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Produire de la viande à l’herbe, c’est laisser le temps aux animaux de pousser!

Produire de la viande uniquement à l’herbe nécessite de la volonté et de la technicité. Marie-Line Boinon, forestière de formation, est la première chez nous à s’y être essayé avec succès. Si actuellement elle réoriente sa production, elle nous explique le cheminement d’une trentaine d’années de pratique.

Temps de lecture : 9 min

C ’est à Meeffe en province de Liège que Marie-Line Boinon a exploité la ferme familiale transmise depuis plus de quatre générations avant de déménager dans une nouvelle structure non loin de celle-ci. Installée en Hesbaye, dans la région des grandes cultures, elle se lance dans l’élevage Blanc-bleu au début des années 9O.

Marie-Line se passionne pour l’élevage. «La relation homme/animal m’a toujours intéressée. Et comme les vaches ruminent, je tenais à les nourrir essentiellement à l’herbe, ce qui n’était pas pratiqué à l’époque dans notre région.» Si personne ne la prend vraiment au sérieux, du pain sur la planche attend l’éleveuse qui doit notamment prendre ses informations en France pour tout ce qui est résultats d’analyses du fourrage, les valeurs des aliments, la culture de l’herbe…

Marie-Line sait ce qu’elle veut et s’entourent de personnes compétentes au début des années 2000. Elle s’en remet donc aux bons conseils de Fourrage-Mieux pour ce qui est des cultures de fourrage et à d’autres experts pour le suivi des rations.

Autonome, sa curiosité et son observation la pousse à persévérer. «Des années d’expérience et les explications des conseillés m’ont permis d’y arriver», poursuit l’exploitante. «J’ai d’abord repensé la nurserie. Un veau, c’est comme un bébé, il faut le choyer et le mettre dans de bonnes conditions dès le plus jeune âge. C’est là qu’on peut faire des économies! Si on rate une étape, l’animal traînera son boulet toute sa vie.» Elle élève alors un cheptel de 150 animaux.

« Quand on engraisse à l’herbe, il faut savoir les pousser mais pas trop... L’intensif c’est pas mon truc! Il faut pouvoir laisser le temps aux animaux de grandir pour qu’ils soient bien adaptés... C’est du gaspillage de vendre une vache qui ne fait pas son poids», estime-t-elle.

Mais chemin faisant, l’évolution de l’agriculture et des prix de vente des céréales et des betteraves, amènent Marie-Line et son mari à diversifier la ferme en partie vers la culture biologique et la culture des légumes et de diminuer le bétail pour récupérer du temps de travail. Pour l’année 2018, l’exploitation emblave des cultures, telles que de la betterave, de la chicorée, des pommes de terre, du froment, du triticale, de l’épeautre, de l’escourgeon et des légumes en culture bio.

Bien-être et rusticité

De la superficie fourragère, l’exploitation compte 35 % de prairies permanentes, 15 % de prairies temporaires, 10 % de luzernière. Les 40 % restants sont des cultures dérobées.

Pour l’exploitante, son élevage repose avant tout sur le bien-être et le respect des animaux. Leur rusticité va de pair avec un troupeau sain et en bonne santé. «Il doit s’adapter aux prairies pour s’immuniser. Ma réussite? Que le troupeau soit arrivé à s’adapter à leur environnement.»

Marie-Line vise une courbe de croissance du jeune bétail régulière et soutenue. Et pour s’y aider, elle opte pour une génétique qui favorise le grand gabarit et la musculature. «C’est le poids des bêtes sur la bascule à âge égal qui fait la différence du prix de vente. Nous sélectionnons aussi des souches avec de bons aplombs et une bonne production de lait pour le veau au pis.» Mais pour ce faire, la recherche d’une autonomie fourragère de qualité est indispensable pour diminuer les achats extérieurs en protéines. «On engraisse les taureaux avec du fourrage sans pour autant casser la courbe de croissance des animaux. Je vais toujours doucement. Il ne faut jamais aller trop vite! Et c’est une belle réussite!», sourit-elle.

Des fourrages...

Si l’exploitante base sa ration sur le fourrage produit sur l’exploitation, c’est parce qu’elle peut compter notamment sur de vieilles prairies, découpées en petites parcelles pour pratiquer le pâturage tournant (la rotation en moyenne tous les 10 jours), dans de l’herbe courte et riche tout au long de la saison. «Au printemps, ce qui n’est pas pâturé est fauché», poursuit- elle.

Les prairies temporaires sont implantées dans la rotation des terres de culture en fonction des besoins pendant 4 ans. Le choix du mélange composé des semences est fait avec la collaboration de Fourrage-Mieux. Les récoltes sont uniquement fauchées.

Quant à la luzernière (mélange luzerne-dactyle), elle est installée pour 3 à 4 ans dans la rotation des terres de culture. «On apprécie la luzerne pour sa résistance à la sécheresse. Chez nous, c’est une sécurité en plus!»

En ce qui concerne les intercultures, elles surviennent après la récolte de l’escourgeon. L’agricultrice réalise alors en juillet un semis d’un mélange de pois, vesces, avoine et le fauche vers fin octobre - début novembre.

Pour Mme Boinon, les avantages de ces quatre implantations sont l’étalement des récoltes sur la saison, ce qui permet une assurance sur la quantité nécessaire de fourrage et facilite ainsi l’autonomie fourragère.

«La qualité pour chaque type de fourrage est primordiale», insiste-t-elle. Les indésirables (orties, chardons, rumex, plantain...) sont fauchés à la faucheuse de refus souvent après les rotations et parfois en pulvérisant en localisé. Les trouées sont sursemées.

... pour une ration de qualité !

Une fois fauchée, l’herbe est analysée, tous comme les autres récoltes (même les foins). «La liste des coupes avec les quantités et le numéro d’analyse est ensuite encodée! Les rations seront alors calculées en fonction de chaque catégorie de bêtes et reprises dans un tableau.»

Et d’ajouter: «Il est courant de devoir compléter la ration avec de la paille ou du foin de moindre qualité pour le bétail, surtout pour les vaches.»

Les teneurs des éléments du fourrage varient selon une fourchette de 35-60% pour la matière sèche; de 800-1.000 g/kg sec pour l’énergie (VEM); de 100-220 g/kg sec pour l’azote digestible; de 120- 285 g/kg sec pour l’azote totale; de 75-190 g/kg sec de sucres totaux; de 65-85 g/kg sec de M.O. digestible; de 120- 300 g/kg sec de cellulose.

Pour l’éleveuse, la variation des teneurs varie fortement en fonction des fourrages mais dépendent aussi énormément des pratiques de récolte (et de la météo).

Elle donnera ainsi les fourrages les plus riches en protéines au jeune bétail (6 à 24 mois) et aux vaches gestantes (8 mois). Les vaches gestantes de moins de 8 mois sont soignées avec les préfanés les moins riches. Quant aux veaux mâles, ils reçoivent de l’herbe comme les femelles jusqu’à 12 mois. L’ingestion de la ration pour le jeune bétail varie autour de 10kg (entre 9-11kg) selon sa composition et pour les vaches autour de 17 kg (entre 15 et 20kg).

La bascule, une priorité!

Pour Marie-Line, quand on engraisse des animaux, il faut connaître précisément leur poids pour suivre l’évolution des croissances à chaque changement alimentaire. «Nous avons donc acheté une bascule. Pour la vente du bétail de réforme et d’engraissement, l’outil m’a clairement permis d’affiner mon métier.»

Faire croître et engraisser les mâles avec du fourrage n’est pas chose courante. «La bascule nous a permis de chiffrer les performances et de pouvoir corriger la ration si nécessaire afin de mettre en route nos choix alimentaires. Les pesées ont été effectuées à la naissance et à chaque changement alimentaire : au sevrage (3-4 mois), 9 mois, 12 mois, 14 mois et à la vente en moyenne 16 - 18 mois.

Quand on engraisse des animaux, la balance est un outil indispensable  pour connaître exactement le prix de vente par animal.
Quand on engraisse des animaux, la balance est un outil indispensable pour connaître exactement le prix de vente par animal. - P-Y L.

Des mélanges maisons

Et d’en venir aux changements alimentaires. «Jusqu’à 9 mois, les mâles sont nourris comme les femelles à base de fourrage riche, du foin et du mélange élevage maison. De 9 à 12 mois, le mélange concentré est augmenté, à savoir 3kg/jour/animal».

A 1 an, la quantité de préfané ne varie pas mais la proportion de mélange élevage est augmentée progressivement. Ce dernier est également complémenté par un mélange engraissement maison.

A 14 mois, il leur est toujours donné du préfané avec un mélange engraissement qu’on augmente progressivement. De 16 à 18 mois, la ration est composée de préfané et du mélange engraissement à volonté jusqu’à la vente.

«Nous avons choisi de faire les mélanges concentrés maison pour la régularité de la qualité du produit, pour la constance des croissances du bétail et pour le prix. Pour ce faire, nous travaillons avec les camions mélangeurs luxembourgeois.»

Et Marie-Line de préciser: « Le mélange élevage est composé de 70% de nos céréales bien aplaties (60% d’épeautre et 10% d’orge) ; par pure éthique, les protéines ne contiennent pas de soja, elles sont un mélange de 50% de tourteau de lin, de 25% des plaquettes de colza et de 25% de germes de maïs produits indigènes si possible; auxquels on ajoute des minéraux.»

Le mélange engraissement est quant à lui composé de pulpes sèches, d’orge aplati, de protéines (comme le mélange élevage), de minéraux et sel.

Ce qui est intéressant de voir par sa pratique c’est qu’à base de fourrages produits essentiellement sur l’exploitation, en moyenne, la croissance journalière est d’1,3 kg/ animal de la naissance à la vente! «C’est notre fil conducteur! Je suis très ordonnée dans la manière de les nourrir. J’aime que les panses soient bien remplies.» Notons que le gain quotidien moyen à l’engraissement est d’1,5 kg. Il varie généralement de 1,2 à 1,9kg.

Si Marie-Line regrette ne pas avoir investi dans une mélangeuse pour affiner davantage ses mélanges, elle voit pourtant un avantage difficilement chiffrable à sa méthode de travail: la bonne santé des animaux. Ce qui entraîne moins de frais vétérinaire et une régularité de la croissance. «Une grande partie du bénéfice se trouve là», estime-t-elle.

Un bon départ pour les animaux

Grâce à sa pratique, Marie-Line reste très sereine durant la période des vêlages.

«Les mères sont en bon état pour le vêlage, elles se délivrent après quelques heures et se remettent à ruminer très vite. Le colostrum est en quantité et de qualité constante.» Une moyenne à la 1ère traite à la machine? «Cela varie de 2,5 à 6 l, soit une moyenne de 4,3 l. Les veaux à la naissance sont donc vigoureux. Le poids à la naissance n’a pas d’influence sur leur agilité. J’ai eu des veaux de 90 kg qui se levaient tout de suite.»

Dès leur plus jeune âge, les animaux sont habitués à manger du fourrage en grande quantité. Par la suite, ils ont généralement très peu de problème de digestion.

D’un point de vue fourrage, il est distribué en fonction de sa qualité et des besoins du bétail. La diversité des récoltes permet d’augmenter les apports comme par exemple la luzerne qui donne un pelage luisant et apporte du persillé à la viande.

La transition entre la ration hivernale et la mise en prairie se fait par ailleurs plus en douceur.

Du temps et de la technicité

Si travailler de la sorte présente bon nombre d’avantages, il requiert énormément de travail pour l’agricultrice. «Nourrir comme je le fais demande un travail d’astreinte important. Les coupes successives des différents fourrages entraînent un surcroît de travail important, surtout pendant les périodes intenses».

En outre, la gestion de la culture d’herbe demande une certaine technicité culturale et de la rigueur d’observation, « car la qualité du fourrage recherchée oblige une réaction rapide par rapport à la météo et un suivi du stade de développement du fourrage».

Les fourrages doivent donc être analysés afin d’en connaître les teneurs et de prévoir le calcul des rations pour les différents lots d’animaux.

Mais elle relativise: «Je reste persuadée que l’association élevage-grandes cultures est idéale. On pourrait presque travailler en autarcie!»

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