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Coopération, innovation... des pistes de réflexion pour le producteur wallon

La Wallonie 100 % bio, une attente des consommateurs ? Telle fut la question posée par l’Union des agrobiologistes belges (Unab) pour son assemblée générale organisée le 13 avril à Libramont. En guise de solutions, différents types de coopération furent présentés. Jan De Keyser, directeur agriculture de la BNP Paribas Fortis, y évoqua ses pistes de réflexion auprès des éleveurs présents.

Temps de lecture : 7 min

Optimiste, dynamique… Jan De Keyser sait y faire avec son public. Non sans un certain humour, il le bouscule et le pousse à se remettre en question.

L’homme est issu de milieu agricole et y a bossé après ses études durant près de 20 ans. Vente d’aliments pour bétail, importation et vente de paillettes ; il se construit une solide expérience dans le secteur avant de rejoindre le milieu des banques. « Lorsqu’on arrive à la quarantaine, c’est le moment d’acheter une moto, de changer de femme ou de boulot… j’ai opté pour la troisième solution pour le plaisir de ma compagne », s’amuse-t-il à raconter.

Une manière de se légitimer et de poser la question quant au réel intérêt d’une banque pour le milieu agricole.

Un intérêt particulier pour les banques

« L’agroalimentaire est le secteur le plus important en Belgique, bien plus que celui de l’automobile ou de la chimie. Et le secteur primaire y est indéniablement connecté. »

Il l’explique également par le faible impact qu’ont eu les crises (financière, économique…) de cette dernière décennie sur le secteur agricole. Ensuite, la nature cyclique de l’industrie (l’équilibre de l’offre et la demande) crée une attitude d’épargne quand le marché se porte bien.

Autre point important pour les banques : les garanties ! L’augmentation du foncier, de l’immobilier joue en faveur des agriculteurs qui désireraient un crédit.

Et d’en venir à la pleine croissance de la population mondiale : « Chaque jour, vous gagnez plus de 100.000 clients potentiels. Si aujourd’hui, la population mondiale s’élève à plus de 7 milliards d’individus, elle dépassera dans quarante ans les 9 milliards d’humains… » « C’est aussi là que réside l’aspect social de la banque ! Comment garantir notre sécurité alimentaire quand on sait que la demande alimentaire aura augmenté de 60 % d’ici 2050 ! »

« De nombreux défis seront à relever puisque vous devrez produire davantage avec moins de ressources disponibles. »

De nouveaux modèles nécessaires

Pour l’orateur, les opportunités en agriculture sont en train de changer… En effet pour l’orateur, jusqu’au 18e siècle, les 4 « F » étaient importants : Food, Feed, Fuel en Fibre (lisez alimentation, fourrage, carburant et fibres). Mais aujourd’hui avec l’augmentation de la population, du niveau de vie et la demande croissante en énergie entraînent un besoin en « Flowers » et en « Fun ». C’est donc la théorie des 6F.

Il argumente son propos : « Je vois une agriculture wallonne très diversifiée (davantage qu’en Flandre). Quoique moderne, elle reste pourtant très liée au sol. Et s’il y a bien une chose que je ne vois pas, ce sont des investissements dans le secteur intensif. »

« Or, la demande mondiale en viande ne cesse de croître. Les experts prédisent une augmentation de 23 % de la demande d’ici 2025. Si la demande en porcs sera toujours aussi importante, c’est la viande de volailles qui connaîtra la plus grosse croissance. La question mérite donc d’être posée : pourquoi aucun wallon n’investit dans ce secteur ? »

Et de revenir dans le passé : « Quand on regarde en arrière, on voit que la Pac subventionnait l’agriculture pour produire davantage… Dès lors, pourquoi les agriculteurs réfléchissent-ils à étendre leur domaine de compétences ? »

« Les éleveurs, les producteurs rêvent à de nouveaux modèles. » Et de façon très positive, il juge les nouvelles coopératives comme des « enfants de la crise ». « Les problèmes rencontrés sont souvent liés à l’émotionnel des gens. Et les crises que connaît le secteur entraînent de vives émotions, d’où la recherche de nouveaux modèloes économiques viables. »

Les goulots d’étranglement

Malgré cette volonté d’aller de l’avant, le secteur se retrouve face à trois goulots d’étranglement importants.

Le premier ? Le déséquilibre structurel dans la chaîne. C’est le plus petit maillon de la filière qui dicte les prix aux détriments deux grand groupes que sont les producteurs et les consommateurs.

Ensuite, le manque criant de connaissance du marché par bon nombre d’agriculteurs est un frein à leur évolution.

Enfin, le secteur agricole manque de conducteurs fantômes… soit « des personnes qui ne sont jamais dans les bouchons », sourit-il. Il s’explique : « le secteur a besoin de créativité, d’innovation. ».

Et de citer pour exemple. « En Flandre, lors d’un mariage, s’il y a 10 agriculteurs présents… ils sauront se retrouver pour rester entre eux… Or, le secteur a cruellement besoin des influences des autres segments de la société. On en a besoin pour innover en agriculture, c’est certain ! »

Il se réjouit de l’apparition de nouveaux « business models ». On voit apparaître des marchés de niche. « Des clients ont investi dans 8 à 10 ha de serres pour produire des légumes oubliés… Ces personnes se sont regroupées pour produire une diversité de produits dans des volumes moindres.

Et de citer l’exemple de producteurs flamands qui récupèrent les invendus de la grande distribution pour nourrir leurs porcs. Ils communiquent ensuite sur une viande qui contribue à réduire les déchets alimentaires. « Et vous croyez que les gens vont payer pour cela ? Évidemment ! Car ils sont prêts à payer pour contribuer au développement durable ! »

Pour Jan De Keyser, le secteur agricole a cruellement besoin des influences des autres segments de la société pour innover.
Pour Jan De Keyser, le secteur agricole a cruellement besoin des influences des autres segments de la société pour innover. - P-Y L.

Un besoin de coopération

Dans le passé, chacun travaillait de son côté pour trouver une solution à ses problèmes. Désormais, dans toutes ses nouvelles initiatives, on retrouve un esprit de collaboration.

En Flandre, ils ont financé une étude pour créer une nouvelle poire, avec les caractéristiques d’une pomme (pour éviter que trop de jus ne coule). Pour y arriver, les recherches se sont déroulées à « livre ouvert » Tout le monde a pu contribuer et apporter ses idées. C’est un réel succès. Et c’est un grand succès. »

Définir sa stratégie

Mais pour ce faire, il est impératif de définir sa stratégie.

« Ou l’on vise la stratégie du « leadership des coûts », soit on vise à amener de la valeur ajoutée, et ce, que ce soit individuellement, soit collectivement. »

Et c’est dans cette dernière que se situe l’avenir pour lui.

Il y a trois choix possibles. Soit le producteur s’intègre dan s la chaîne ouverte, c’est-à-dire qu’il produit pour le monde, que ce soit pour son voisin ou un pays tiers. Il lui faudra alors un matelas financier important pour pouvoir faire face à la volatilité et trouver des solutions. Une bonne connaissance du marché est alors indispensable.

Il peut également opter pour une chaîne fermée fiable qui devrait concerner de nombreux producteurs bio. « On voit ce modèle dans plus en plus de « marques » de fruits ou de produits laitiers. L’on y vise un équilibre entre l’offre et la demande, pour permettre une garantie de la marge. « Le secteur doit davantage réfléchir en termes de marge. »

Enfin, il peut se tourner vers la chaîne fermée avec les marques.

« Pour les producteurs, l’un des principaux challenges réside dans l’économie circulaire. « On voit des entreprises récupérer le marc de café pour produire des champignons, d’autres se tournent vers les systèmes aquaponiques… « Il existe même un projet en Hollande qui travaille sur la production de lentilles d’eau. La totalité des lentilles produites sur 1ha détiendrait autant de protéines que 10 ha de soja… raison pour laquelle il faut bien réfléchir à la direction que l’on veut prendre.

Il poursuit : « Je suis convaincu que le bio peut tirer son épingle du jeu dans ce type de recherches et se connecter ainsi aux demandes de la société.

Car si les entrepreneurs envisagent des défis extrêmes dont les thèmes plus importants sont : rentabilité, durabilité, innovation… Le consommateur, lui, cherche consciemment le meilleur rapport qualité-prix. « Toutefois, il est prêt à payer plus pour les produits qui représentent la commodité, le plaisir, la « durabilité » et la santé. Voilà les thèmes auxquels vous, éleveurs, producteurs, pouvez répondre de manières différentes. Et cela implique de « choisir », de se positionner.

Pour l’orateur, il y a encore trois questions auxquelles le secteur doit pouvoir répondre pour avancer.

« Le bio est toujours lié à la terre or, on constate que le secteur bancaire subventionne notamment des projets d’agriculture hors-sol. Le bio est-il prêt à franchir ce pas ?

Par ailleurs, les initiatives et autres projets d’agriculture urbaine se développent. Comment le secteur bio peut se positionner par rapport à cela ?

Et de terminer par la question le bio peut-il nourrir le monde. « Là aussi il est nécessaire que le secteur puisse y répondre de manière claire, correcte et transparente. Tant que l’ensemble du secteur n’aura pas une réponse à cette question, il éprouvera des difficultés à se développer davantage.

P-Y L.

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