Accueil Filière bois

La diversité variétale des fruits: source d’usages et de plaisirs multiples!

Chacune de nos espèces fruitières compte un grand nombre de variétés, obtenues à l’état naturel ou grâce à l’homme. Maintenir cette diversité est essentiel, en vue de résoudre certains problèmes qui surviendraient dans les vergers. Quant aux consommateurs, ce panel d’aspects et de goûts leur procure de multiples plaisirs lors de leur dégustation, utilisation en cuisine ou après transformation.

Temps de lecture : 11 min

R ien que pour les pommes, le nombre de dix mille variétés est souvent avancé, et pour certains il serait encore en dessous de la réalité. Il en va de même pour les vignes : on évoque « plusieurs milliers de cépages », sans plus de précisions.

Une si grande diversité explique pourquoi une espèce fruitière peut se cultiver avec succès dans des conditions de milieu (sols et climats) fondamentalement différentes. Elle constitue aussi un patrimoine vivant d’une extraordinaire richesse, qu’il convient de conserver pour lui-même, et afin que le génome de chaque variété puisse encore être utilisé par les générations futures.

Comme beaucoup d’arbres sont multipliés par greffage, à la diversité des variétés s’ajoute encore la diversité des sujets porte-greffe, qui influencent fondamentalement le comportement des arbres. Nous évoquerons ce sujet ultérieurement.

Quelles sont les origines et les explications à donner à une aussi grande diversité des variétés fruitières ? Une question vaste à laquelle cet article tentera d’apporter des réponses.

Quelle origine ?

Deux processus fondamentalement différents peuvent être à l’origine des variétés fruitières anciennes et actuelles : l’hybridation et la mutation de bourgeons. Dans l’avenir, il est probable que le génie génétique viendra y participer.

L’hybridation a produit le nombre le plus important de variétés nouvelles. Il peut s’agir de semis du hasard (= de parents inconnus), de semis de graines issues de libre fécondation (= de mère connue et de père inconnu), ou de semis de graines issues de croisements dirigés (= de mère et de père choisis).

Il faut rappeler ici que les règles de base de la transmission des caractères ne sont connues que depuis un peu plus d’un siècle, lorsque les lois formulées par Mendel une cinquantaine d’années plus tôt ont été vérifiées et diffusées dans le monde scientifique. Mais les praticiens avaient pu observer depuis longtemps des cas de transmission de certains caractères, qui furent qualifiés de « caractères dominants », et des cas de reproduction fidèle de l’ensemble des caractères lors des autofécondations.

Dans tous les cas, une nouveauté provient de la recombinaison des gènes (= des caractères) d’un ovule d’une variété et d’un grain de pollen d’une autre variété. Le plant issu de la graine est dit « homozygote ».

Les semis du hasard

Ici, un plant issu du semis spontané d’une graine est remarqué, collecté, conservé et multiplié si ses caractéristiques sont intéressantes. Ce procédé, qui peut sembler archaïque, serait pourtant à l’origine de la pomme la plus cultivée au monde, ‘Golden delicious’, trouvée dans un sous-bois en Virginie (États-Unis) vers 1890, et de la pomme ‘Granny Smith’, un semis spontané trouvé, dit la tradition, vers 1860 sur le compost d’un jardin dans la région de Sidney (Australie).

Sur base d’une ressemblance des fruits, la première pourrait être issue de la variété ‘Grimes golden’ largement répandue aux États-Unis pendant tout le 19e  siècle, et la seconde de la très ancienne variété ‘French crab’ introduite de France en Angleterre à la fin du 18e  siècle. Dans les deux cas, il est probable qu’en se débarrassant d’un trognon de pomme, un humain a joué un rôle dans la dispersion des pépins. Le même mécanisme pourrait expliquer le parcours du pommier d’Orient vers l’Occident en suivant la « Route de la Soie ».

Ce rôle peut parfois être joué par différents animaux. Ainsi, nous avons observé en 2017 dans notre verger de Malonne un noyer issu de semis naturel. Il n’existe pas de noyers dans le voisinage, mais des corneilles qui logent dans une peupleraie vont s’approvisionner en noix à grande distance et laissent occasionnellement tomber au passage la noix qu’elles ont dans le bec. On se rappelle ici la fable de La Fontaine ! Fin 2018, ce scion avait plus d’un mètre de haut, et il faudra attendre quelques années avant d’observer et juger les fruits.

De nombreux autres cas similaires peuvent être mentionnés.

Les semis de graines issues de libre fécondation

Il s’agit de graines récoltées sur une plante de variété connue, mais dont les fleurs ont été fécondées par du pollen d’origine non contrôlée : nécessairement d’une autre variété chez les espèces autostériles, de la variété même ou d’une autre variété chez les espèces auto-fertiles (pêcher, griottier…).

Le semis de graines est pratiqué notamment en vue de produire des sujets porte-greffe, et certains individus de la population ont été retenus à part en raison de certains caractères : la croissance, l’aspect et l’état sanitaire du feuillage… jusqu’au moment où, quelques années plus tard, ils fructifieront pour la première fois. Ainsi, chez le pommier, des plants triploïdes (= à 3n chromosomes) peuvent être aisément repérés, et on sait par expérience qu’ils produiront généralement des fruits de gros calibre.

La même méthode a été utilisée par les obtenteurs des siècles précédents qui avaient observé que certains caractères se transmettaient avec une bonne régularité. L’inconvénient du procédé est le temps nécessaire entre le semis et l’obtention des premiers fruits. Cela oblige à cultiver pendant plusieurs années un grand nombre de plants qui se révéleront sans intérêt. Ces obtenteurs étaient souvent des personnes aisées pour qui il s’agissait d’une activité de prestige, sans but économique.

Dans toute l’Europe, le 18e et le 19e  siècle furent l’âge d’or des obtenteurs. Pour la Belgique, on retiendra les noms de l’abbé Hardenpont, Jean-Baptiste Van Mons, le Major Esperen, Alexandre Bivort, et tant d’autres, qui s’illustrèrent par la création de quelques variétés de pommes et d’innombrables variétés de poires.

Les semis de graines issues de croisements dirigés

Des hybridations entre variétés et parfois entre espèces ont été effectuées bien avant que soient connues les lois qui régissent la transmission des caractères. Avant épanouissement, une fleur est débarrassée de ses étamines et emballée, puis lorsque le ou les styles sont réceptifs, on y dépose le pollen d’une autre variété, puis on réemballe la fleur. Il reste à attendre le fruit mûr et à en recueillir la ou les graines, à procéder au semis après stratification. Par la suite, plusieurs sélections devront être faites dans les semis.

Une première sélection concerne les maladies cryptogamiques et bactériennes. Elle permet d’éliminer précocement les individus particulièrement sensibles, qui n’ont pas d’avenir. Par exemple, des semis de pommiers peuvent être soumis à une suspension de spores de tavelure au stade 3 à 5 feuilles, et jugés deux à trois semaines plus tard.

La durée de la phase juvénile varie selon les espèces. Les pommiers fleurissent une première fois après environ 4 ans, les poiriers après 5 à 7 ans. Si un programme de création de variétés prévoit plusieurs croisements successifs, sa durée totale peut s’étendre sur plusieurs dizaines d’années.

Heureusement, les biotechnologies permettent de le raccourcir considérablement en utilisant sur des semis âgés de quelques semaines des marqueurs moléculaires liés à différents caractères du futur individu. Ainsi, pour le pommier, peuvent être jugés la résistance à la tavelure et à l’oïdium, au feu bactérien, aux pucerons, ainsi que la qualité des fruits (fermeté de la chair, acidité…) et la croissance.

Le pourcentage d’individus retenus pour un caractère dépend de l’intensité du travail effectué sur l’espèce dans le passé. Il est plus élevé chez une espèce qui a été peu étudiée que chez une espèce où un travail considérable d’amélioration a été effectué. En général, sur pommier, à chaque génération, 1 à 5 individus sur 1000 sont retenus pour des tests ultérieurs. Finalement, après plusieurs générations, le pourcentage retenu sera infime, de l’ordre d’un sur dix mille.

L’étape suivante consiste à juger selon de nombreux critères les individus retenus pendant plusieurs années dans les conditions de la pratique, à différents endroits. Ceux qui satisfont à cet ensemble de tests recevront un nom et une protection juridique, puis ils pourront être diffusés.

La sélection de mutation de bourgeons

On appelle « mutation » une variation brusque, spontanée d’une plante suite à une modification du patrimoine génétique survenue dans un méristème. Si la totalité du bourgeon a été impactée, la pousse qui en est issue est intégralement modifiée. Mais la modification peut n’être que partielle ; on parle alors de « mutation chimérique ». Si elle affecte un secteur de la pousse, la mutation est dite sectorielle ; c’est le cas des plantes présentant une panachure des feuilles et des fruits. Elle peut aussi n’affecter que les cellules de l’épiderme ; on parle alors de « chimère péricline » ; c’est le cas des ronces fruitières sans épines, dont les tissus profonds portent encore le caractère épineux.

Chez les espèces fruitières, les modifications qui affectent les fruits sont celles qui se remarquent le plus facilement : coloration différente en lavis ou striée, rugosité. D’autres peuvent modifier le mode de croissance, la vigueur, la date de floraison et l’époque de maturité…

La plante mutée sera multipliée par greffage de bourgeons. Dans le cas de chimères sectorielles, les bourgeons prélevés peuvent être implantés soit dans le secteur muté, soit dans le secteur non muté, soit dans le secteur partiellement muté. Ceci explique les cas de non-ressemblance avec l’individu de départ. Chez les chimères périclines, un bourgeon qui naît dans le tissu profond aura les caractères du type initial.

En raison de la forte tendance naturelle de certaines espèces fruitières à muter, il semblait logique de tenter d’induire artificiellement des individus à muter, en soumettant des rameaux à un rayonnement X ou gamma. Les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances.

Actuellement, la plupart des mutations diffusées sont d’origine naturelle : à fruits plus colorés (par exemple les nombreux mutants de ‘Jonagold’, d’Elstar’ ou de ‘Gala’) ou plus gros (‘Queen Cox’s’), à vigueur faible (spurs de ‘Golden delicious’ ou ’Red delicious’), à branches non ramifiées (mutant colonnaire ‘Wijcik’ de ‘Mac Intosh’). La pomme ‘Belle de Boskoop’ diffusée en 1853, qui compte elle-même plusieurs mutants pourrait être une mutation de la ‘Reinette de Montfort’.

Aussi dans votre verger

Le patrimoine variétal fruitier est immense. Et il convient de le conserver en tant que tel, et afin que les génomes de ces variétés puissent permettre un jour ou l’autre de résoudre certains problèmes nouveaux. Vu leur grand nombre, pour chaque espèce, il n’est pas envisageable ni prudent de créer un conservatoire unique.

Il existe en Europe plusieurs conservatoires dont les activités sont coordonnées par le « Réseau européen pour les ressources phytogénétiques ». En Belgique, plus de 2.200 variétés fruitières sont conservées au Centre wallon de recherches agronomiques de Gembloux. En France, l’Institut national de recherches agronomiques gère les conservatoires d’Angers, Bordeaux et Manduel. Au Royaume-Uni, le National fruit trials de Faversham conserve un très grand nombre de variétés fruitières. D’autres encore existent dans d’autres pays. La gestion de telles infrastructures est très coûteuse en espaces, en matériel et en personnel, comme le sont tous les musées. La conservation d’êtres vivants « in-vitro » est certes nettement moins coûteuse, mais elle peut présenter des risques de mutations involontaires.

Pour les arboriculteurs amateurs, qui regardent autant vers les variétés du passé que vers les variétés actuelles, le nombre de variétés proposées à la vente par les pépiniéristes peut sembler infime en comparaison avec le total des variétés existantes. Il permet pourtant de créer dans le jardin une belle diversité qui pourra répondre à ses attentes. On peut encore trouver en Belgique 40 à 60 pommes, 15 à 30 poires, 15 à 30 cerises, 15 à 30 prunes, et 5 à 10 pêches. Si on compare ces chiffres à ceux du catalogue Chotard de 1941-42, l’assortiment de poires et de pêches a été réduit des deux tiers, et celui des pommes et des cerises d’un quart.

Depuis 2013 existe en Belgique la charte « Certifruit » à laquelle ont adhéré une quarantaine de pépiniéristes et revendeurs d’arbres fruitiers. Cette association effectue un travail considérable en faveur de nos anciennes variétés fruitières : sélection, diffusion de matériel végétal certifié (les 28 variétés R. G.F. et une cinquantaine de variétés traditionnelles), informations techniques permettant de choisir des arbres en parfaite connaissance de cause… Toutes les informations et la liste des adhérents sont sur www.certifruit.be.

Dans l’assortiment variétal de fruits qui est proposé dans le commerce de détail, la réduction est très importante. La grande distribution, qui représente en volume les trois quarts des ventes de fruits, se limite toute l’année à quelques variétés bien typées, et occasionnellement quelques variétés de saison. Ceci explique pourquoi la plupart des arboriculteurs professionnels se focalisent sur les variétés les plus demandées. D’autres par contre diversifient leur production vers des produits de niche, commercialisés en circuit plus ou moins court.

Ir. André Sansdrap

Wépion

A lire aussi en Filière bois

Barwal: «C’est le mariage du travail du tonnelier et du vigneron qui donne son caractère au vin»

Un savoir-faire à perpétuer La Belgique compte de plus en plus de vignerons faisant vieillir leurs vins en fûts de chêne… belge. En effet, depuis 2020, Barwal leur propose une alternative aux contenants traditionnellement français, produite en circuit court et « à la carte ». Cette particularité permet d’ailleurs à la jeune société d’accompagner et de conseiller les professionnels de la vigne dans leurs choix pour que chaque vin élaboré soit unique.
Voir plus d'articles