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Un éclairage sur les modes d’action des fongicides en cultures de froment

Carboxamides ou SDHI, strobilurines ou QoI, triazoles, morpholines… autant de familles chimiques agréée dans le cadre de la lutte chimique contre les champignons responsables de maladies dans les céréales. Mais au fait, qu’est-ce qui les distinguent quant à leurs modes d’action ?

Temps de lecture : 6 min

Les fongicides chimiques sont composés d’une ou de plusieurs substance(s) active(s), de solvants et d’adjuvants issus de la chimie de synthèse. Les substances actives utilisées sont hautement spécifiques. Elles ciblent et enrayent des processus clés dans le développement et la survie de l’organisme nuisible visé. Les substances actives de ces produits sont classées suivant leur mode d’action, c’est-à-dire leur cible au sein des pathogènes.

Un ou plusieurs

sites d’action

La plupart des fongicides n’ont qu’un seul site d’action (fongicide uni-site), c’est-à-dire qu’ils vont stopper ou altérer le bon fonctionnement d’une réaction nécessaire à la survie du champignon (métabolisme primaire). Cette altération du métabolisme peut engendrer la mort de la cellule fongique. Si ces cellules mutent au niveau de l’unique site d’action du fongicide, le produit peut devenir inactif car il ne reconnaîtra pas sa cible. Il en résulte ce qu’on appelle une résistance du pathogène au fongicide. Cette mutation apparaît aléatoirement avec la multiplication et la reproduction du champignon. L’application d’un fongicide va tuer les organismes sensibles et révéler les organismes résistants qui vont alors continuer de se multiplier.

Appliquer un produit c’est donc appliquer une pression de sélection sur la population fongique. Si on utilise toujours le même produit – avec le même mode d’action –, la pression de sélection sera d’autant plus importante et la résistance apparaîtra d’autant plus rapidement. Tous les produits possédant les mêmes caractéristiques deviendront également inefficaces.

Vu la faible diversité des modes d’action présents sur le marché et le temps nécessaire pour le développement d’une nouvelle molécule, il est très important de limiter l’apparition de ces résistances.

Il existe quelques fongicides multi-sites avec lesquels l’acquisition d’une résistance par le pathogène doit passer par la mutation de plusieurs cibles, ce qui n’est encore jamais arrivé. Ce sont donc des alliés de choix pour les fongicides uni-sites.

Fongicides uni-sites

Les carboxamides

(ou SDHI)

Les substances actives appartenant à la famille des carboxamides empêchent la respiration mitochondriale du champignon en inhibant la succinate déshydrogénase présente dans le complexe II de la chaîne respiratoire. C’est pourquoi ces molécules sont également désignées par le terme « SDHI » (Succinate DeHydrogenase Inhibitors). Ce mode d’action est le plus récemment mis sur le marché.

Il s’agit des substances actives suivantes : benzovindiflupyr, bixafen, boscalid, fluxapyroxad et isopyrazam. Elles sont souvent utilisées après le déploiement de la dernière feuille en combinaison avec une triazole (et/ou une strobilurine) afin de lutter contre la septoriose, la rouille jaune et/ou la rouille brune. Elles sont également agréées contre l’oïdium, l’helminthosporiose du blé et certaines contre la fusariose de l’épi et le piétin-verse.

Des souches de septoriose résistantes aux carboxamides ont déjà été détectées en Europe depuis 2012 et très récemment en Belgique (2016). Cette résistance ne semble cependant pas encore installée dans notre pays mais la prudence est de mise. Il est donc fortement conseillé de limiter l’application des SDHI à une seule par saison quelle que soit la dose appliquée.

Les strobilurines (ou QoI)

Les substances actives appartenant aux strobilurines empêchent la respiration mitochondriale du champignon en inhibant le site d’oxydation du coenzyme Q situé sur la face externe du cytochrome b (complexe III de la chaine respiratoire). Elles sont également désignées par le terme « QoI » pour « Quinone outside Inhibitors ». Il s’agit des substances actives suivantes : azoxystrobine, fluoxastrobine, picoxystrobine, pyraclostrobine et trifloxystrobine. Elles sont agréées contre la rouille jaune, la rouille brune et certaines contre la septoriose, l’oïdium et l’helminthosporiose du blé.

La septoriose, les fusarioses et l’oïdium sont actuellement résistants aux strobilurines qui n’ont donc quasiment plus aucun effet sur ces maladies.

Les populations d’oïdium et des espèces causant la fusariose des épis sont également désormais largement résistantes aux strobilurines. Ces substances actives sont maintenant surtout utilisées en association avec un autre mode d’action (triazole, carboxamide) après le déploiement de la dernière feuille pour lutter contre la rouille brune.

Les triazoles (ou DMI)

Les triazoles empêchent la biosynthèse des stérols dans la membrane de la cellule fongique. Elles sont aussi appelées DMI pour DeMethylation Inhibitor. Il s’agit des molécules suivantes : cyproconazole, epoxiconazole, metconazole, propiconazole, prothioconazole, tebuconazole… pour ne citer que les plus courantes pour la protection des froments.

Les triazoles sont utilisées tout au long de la saison culturale. Au 2e noeud (32), elles sont appliquées en combinaison avec une autre triazole, avec une morpholine et/ou avec du chlorothalonil dans le but de freiner la progression de la septoriose. Elles sont également utilisées en début de saison pour lutter contre la rouille jaune ou le piétin-verse. Après le déploiement de la dernière feuille, elles sont généralement utilisées en combinaison avec une carboxamide pour lutter contre la septoriose. Elles peuvent être associées aussi avec une strobilurine pour lutter contre la rouille brune ou la rouille jaune.

Enfin, certaines ont une bonne efficacité contre la fusariose de l’épi (prothioconazole, metconazole et tebuconazole). Les triazoles sont également agréées contre l’oïdium et l’helminthosporiose du blé.

Le prochloraz a le même mode d’action que les triazoles mais il n’appartient pas à la même famille : c’est une imidazole. Cette substance active est agréée contre la septoriose et le piétin-verse.

Depuis plusieurs années, une érosion de l’efficacité des triazoles face à la septoriose est observée. Ces substances actives restent cependant encore suffisamment efficaces et utiles contre ce pathogène. Mais il demeure essentiel de ne pas les appliquer seules. Certaines populations de septoriose sont également résistantes au prochloraz mais ce n’est pas le cas dans toute l’Europe et il n’existe pas encore d’informations solides sur les populations présentes en Belgique.

Les morpholines

Les morpholines inhibent également la biosynthèse des stérols dans la membrane du pathogène fongique mais en agissant cette fois sur des enzymes bien particulières. Il s’agit des substances actives suivantes : fenpropimorphe, fenpropidine et spiroxamine. Elles sont principalement utilisées en combinaison avec une triazole pour ajouter une action anti-oïdium au traitement.

Le quinoxifen

Cette substance active constitue un mode d’action à elle seule. Elle agit sur la transmission des signaux au sein de la cellule du pathogène mais son site d’action précis n’est pas connu. Elle est agréée contre l’oïdium et doit être appliquée préventivement. Cependant cette maladie semble désormais résistante à la molécule.

Le thiophanate-méthyl est également le seul représentant de la famille des methyl benzimidazole carbamates (MBC) agréé en froment. Cette substance active perturbe la division cellulaire. Cette action va engendrer une altération de l’hyphe du champignon. Elle est agréée contre le piétin-verse et la fusariose de l’épi. Microdochium spp. est cependant résistant à cette molécule.

Fongicides multi-sites

Les substances actives à action multi-sites sont le mancozèbe, le manèbe, le folpet et le chlorothalonil. Elles ont un effet sur des processus essentiels à la survie et la multiplication des cellules. À l’instar des fongicides uni-sites qui sont capables de pénétrer la feuille sur laquelle ils sont pulvérisés, les fongicides multi-sites sont tous des fongicides de contact. Leur rémanence est donc très courte et certains sont facilement lessivables par les pluies. Le mancozèbe et le manèbe sont très peu utilisés en froment à cause de leur faible efficacité. Le chlorothalonil est très efficace lorsqu’il est appliqué préventivement. Il est conseillé de le pulvériser en combinaison avec une triazole et/ou une carboxamide pour renforcer l’efficacité du traitement et retarder l’apparition de résistance à la septoriose.

D’après Charlotte Bataille

, Cra-w, dans Le Livre Blanc, 2018

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