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Un seul être vous manque…

… et tout est dépeuplé !

Un indépendant ne devrait jamais être malade, ni accidenté, ni indisponible. C’est particulièrement vrai pour les agriculteurs ! Les exploitations familiales ne comptent qu’une ou deux unités de main-d’œuvre, et si l’une d’entre elles est hors-service, la masse de travail et tous les soucis retombent sur l’épouse ou l’époux, sur la famille ou le service de remplacement, quand on y est abonné. Aux douleurs physiques s’ajoutent les souffrances morales, et le cap est toujours difficile à passer.

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D’une manière générale, les agriculteurs jouissent d’une excellente santé : les médecins généralistes de nos villages l’affirment sans détour. Les fermiers ne consultent pas pour un oui, pour un non, pour une toux ou un tour de reins, une indigestion ou un mal de ventre. « Ça passera comme ça est venu ! » , disent-ils. Et quand le toubib voit débarquer un de ces grands gaillards dans son cabinet, l’air penaud, gêné d’avouer sa faiblesse, il sait que la pathologie dont il souffre n’est pas bénigne et va nécessiter des soins conséquents, pour vite retaper le patient (impatient d’être guéri) ou carrément lui sauver la vie s’il a trop attendu. La prévention ? Les fermiers ne connaissent pas ! Ils consultent plus volontiers un vétérinaire pour leurs vaches, qu’un médecin pour eux-mêmes. Ils se considèrent comme indestructibles, et n’ont d’ailleurs guère le temps de se dorloter. On soigne une bronchite à coup de paracétamol, d’aspirine, de bonbons pour la toux, parfois en demandant au vétérinaire des comprimés de 1000 mg d’amoxicilline « pour le chien ». Des anti-inflammatoires pour soigner une douleur à la hanche ou une rage de dents, du buscopan pour les maux de ventre… Il faut tuer le mal sans perdre de temps, sans montrer le moindre signe de faiblesse, question d’amour-propre et d’obligation : le travail n’attend pas !

Mais lorsqu’une vache limousine trop protectrice de son veau nouveau-né vous défonce brutalement le thorax et manque de vous envoyer ad patres, quand un taureau jaloux vous délivre « amicalement » une aller simple pour les urgences, lorsque la maladie a raison de votre forte constitution et vous offre un mois de « vacances all inclusive » en soins hospitaliers, on ne peut plus tergiverser, il faut s’avouer vaincu, rendre les armes parfois définitivement… Et c’est le drame, pour celui qui souffre le martyre, et pour celui qui reste et doit assumer seul tout le travail à la ferme…

«  Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! ». Ce bon vieux Lamartine ne croyait pas si bien dire, mais l’absence prolongée du chef d’exploitation n’a rien de romantique pour celui qui doit se farcir tout le boulot en son absence ! Autrefois, plusieurs générations vivaient sous le même toit, et leurs membres s’entraidaient en cas de coup dur : parents, enfants, grands-parents. Aujourd’hui, la cellule familiale agricole est éclatée. Les enfants étudient ou travaillent, happés par notre société trépidante ; les grands-parents sont placés dans une séniorie ; l’épouse occupe souvent un emploi à l’extérieur ; les voisins n’ont guère le temps non plus, et seraient bien en peine d’apporter une aide efficace et durable. Comment se débrouiller ?

Le service de remplacement agricole est là pour venir en aide aux exploitations orphelines de leur agriculteur. Fort bien ! Il faut tout d’abord s’abonner, pour un prix démocratique certes, et bien entendu se plier à leur manière de fonctionner. L’horaire « ouvrier » est de rigueur, pas vraiment en adéquation avec les exigences d’une ferme d’élevage, par exemple, qui tourne 24 heures sur 24, 365 jours sur 365. Qui surveille les vêlages durant les nuits ? Qui inspecte minutieusement le troupeau, avec le regard averti et acéré du paysan, pour détecter les problèmes ? La plupart des gens sont contents du service de remplacement, mais rien ne remplace l’œil du maître et sa connaissance approfondie de son bétail.

Au pire, si la maladie est trop grave ou devient chronique, il ne reste qu’une solution : cesser définitivement ses activités. Travailler de cette façon à long terme n’est pas tenable, en dépendant de son épouse, de ses enfants et d’autres personnes. Si la ferme n’a pas de repreneur, elle disparaît hélas, comme les trop nombreuses exploitations qui mettent chaque année la clef sous le paillasson…

Quand on considère l’âge moyen des agriculteurs wallons, 56 ans, leur solitude au travail et les nombreuses pathologies qui les guettent, la possibilité de tomber malade ou d’être accidenté devient une angoisse bien réelle. On peut l’ignorer et faire comme si… Mais un jour ou l’autre, le destin se charge de vous rappeler à l’ordre : plus dure sera la chute si rien n’est prévu pour amortir le choc !

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