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Nos briques et nos pierres

Carcasses de pierres alanguies aux larges façades décolorées, nos vieilles fermes dressent aujourd’hui leurs vastes silhouettes anachroniques au milieu d’habitations modernes aux lignes impertinentes. Parfois hélas devenues chancres ruraux, elles constituent les témoins d’un passé révolu, et s’effacent peu à peu des paysages intérieurs de nos villages, en même temps que les derniers agriculteurs. Autrefois lieux d’une intense vie familiale et sociale, elles semblent avoir perdu toute raison d’être avec la disparition de leurs occupants. Toute chaleur semble les avoir désertées depuis l’arrêt de leurs activités, vastes bâtisses silencieuses aux murs décrépis, aux toits avachis par le poids des ans et des regrets. Que vont-elles devenir ?

Temps de lecture : 4 min

À dire vrai, jusque dans les années 1960, chaque maison villageoise comptait au moins une petite étable, une porcherie, un poulailler et une grange, sans oublier un potager et un verger. Même l’instituteur, voire le curé, disposait d’une petite ferme pour subvenir à ses besoins primaires en nourriture. Papa disait toujours qu’il n’était pas très instruit parce qu’il avait été « à l’école du temps où le Maître allait encore aux flattes (bouses de vaches) »  ! Cette vie traditionnelle paysanne s’est perdue au fils des ans, avec la modernisation galopante de notre monde rural d’après-guerre 40-45. Les aliments de base sont devenus disponibles en grande quantité, et à bas coût. « Merci » la PAC ! L’activité agricole a perdu la plupart de ses acteurs, et tous ces petits bâtiments conçus pour abriter du bétail ou des fourrages ont été reconvertis en habitations spacieuses, quand ils ne furent pas rasés, purement et simplement.

Seules les grosses fermes ont résisté à cette tornade des années 1970-80. Elles se sont même étendues, par la construction d’étables en charpentes métalliques, d’appentis de toutes sortes parfois hétéroclites, édifiés souvent sans permis de bâtir. Il fallait désormais abriter un cheptel de plus en plus important, ranger les tracteurs, moissonneuses, remorques et machines de toutes natures. L’hémorragie du monde paysan s’est-elle stoppée pour autant ? Que nenni ! La mécanisation, la motorisation et toutes les techniques modernes ont conduit les agriculteurs à s’agrandir sans cesse, à se concurrencer les uns les autres de manière parfois sauvage, poussés dans le dos par les investissements à rembourser et une recherche de rentabilité qui s’apparente à une éternelle fuite en avant. Tous ces bâtiments accolés à la ferme-mère, vieux de trente, quarante ans, occupent aujourd’hui de larges espaces. Ils ont perdu en grande partie leur fonctionnalité. Les tôles rouillent et les murs gondolent. Les fermiers aussi rouillent et gondolent. La plupart d’entre eux approchent ou dépassent la soixantaine ; les successeurs sont rares, et n’ont que faire, de toute façon, de ces vieux hangars moches et désuets, sans aucune valeur ni utilité financière. Les jeunes préfèrent installer leur exploitation en-dehors des villages, là où personne ne les embêtera, ni l’Urbanisme, ni les voisins qui n’aiment plus trop l’odeur des vaches.

Je me répète : que vont devenir nos vieilles fermes, quand les papy-boomeurs des années ’50 et ’60 auront pris leur retraite et mis définitivement la clef sous le paillasson ? Pour répondre à cette question, il suffit de se balader dans les petits villages ruraux. Ainsi, l’autre jour, je suis tombé en arrêt devant une montagne de pierres et de briques, en attente d’être évacuée. C’est tout ce qu’il restait d’une bâtisse incroyable, édifiée fin 18e, début du 19e siècle à l’emplacement d’un prieuré. La rénover aurait coûté trop cher, tout tombait en ruine, m’a avoué le fils de la maison, héritier de sept générations de cultivateurs. Il aurait fallu plus de cinq cent mille euros ! Pour réparer les toits, isoler les murs, installer le chauffage central, rénover l’électricité, etc., etc. Il a tout de même gardé les caves voûtées, en guise de fondations pour sa future nouvelle construction. Dans cette ancienne maison vivait autrefois une famille nombreuse : les parents, les enfants, les grands-parents, ainsi que plusieurs domestiques logés dans des pièces à la grange. Les murs étaient quasi cyclopéens, larges à leur pied d’un mètre vingt ; ils étaient percés d’étroites fenêtres, de portes massives. Deux yeux de bœuf, percés au-dessus de la grande bouche de la grange, semblaient vous observer sous la frange du chéneau. Une lourde toiture couverte de cherbins donnait à l’ensemble un aspect de forteresse, que ni les intempéries ni les années ne pouvaient altérer. Il a fallu moins de deux jours pour réduire cette remarquable maison, orgueilleuse et forte, en un vulgaire tas de gravats, destinés à remblayer quelque fond de route perdue au milieu de la campagne.

Nos vieilles fermes connaîtront-elles semblable destin funeste ? Certaines sont reconverties en immeubles à appartements, quelques rares en Maisons de Village, mais pratiquement aucune ne garde sa fonction première. Dans moins de vingt ans, elles ne seront plus qu’un lointain souvenir, à l’image de leurs anciens occupants, nous autres paysans…

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