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Triches en friche

Les agriculteurs sont affublés de nombreux défauts, parfois réels, souvent légendaires. Ainsi, paraît-il, une large propension à tricher ferait partie de notre nature profonde ! Fausses déclarations, non-respect des règles, fraudes en tous genres… « Les cultos sont une belle bande de magouilleurs ! », me disait naguère un indépendant, lui-même condamné à payer une amende salée pour travail au noir. La récente « affaire » hypermédiatisée n’est pas venue redorer notre blason, on s’en doute. À force d’être sans cesse suspectés par tout le monde, un sentiment de culpabilité finit par nous faire douter de nous-mêmes. Sommes-nous quelque part des tricheurs, oui ou non ? Peu ou prou ? Oui sans doute, car comme dirait l’autre : qui vole un œuf au fipronil, vole un bœuf Viviba !

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En vérité, tous les êtres humains sont des tricheurs. Depuis qu’il a reçu son étincelle d’intelligence, Homo Sapiens s’est ingénié à contourner les règles de la nature, pour son profit, pour survivre, pour conquérir la planète entière. Mieux ! Il a très vite commencé à édicter ses propres règles, à s’inventer des religions bardées de nombreux commandements et préceptes. Des sociétés et des civilisations se sont organisées autour de codes bien fournis, imposés par les castes dirigeantes. Nous ne vivons pas autrement, à l’heure d’aujourd’hui, et chacun vous dira que les règles sont faites pour être un jour ou l’autre bafouées. Impossible de toutes les respecter. Il ne faut pas « être plus catholique que le Pape ».

Les agriculteurs sont-ils pour autant davantage tricheurs que la moyenne ? Si on part du principe que, plus on a de règlements à respecter, plus on est tenté -ou obligé ?- de tricher, nous sommes certainement des champions. Notre vie professionnelle est encombrée de centaines d’obligations, de contraintes administratives, d’exigences à satisfaire. Elles ont pour noms « conditionnalité », « traçabilité » et autres « débilités ». Nous péchons, nous trichons, souvent par ignorance, par oubli, par nonchalance ou fatigue, mais rarement de manière pleinement consciente et volontaire. Pour deux raisons : premièrement, le paysan est par nature un être honnête, soumis aux notables, aux curés, aux dirigeants ; il répugne à tricher. Deuxièmement, nous sommes tellement contrôlés qu’il est pratiquement impossible de faire un pas de travers ! De ne pas respecter la date des épandages des engrais de ferme, par exemple ; de modifier la date de naissance d’un veau ; d’utiliser des produits interdits en élevage ou en culture ; de ne pas respecter un engagement MAEC ; …

Les Big Brothers qui s’occupent de nous sont équipés d’appareils informatiques. Leur armée est quasi aussi nombreuse que la classe agricole. Alors, comment voulez-vous tricher sans être pris ? Et pourquoi tricherions-nous ? Notre vie est déjà tellement compliquée, sans encore chercher des ennuis bêtement, pour des gains aléatoires et maigrichons. Sans doute sommes-nous trop stupides, quand on voit avec quelle facilité et désinvolture les autres maillons de la chaîne agroalimentaire mettent en place des tricheries, des supercheries grosses comme des maisons et qui passent inaperçues pendant des années. Ces arnaqueurs, quand ils sont débusqués, ont l’art de rejeter la faute sur les pauvres innocents que nous sommes, de jeter le discrédit sur les agriculteurs, cette « bande de magouilleurs  « comme nous surnomme mon ami indépendant.

Notre mauvaise réputation n’est pas du tout méritée. Nous ne sommes pas des saints, loin de là, mais affirmer que la tricherie est notre occupation favorite, c’est bien mal connaître notre profession et ses innombrables obligations. Au final, nous sommes chiches en triches, riches en friches…

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