Accueil Protéagineux

De nouveaux moyens de lutte contre la bruche pour booster la culture de la féverole

Malgré ses atouts, la féverole reste peu cultivée en Wallonie. Un constat qui s’explique par sa forte sensibilité aux aléas climatiques et biotiques, parmi lesquels figurent les attaques de bruches de la fève. La recherche de nouveaux moyens de lutte biologique contre ce ravageur pourrait favoriser le retour cette légumineuse dans nos campagnes.

Temps de lecture : 6 min

D ans le cadre du projet de recherche Feverpro, Arnaud Segers, étudiant à l’Université de Liège – Gembloux Agro-Bio Tech, s’intéresse de près à la bruche de la fève. Son objectif : trouver des moyens de lutte biologique contre ce ravageur, identifié comme étant le principal insecte impliqué dans la dégradation de la qualité des graines de féverole.

Une fève riche en amidon et protéines

« La féverole, Vicia Faba L., est une des plus anciennes légumineuses cultivées par l’homme », explique Arnaud Segers. Elle présente divers atouts qui en font une culture très intéressante pour les exploitations agricoles wallonnes.

Premièrement, elle fixe naturellement l’azote atmosphérique en établissant une relation symbiotique avec des bactéries du sol du genre Rhizobium. Elle constitue ensuite une ressource florale non négligeable pour les pollinisateurs. Troisièmement, sa culture permet de réduire le recours aux engrais de synthèse et, par conséquent, de diminuer la production de gaz à effet de serre de l’exploitation. Enfin, ses graines, riches en amidon et en protéines, sont valorisables en alimentation humaine et animale. « À ce titre, la féverole constitue une alternative intéressante au soja en vue d’accroître l’autonomie protéique des élevages wallons », précise-t-il.

La féverole présente néanmoins une forte sensibilité aux aléas climatiques et biotiques qui rendent les rendements irréguliers. « Les attaques de bruches sont particulièrement fâcheuses. Leur impact sur les graines est tel que leur commercialisation s’en trouve particulièrement compliquée. »

En outre, le nombre de solutions chimiques permettant de lutter contre ce ravageur est fortement limité. La recherche d’alternatives biologiques est donc essentielle.

Des larves séminivores

La bruche de la fève, Bruchus rufimanus , est le plus important ravageur du genre Vicia . Elle ne réalise qu’une génération par an, durant la période de cultures. Les adultes sont nectariphages et polliniphages ; ils se nourrissent de nectar et de pollen. Les larves sont quant à elles séminivores : elles se développent dans les graines en formation, aux dépens des réserves cotylédonaires.

Le cycle de développement de l’insecte est bien connu. « Les adultes passent l’hiver en diapause reproductive au niveau de sites boisés. Une fois la température ambiante dépassant 15ºC, ils quittent leur habitat hivernal pour coloniser les champs de féverole en fleur. En se nourrissant de pollen et nectar, ils atteignent leur maturité sexuelle et se synchronisent avec le cycle de floraison et de fructification de leur plante hôte. » Ils se reproduisent dans les fleurs dès que la température ambiante dépasse 20ºC et les femelles pondent leurs œufs sur les gousses en formation.

Si les larves de la bruche infestent les graines, les adultes, eux, se contentent  de se nourrir du pollen et du nectar des fleurs de la féverole.
Si les larves de la bruche infestent les graines, les adultes, eux, se contentent de se nourrir du pollen et du nectar des fleurs de la féverole. - A. Segers

Lorsque les œufs éclosent, les jeunes larves perforent le péricarpe de la gousse et se logent dans les graines en formation. Elles y effectuent leurs développements larvaire et nymphal. « Devenu adulte, l’insecte perce la fève pour en émerger, ce qui en empêche la commercialisation. » Le cycle terminé, mâles et femelles regagnent leur habitat hivernal.

Précisons encore que les larves ne colonisent que les graines en formation. L’insecte ne présente donc aucun risque pour les graines stockées.

Piéger la bruche

La lutte contre le ravageur ne peut se faire qu’en ciblant les adultes ; les larves étant hors d’atteinte. Actuellement, le contrôle chimique au champ – restreint – repose sur deux matières actives : la lambda-cyhalothrine et la zéta-cyperméthrine. Un choix limité qui met en évidence la nécessité de trouver des moyens de lutte alternatifs, que ce soit en matière d’écologie chimique, de contrôle biologique ou de résistance variétale.

« L’écologie chimique repose sur l’étude des attractants kairomonaux, c’est-à-dire de substances volatiles émises par la féverole mais influençant le comportement de la bruche », précise le chercheur. Ces attractants peuvent être de type floral ou gousse. « Les premiers engendrent le déplacement des mâles vers les champs. Sur place, ils y libèrent des phéromones qui, combinées aux kairomones, attirent les femelles. Les seconds attirent les femelles vers les gousses et favorisent la ponte. »

Des méthodes de lutte reposant sur les kairomones existent déjà. En plaçant des pièges diffusant des odeurs florales (0,5 piège/ha), il est possible d’identifier les phases sensibles d’infestation de la culture et d’ainsi déterminer quand appliquer les insecticides adéquats. Travailler avec des odeurs de gousses permet la capture de masse de femelles fécondées.

Les gousses de la féverole constituent le site privilégié de ponte de la bruche de la fève,  Bruchus rufimanus .
Les gousses de la féverole constituent le site privilégié de ponte de la bruche de la fève, Bruchus rufimanus . - M. de N.

« Cette deuxième solution, en cours de développement en France, soulève plusieurs questions. D’une part, il faut déterminer la densité de piège à placer pour que la technique soit efficace. D’autre part, les pièges ont une période d’émission de volatiles d’une semaine alors que la période d’oviposition de la bruche s’étend sur trois semaines. » Une autre difficulté est encore identifiée : les kairomones libérées par les pièges sont diluées dans les kairomones émises naturellement par la culture.

Arnaud Segers souhaite, pour sa part, détecter si une phéromone d’oviposition est émise par les femelles lors de la ponte. « Auquel cas, on pourrait identifier les composants qui la constituent et la synthétiser artificiellement. On pourrait ensuite s’en servir pour, éventuellement, inhiber la ponte ou recruter de potentiels parasitoïdes », détaille-t-il.

Les champignons et parasitoïdes passent à l’action

Plusieurs agents de lutte biologique ont déjà été identifiés par le passé. Le chercheur s’attelle à évaluer plus précisément leur capacité à lutter contre la bruche de la fève. Des champignons entomopathogènes sont ainsi testés, avec de premiers résultats encourageants. « Le Beauveria bassiana souche GHA montre de bons résultats. Ce qui est intéressant car il est déjà disponible dans le Botanigard 22 WP, un biopesticide agréé pour d’autres cultures. »

Ce champignon se développe à l’intérieur des bruches jusqu’à les tuer, ce qui en réduit fortement la population. « Nous regardons aussi s’il n’y a pas, en parallèle, des effets sublétaux comme une inhibition des pontes. »

Deux types d’hyménoptères parasitoïdes ont également été identifiés. Les premiers, dits oophages, pondent leurs œufs dans ceux des bruches. Il en émerge une larve qui se nourrit du contenu de l’œuf et s’y nymphose avant d’en émerger en adulte. Les seconds, dits larvaphages, effectuent leur cycle complet dans la larve du ravageur.

« Actuellement, le contrôle chimique  de la bruche repose sur un choix limité  de matières actives. Il est nécessaire de trouver des moyens de lutte alternatifs », détaille Arnaud Segers.
« Actuellement, le contrôle chimique de la bruche repose sur un choix limité de matières actives. Il est nécessaire de trouver des moyens de lutte alternatifs », détaille Arnaud Segers. - J.V.

« Les individus oophages semblent être les plus efficaces dans le cadre d’une lutte contre le ravageur. Il serait intéressant de déposer dans les champs des capsules qui libéreraient progressivement les parasitoïdes oophages. Ainsi, ils pourraient s’attaquer aux œufs de la bruche pendant plusieurs semaines. » À ce niveau, des essais en laboratoire et en champs sont à réaliser afin de vérifier l’efficacité de la technique.

Identifier une éventuelle résistance variétale

Enfin, Arnaud Segers tente d’identifier les variétés de féveroles présentant davantage de résistance à l’insecte. Pour ce faire, dix variétés disponibles sur le marché sont testées en collaboration avec l’Association pour la promotion des protéagineux et des oléagineux (Appo). « Nous réalisons un monitoring de la dynamique d’infestation et suivons attentivement les pontes sur les gousses de chaque variété. Nous confrontons ensuite les données de pontes aux dégâts causés aux grains. »

Ce travail permettra d’identifier les éventuelles variétés résistantes au ravageur afin de favoriser leur semis. « Il conviendra également de comprendre l’origine de cette résistance et quels sont les mécanismes de défense mis en place par la féverole », conclut-il.

J.V.

A lire aussi en Protéagineux

Voir plus d'articles