déjà en train de planter pommes de terre chez… » Les collègues coureurs ne voient pas tout ce qui se passe dans les champs. »

Deux mondes différents

Les Ardennes flamandes sont le théâtre de nombreuses courses cyclistes au printemps. À plus d’une reprise, Christian, le père, sort de son tracteur pour aller encourager le fiston. C’est un fan de courses. Il a fait installer une petite TV dans le tracteur, mais la radio y était déjà. Et quand ce n’est pas possible, il regarde le reportage en différé, le soir, après la traite.

Le programme de cette année est assez chargé. Les courses de printemps vont être suivies d’une série de courses en France pour se terminer avec le Tour de France.

Malheureusement, à sa grande déception, Frederik ne pourra pas participer à la course mythique qu’est Paris-Roubaix. Car son équipe, Wanty-Groupe Gobert, n’a pas reçu la Wild Card.

Courir à vélo et être fermier, c’est deux mondes très différents, affirme Frederik. « Peut-être que le fait d’être fils de fermier nous apprend à être plus dur avec nous-même et à avoir plus de résistance, mais ça s’arrête là. Après, il n’y a plus rien de comparable. Être fermier, c’est un métier individuel, on pourrait encore le dire pour le coureur cycliste. Mais on pratique un sport d’équipe, excepté quand on discute des contrats, où on se retrouve quand même tout seul. »

Après le cyclisme, retour à la ferme ?

La dernière saison cycliste a fait connaître Frederik, surtout avec le Tour de France, mais il garde la tête froide. « On est vite connu comme coureur, mais on est aussi vite oublié. Et puis, une carrière de coureur peut hélas prendre un tournant dramatique. Des coureurs, fils de fermiers comme moi, comme Igor Decraene et Stig Broeckx, en sont des exemples malheureux. »

Devenir fermier pourrait être la suite logique de la carrière cycliste, d’autant plus qu’il est sorti de l’école d’agriculture de Roulers. « Le métier de fermier ne devient pas plus facile par rapport à avant. Il n’est pas simple non plus de reprendre une exploitation, surtout avec le travail que cela implique. »

Une partie du travail pourrait être automatisée, notamment avec un robot de traite… Frederik a fait un stage dans une ferme laitière robotisée. Il relativise : « Un robot de traite, cela ne veut pas dire moins de travail, le travail est différent, et cela exige des investissements, remodeler ou refaire l’étable, sans compter les entretiens de la machine. Et puis, on ne met pas un bouton « stop » sur les animaux. On ne peut pas se permettre d’être malade, même si on a un(e) aidant(e). »

Pour l’instant, il se concentre sur sa carrière cycliste. Sourire entendu de Christian : « Il roule encore trop bien pour reprendre la ferme. S’il roule comme l’année derrière, il faudra bien que la ferme l’attende un peu. »

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