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Trois leviers d’action existent pour réduire les émissions de méthane : efficaces, complémentaires et additifs!

Le sujet est régulièrement abordé dans votre journal, preuve que les émissions de méthane de nos bovins font beaucoup parler d’elles. Elles font également l’objet de nombreuses recherches scientifiques pour arriver à les limiter au maximum. Le Cra-w n’est pas en reste, puisque plusieurs projets à ce sujet y ont vu le jour depuis quelques années. D’une équation de prédiction aux différents leviers d’action pour réduire les émissions, retour sur ces différentes recherches.

Temps de lecture : 8 min

La maîtrise de l’impact de l’élevage sur l’environnement, et en particulier sur le réchauffement climatique, est étudiée depuis de nombreuses années au Centre wallon de recherches agronomiques (Cra-w).

En 2010 déjà, a été lancé un projet nommé « Methamilk ». Il a permis de développer une équation de prédiction des émissions de méthane (CH4) par les vaches laitières sur base du spectre Moyen Infrarouge (MIR) du lait, une première dans le secteur de la recherche mondiale. Cette équation a ensuite été adaptée pour suivre les animaux tout au long de leur lactation.

Cet outil de prédiction, développé en collaboration avec les chercheurs de la faculté de Gembloux Agro-Bio Tech, est encore actuellement amélioré par l’ajout régulier de données nouvelles. Ces données supplémentaires sont acquises grâce à des méthodes de mesures directes, mais aussi grâce à de multiples collaborations internationales établies avec d’autres équipes travaillant sur la problématique.

Une prédiction simple et peu coûteuse

Ces recherches ont donc permis d’obtenir un moyen simple, peu coûteux et original d’estimer les émissions quotidiennes de méthane des vaches laitières. Plusieurs pays ont d’ailleurs récemment intensifié leur collaboration avec les chercheurs gembloutois et participent à leur implémentation en fournissant des données permettant d’adapter l’outil à leurs propres conditions d’élevage.

L’acquisition d’un grand nombre de mesures dans ces différentes conditions (alimentation, races, etc.) permet d’améliorer continuellement la robustesse et la précision des prédictions, et de rendre l’outil utilisable sur plusieurs races laitières.

Contrairement aux méthodes directes qui ne peuvent s’envisager que sur un nombre limité d’animaux, cette technique a l’avantage de prédire les émissions de méthane sur de grands nombres de bovins, par exemple lors du contrôle laitier. Mais cela permet également d’identifier les émissions de manière rétrospective à partir des spectres présents dans les bases de données ! La méthode offre donc la possibilité d’établir une image de la situation à l’échelle régionale, de revenir sur les principales perspectives d’action pour limiter les émissions de méthane, et de montrer l’efficience de nos élevages !

Limiter les émissions de multiples manières

Le Cra-w considère principalement trois grands leviers pour limiter les émissions de méthane par nos bovins. Une gestion fine et réfléchie du troupeau, en limitant les phases improductives pendant lesquelles l’animal rumine sans produire de lait, comme la phase d’élevage ou de tarissement, constitue le premier levier. Il est actionnable à court terme et présente en outre un intérêt direct pour le portefeuille de l’éleveur. Ainsi, une bonne longévité des animaux permettra de répartir, sur l’ensemble de sa vie, les émissions de méthane émises durant la phase d’élevage de l’animal.

De la même manière, rechercher une production soutenue permet de réduire considérablement l’intensité des émissions, c’est-à-dire la quantité de méthane émise par kg de lait ou de viande produit.

Un premier vêlage précoce

Un âge au premier vêlage précoce est un autre moyen d’optimiser la production par jour de vie. Sur base des données fournies par l’Awé (Association wallonne de l’élevage), il a été montré que des femelles Holstein vêlant une première fois à 25 mois ont une production laitière par jour de vie de 12,5l de lait et ont une longévité moyenne de 6 ans. En comparaison, des vaches dont le premier vêlage a lieu à l’âge de 32 mois, soit 7 mois de plus, ont montré une production de 10,5l de lait par jour de vie et une longévité moyenne de 6 ans et demi.

La différence de production entre ces deux groupes atteint donc environ 3.000l de lait sur la carrière de l’animal au profit des animaux vêlant précocement, et cela tout en économisant 6 mois de rumination ! Enfin, une gestion fine d’un élevage ne doit pas se limiter aux seuls animaux, mais doit également prendre en compte la gestion des effluents qui influencent aussi les émissions de CH4 et de N2O.

Une vache qui vêle de manière précoce peut produire 3.000l de lait en plus sur sa vie, par rapport à une vache dont le premier vêlage a lieu à 32 mois.

La génétique a une incidence de 20 %

Alors que cela paraissait inconcevable il y a peu, le développement de la technique MIR a ouvert la voie à des études de plus grande ampleur, portant sur l’incidence de la génétique des animaux, qui forme le deuxième levier. L’équation MIR d’estimation des émissions de méthane a été appliquée à l’ensemble du cheptel laitier wallon, montrant des premiers résultats très prometteurs.

En analysant les descendances, il apparaît en effet que les filles de certains taureaux produisent moins de méthane que les autres. L’étude montre également de très grandes variations des émissions entre les animaux, avec une émission de méthane moyenne de 440 g/j de chez la vache en production, soit 19 g/kg de lait. L’héritabilité du caractère « CH4  » calculée sur ces informations atteint 0,20. Cela signifie que 20 % de la variabilité est attribuable à la génétique pour 80 % aux conditions d’élevage ! Ces chiffres s’avèrent suffisants pour envisager une sélection sur ce critère à l’avenir… pour autant qu’elle n’affecte pas les autres paramètres de production comme la fertilité ou le nombre de cas de mammites, par exemple.

L’alimentation comme troisième levier

Le troisième levier concerne l’alimentation du bétail. Il a été démontré que des rations riches en amidon limitent les émissions de méthane. Cet effet est largement documenté et se justifie par l’orientation des fermentations dans le rumen, en l’occurrence la production d’une plus grande proportion d’acide propionique en présence d’amidon. La synthèse de cette molécule utilise l’hydrogène présent dans le rumen et limite de ce fait la production de méthane.

Ce n’est pas pour autant qu’il faut délaisser l’or vert de nos prairies. En effet, c’est suite à la fermentation des fibres que le méthane est produit ; et des fibres, nos ruminants en ont besoin ! Ainsi, une herbe jeune, riche en protéine et en énergie, très digestible et, idéalement, diversifiée avec la présence d’espèces variées telles que la chicorée ou le trèfle blanc, sera capable de satisfaire les besoins de nos ruminants tout en générant moins de méthane que le pâturage de prairies composées presque exclusivement de ray-grass.

Ceci sera d’autant plus vrai que ces prairies seront valorisées à un stade plus avancé, pour lesquelles la teneur en fibres augmente au détriment de leur valeur nutritionnelle. N’oublions pas aussi que le maintien des prairies permet de stocker d’importantes quantités de carbone dans les sols qui contribue à compenser jusqu’à la moitié des émissions d’un atelier bovin.

Apport de graisses insaturées

L’utilisation d’additifs, tels que des huiles essentielles ou des extraits de plantes, a parfois été mentionnée, mais leur efficacité n’est pas toujours démontrée sur le long terme en raison de l’adaptation du microbiote ruminal. Par contre, l’apport de lipides insaturés, en particulier la graine de lin extrudée, s’est révélé être une alternative très intéressante (NDLR : à ce sujet, voir Le Sillon Belge nº3812 du 13/04/2018).

Les résultats des essais menés au Cra-w montrent en effet une réduction de 10 à 15 % des émissions de méthane chez la vache laitière en présence de 1,2kg de graines de lin et/ou de colza extrudées. Une diminution de la méthanogenèse de 30 % a même été observée chez le taurillon Blanc-Bleu Belge de type culard grâce, en grande partie, à l’adjonction de lin extrudé dans la ration des animaux.

Une telle stratégie présente l’avantage d’améliorer d’autres axes de la durabilité, comme la valeur nutritionnelle des produits (profil en acides gras), tout en pouvant être associée à d’autres voies d’optimalisation alimentaires, permettant par exemple d’améliorer l’efficience azotée des animaux.

Les trois leviers sont complémentaires

De tels résultats, obtenus dans des conditions expérimentales parfaitement maîtrisées, viennent d’être confirmés à l’échelle d’un troupeau, suggérant qu’ils sont tout à fait transposables à la pratique sans surcoût alimentaire. Comme quoi, les stratégies alimentaires sont au cœur de la durabilité de nos systèmes ruminants.

Ces résultats ont en outre été confortés par l’analyse d’une base de données alimentaire de sept troupeaux en relation avec le CH4 prédit par MIR. Cette analyse a permis de confirmer l’intérêt de rations riches en lipides, en énergie et en amidon pour limiter la production de méthane par unité de produit.

Il faut enfin garder à l’esprit que les effets de chacun de ces leviers sont additifs, et que rien n’empêche d’en actionner plusieurs simultanément, bien au contraire. Si l’alimentation et la génétique peuvent contribuer de manière indépendante à limiter les émissions de ± 15 %, pouvoir les associer à l’avenir, tout en veillant à une parfaite maîtrise technique, limitera bien davantage encore les émissions de méthane.

Attention à tous les gaz à effet de serre

Il ne faut toutefois pas oublier que ce gaz n’est qu’une des composantes du bilan carbone et que le fait de le réduire pourra être en partie contrebalancé par d’autres émissions de gaz à effet de serre, en particulier le N2O lié à des rejets plus importants d’azote dans l’environnement et à leur transformation dans les sols. Il est dès lors important d’intégrer toutes ces informations dans des analyses globales, à l’échelle des systèmes.

L’acquisition de données précises au niveau de l’animal et du troupeau est toutefois essentielle pour être en mesure d’affiner les analyses de cycle de vie et d’identifier les optimums techniques afin de minimiser l’impact de l’élevage en termes de bilan carbone global.

Le travail des scientifiques n’est donc pas terminé, d’autant plus que les solutions ne pourront pas faire abstraction des autres piliers de la durabilité, à commencer par la prise en compte des coûts alimentaires et du temps de travail pour l’éleveur, ainsi que les exigences en termes de bien-être animal et de qualité des produits souhaitées par la société.

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