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Une belle américaine devenue une star en Europe

L’histoire de la pomme ‘Jonagold’ que nous allons vous relater ici démontre bien que le succès d’une variété fruitière nouvelle est le résultat du concours de quelques conditions initiales et de plusieurs circonstances fortuites, ainsi que de l’action de quelques personnes motivées.

Temps de lecture : 9 min

P our qu’une nouvelle variété fruitière remporte un certain succès, il faut en premier lieu qu’elle présente une série de qualités indéniables : un goût équilibré et agréable, un aspect attrayant, une productivité satisfaisante, une facilité à la cultiver et à la conserver, une bonne tenue à la commercialisation, ainsi qu’un bon comportement face aux multiples bio-agresseurs présents dans le verger.

Il faut aussi que cette variété trouve des terroirs où elle exprime au mieux ses qualités grâce au climat, au microclimat et au sol.

Le facteur humain intervient aussi. Il faut que la variété trouve des arboriculteurs expérimentés, qui, sur base de ses potentialités, croient en son avenir.

Il faut enfin que le secteur commercial soit le prolongement efficace des efforts consentis par les fructiculteurs, en organisant le lancement et la promotion de la variété.

Comme nous allons le voir, ‘Jonagold’, qui a été diffusée en Belgique à partir des années 1970, est un bel exemple de réussite de ce processus complexe. Ce n’est pas un hasard si elle est devenue depuis quarante ans la variété dominante de notre assortiment de pommes.

Sa carte d’identité

La pomme ‘Jonagold’ est née en 1943 aux États-Unis, sélectionnée dans un programme de croisements en cours à la station de recherches de Geneva dans l’état de New-York sous la direction du professeur D. Way. Ses parents sont ‘Golden delicious’ et ‘Jonathan’. La première était à l’époque la variété dominante de l’assortiment mondial de pommes, et la seconde était encore une variété importante, très utilisée aux États-Unis dans les programmes d’amélioration, ce qui explique sa nombreuse descendance.

Le fruit est de gros calibre, de forme ovale large, avec un pédoncule long, mince, ligneux. L’épiderme a une coloration de fond vert-jaune devenant jaune vif, avec un recouvrement lavé et strié rouge-orange sur un à trois quarts de la surface. Les lenticelles sont gris-clair. À pleine maturité, l’épiderme devient cireux.

La chair est tendre, blanc-crème, juteuse, ne brunissant pas à l’air, de très bonne qualité gustative : très sucrée, moyennement acide, très parfumée, sans amertume.

La récolte se pratique en trois passages successifs en fonction de l’évolution de la coloration de fond : par exemple dernière semaine de septembre, première (ou deuxième) semaine d’octobre et troisième semaine d’octobre.

Si ‘Jonagold’ est cueillie au stade optimal, sa conservation naturelle en cave va jusque décembre-janvier, en frigo jusqu’en mars et en atmosphère modifiée jusqu’en juillet-août. Une cueillette trop tardive raccourcit la durée de conservation.

La variété ‘Jonagold’ a été diffusée libre de tous droits de reproduction et de culture. Ce n’est pas le cas pour les mutants dont il est question plus loin.

Ses atouts et points faibles

La variété ‘Jonagold’ est triploïde, ce qui signifie que la vigueur de l’arbre est bonne à forte, que le fruit est gros, que la fécondation demande une attention particulière (choix et nombre des pollinisateurs), et que son pollen est de mauvaise qualité pour les autres variétés.

L’arbre est facile à former, à conduire en fuseau et à tailler : il comporte un nombre limité de ramifications. En basse-tige, on greffera sur un clone de Malling 9, et on évitera les sujets porte-greffe plus vigoureux.

La floraison se situe en moyenne saison, en même temps que la majorité des autres variétés. La fertilité est précoce, forte, peu alternante. En ce qui concerne les maladies, on retiendra une sensibilité particulière à l’oïdium qui lui vient de son géniteur ‘Jonathan’.

L’aspect extérieur très attrayant et la très bonne qualité gustative, même après une conservation longue, sont les atouts majeurs de ‘Jonagold’.

Toutefois, le caractère peu croquant de la chair semble moins apprécié, surtout par les consommateurs jeunes. Une récolte trop tardive et une conservation trop longue accentuent encore ce point faible.

La meilleure qualité gustative est obtenue sur les fruits de bon calibre et bien colorés. Pour cela, un éclaircissage des fruits en juin et une taille des pousses en surnombre à la fin du mois d’août seront nécessaires. La prise de couleur est favorisée en fin d’été par une alternance de journées chaudes et de nuits fraîches et la formation de rosée qui s’évapore au lever du jour. Ceci explique que ‘Jonagold’ se colore moins ou trop peu dans les régions où la seconde moitié de l’été est trop chaude.

Le calibre des fruits peut parfois être excessif si la charge est trop faible : sur des arbres jeunes ou après un gel printanier. Les calibres 85-90 mm (fruits de 250 g !) se conservent moins bien et sont moins appréciés par le commerce que les calibres moyens.

Lorsque la floraison a été abondante et les conditions climatiques favorables à la nouaison des fleurs, le calibre des fruits risque d’être trop petit : un éclaircissage s’impose. Il permettra aussi d’éviter d’entrer en alternance.

Une famille nombreuse

Dès la diffusion de ‘Jonagold’ et davantage encore après la production d’arbres exempts de viroses, on a pu observer son aptitude marquée à produire des mutations à fruits plus colorés. Dans les années 1990, on en comptait plusieurs dizaines, qui ont été classées en plusieurs groupes distincts :

– fruits striés de rouge sur fond vert-jaune = ‘Jonagold standard’;

– fruits lavés de rouge sur fond vert-jaune = par exemple ‘Vivista’;

– fruits entièrement lavés de rouge très foncé = par exemple ‘Red Prince’;

– fruits entièrement lavés et striés de rouge foncé = par exemple ‘Novajo’ ou ‘Jonagored’.

Ces mutants peuvent aussi se différencier de ‘Jonagold standard’ par la date de récolte, la vigueur, la fertilité, l’état sanitaire (virosé ou assaini), le calibre et la forme des fruits…

Parmi eux, il faut mentionner ‘Jonagored’, mutant découvert en 1980 dans l’exploitation de Jos Morren, à Halen (Pays-Bas). Le fruit est lavé et strié de rouge foncé sur trois quarts à la totalité de la surface. Par une sélection rigoureuse, la présence de secteurs chimériques non colorés est maintenant évitée.

La place de ‘Jonagold’

dans l’économie fruitière

L’introduction de ‘Jonagold’ en Belgique vers 1967 est attribuée à deux acteurs importants du secteur fruitier belge : Je Decoster, arboriculteur à Glabbeek et conseiller technique au Boerenbond belge, et Jo Nicolaï, pépiniériste et arboriculteur à Gorsem. Ils auraient ramené du bois de la variété et de quelques autres d’un voyage d’études aux États-Unis. À la même époque, en France, le pépiniériste Charles André (pépinières du Valois, à Villers-Cotterêts) aurait également reçu la variété.

Mise en culture dans les conditions climatiques belges et greffée sur un sujet faible, ‘Jonagold’ a rapidement impressionné les spécialistes par l’ensemble de ses qualités.

À la fin des années 1960, comme dans toute l’Europe, l’arboriculture fruitière belge était confrontée à une crise très grave, due à une surproduction structurelle de ‘Golden delicious’. On recherchait activement une alternative, et ‘Jonagold’ est arrivée à point nommé.

Dans les années 1970, elle fut plantée à grande échelle dans les exploitations fruitières existantes. La commercialisation s’organisa via certaines criées coopératives, par exemple initialement celle de Glabbeek. Les prix obtenus alors laissent rêveur ! Jusqu’à 35 francs belges (= 0,9 €) par kg pour le premier choix. L’argent frais ramené dans les entreprises permit la modernisation des équipements.

Cette situation florissante attira l’attention d’investisseurs : propriétaires terriens, exploitants agricoles et autres. La décennie 1980 fut caractérisée par la plantation de 1.000 nouveaux hectares de vergers (de ‘Jonagold’ principalement) chaque année. Cela signifie que cinq ans plus tard, la production belge de ‘Jonagold’ allait augmenter de 40.000 à 50.000 t que le marché devrait absorber.

Cette décennie fut exempte de gelées printanières, puis le gel catastrophique de 1991 fut une dure leçon pour certains. Par la suite, inévitablement, le prix de ‘Jonagold’ diminua. Il se situe actuellement sous le prix de revient.

À l’étranger, ‘Jonagold’ a connu un développement modéré aux Pays-Bas (où on avait opté pour ‘Elstar’). En Allemagne, elle fut plantée en Rhénanie et principalement au lac de Constance. En Italie, elle s’implanta dans la région autonome du Sud-Tirol. Dans le Nord de la France, quelques entreprises se diversifièrent avec ‘Jonagold’. En 2000, l’Europe a produit 950.000 t de ‘Jonagold’, dont 37 % en Belgique, 31 % en Allemagne et 19 % aux Pays-Bas.

Après 2000, la surface totale des vergers belges de pommiers commença à diminuer en raison du faible niveau des prix et du remplacement par des poiriers ‘Conference’ et le mouvement s’est accentué après 2010, mais ‘Jonagold’ + ‘Jonagored’ restent les leaders de la production belge de pommes.

Dans le verger des amateurs

Si ‘Jonagold’ domine en Belgique l’assortiment commercial des pommes, elle peut aussi figurer dans un verger d’amateur où, grâce à l’ensemble de ses qualités, elle procurera de belles satisfactions moyennant quelques conditions.

Au départ, on choisira des arbres basse-tige de deux ans bien ramifiés, greffés sur Malling 9. Ils seront conduits en fuseau plutôt qu’en buisson afin d’assurer un bon éclairement de toute la ramure. Le clone proposé par les pépiniéristes peut être soit une ‘Jonagold’ bicolore lavée-striée, soit ‘Jonagored’. Il faudra prévoir aussi un bon pollinisateur : par exemple ‘James Grieve’, ‘Elstar’ ou ‘Melrose’. Les distances de plantation seront au minimum 3,5 x 1,7 m, soit 6 m² d’espace libre par arbre.

La hauteur maximum atteinte sera de 2,75 m. La taille conférera à la couronne une forme conique. L’axe central vertical portera une série de branches plus ou moins horizontales simples ou peu ramifiées que l’on amène à cette position en les inclinant à l’aide de ficelles. Entre deux branches qui se superposent, l’espace doit être d’au moins 35 à 40 cm.

Les rameaux trop érigés ou en surnombre sont supprimés par une taille d’été pratiquée fin août, ou lors de la taille d’hiver. On assure ainsi un bon éclairement direct dans la couronne.

Si la floraison a été abondante et si les conditions climatiques ont été favorables à la fécondation des fleurs, il sera nécessaire de pratiquer après la chute de juin un éclaircissage manuel en ne laissant qu’un seul fruit par 10 cm de rameau.

La lutte contre la tavelure doit être envisagée en fonction des conditions climatiques du printemps. Habituellement quatre traitements sont effectués : le premier lors de l’éclosion des boutons, le deuxième juste avant la floraison, le troisième en fin floraison et le quatrième vers la fin du mois de mai. Si le printemps est très pluvieux, des traitements intermédiaires peuvent être nécessaires ; s’il est sec, l’un des quatre traitements peut être superflu. L’oïdium sera contrôlé en enlevant les pousses blanchâtres qui se développent dès le mois de mai, et lors de la taille hivernale.

La récolte se fait en trois passages successifs pour les ‘Jonagold’ bicolores lorsque la coloration de fond passe du vert au jaune, et en deux fois pour les mutants entièrement colorés : fin septembre et mi-octobre.

Dans un jardin, la durée de vie utile des arbres est d’environ vingt ans et peut-être davantage, en fonction des soins qui leur sont accordés. Dans un verger professionnel, elle est plus courte parce qu’avec l’âge des arbres, la coloration des fruits tend à être moins intense.

Ir. André Sansdrap

Wépion

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