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Quel salaire pour les petites mains agricoles?

Il s’agit là pour moi d’un mystère insondable, digne de celui de la Grande Pyramide, ou du trésor des Templiers : comment fixe-t-on les prix agricoles ? Quelle logique régit-elle les processus de calcul ? Ont-ils été établis de manière aléatoire, selon l’humeur du jour des vendeurs et des acheteurs ? Ces questions sont cruciales, car ces prix déterminent nos revenus et conditionnent notre avenir ; ils dictent nos choix, soutiennent nos efforts, dessinent nos projets. Le plus souvent, ils ne reflètent pas la valeur que nos produits ont à nos yeux, ce qu’ils nous ont coûté en termes d’efforts consentis pour les obtenir. Un profond sentiment d’injustice nous assaille, quand nous vendons pour un prix dérisoire notre lait, nos animaux, nos céréales et autres denrées. Pourquoi nos prix sont-ils toujours trop bas ?

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En toute logique, si une juste rétribution nous était légitimement accordée, il suffirait de partir de la base pour fixer les prix à la ferme. Prenons celui du lait. On additionne tous les frais et on les divise par le nombre de litres de lait produits. Bien entendu, d’une exploitation à l’autre, le coût de production serait variable ; on pourrait prendre une moyenne médiane au niveau régional, y ajouter un salaire pour l’agriculteur, et le tour serait joué. De même, les prix du froment, des cochons, des œufs, des bovins…, pourraient être calculés de cette manière équitable, trop honnête pour être réelle, trop naïve pour être belle.

Cessons de rêver. Dans la vraie vie, dans notre monde impitoyable où le commerce impose ses lois, la fixation des prix s’effectue dans le sens contraire. Au lieu de remonter l’échelle, on la descend, et c’est nous qui sommes au dernier échelon. Si on prend par exemple le berlingot d’un litre de lait entier, vendu à 75 centimes, ou le kilo de steak premier choix à 17 €, on arrive en début de chaîne à l’étable au prix de 30 centimes/litre lait, au kilo de carcasse BBB culard à 4,75 €. Les intermédiaires ont pris chacun leur bénéfice ; ils ont fixé leur propre salaire. Peu leur chaut de savoir ce que l’agriculteur a gagné (ou perdu), s’il lui reste de quoi vivre. « Jamais contents, ces cultos ! De quoi se plaignent-ils ? Demain, si on leur donne un meilleur prix à l’achat, ils vont se mettre à traire comme des fous et bâtir des étables de mille bêtes. Ils ont de toute façon les aides de la PAC pour compenser leur marge, qu’ils disent négative… »

Ce discours, nous l’entendons à longueur d’année, auprès de nos acheteurs et fournisseurs. Les « primes » ne suffisent plus, loin s’en faut, mais elles expliquent tout, excusent tout, donnent bonne conscience à ceux qui fixent les prix agricoles sans tenir compte des réalités de la ferme. Ils tirent un maximum sur la ficelle parce que, disent-ils, les consommateurs veulent se nourrir pour sans cesse de moins en moins cher, s’habiller pour trois fois rien avec des vêtements cousus par des petites mains asiatiques, prendre l’avion pour 50 € jusque Djerba… Les prix sont tirés vers le bas, et les gens croient maintenant que les soldes durent toute l’année, que les ventes au rabais sont devenues la norme. Des saucisses ou des cuisses de poulets, 1 + 1 gratuite ; des aliments bio au prix du conventionnel ; du lait demi-écrémé à 55 centimes/litre ; du fromage Comté à 9 €/kg, etc. L’alimentation ne représente plus que 12,5 % du « panier de la ménagère ». Jamais contente, celle-là ! Qui est-elle vraiment, cette « ménagère » au panier percé qui veut manger pour rien ? Il faudrait la rencontrer pour lui expliquer toutes ces choses, afin qu’elle comprenne à quel point elle nous tue !

Le commerce est une vraie jungle, où les plus forts marchent de tout leur poids sur les « petites mains » agricoles. «  Et si vous n’êtes pas contents, si vous n’êtes pas capables d’en sortir, -trop bêtes, trop vieux ou trop fainéants ! –, changez de métier, prenez votre pension. »(paroles réellement prononcées). Ainsi parlent la plupart de ceux qui profitent sans vergogne de notre labeur et se font une gloire de « bien travailler », quant à eux, au contraire de nous, agriculteurs, petites mains qui ne ramassons que des miettes pour les milliers d’heures prestées chaque année. Combien valent les produits de notre activité ? Pas grand-chose, si l’on considère la manière profondément injuste dont les prix agricoles à la ferme sont établis…

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