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Le Manège de la Licorne

Un jour, ma petite-fille de dix ans m’a confié son grand secret : plus tard, quand elle sera grande, elle aimerait élever des poneys Highland « plein autour de la ferme ». Ses immenses yeux bleu myosotis pétillaient d’étincelles, tandis qu’elle me parlait de son futur « Manège de la Licorne » ! Elle n’est pas belle, la vie ? À quelques années de ma retraite, je viens de me découvrir un successeur potentiel ! Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Qu’importent les animaux, pourvu que nos prairies soient occupées !

Temps de lecture : 4 min

Un jour, ma petite-fille de dix ans m’a confié son grand secret : plus tard, quand elle sera grande, elle aimerait élever des poneys Highland « plein autour de la ferme ». Ses immenses yeux bleu myosotis pétillaient d’étincelles, tandis qu’elle me parlait de son futur « Manège de la Licorne » ! Elle n’est pas belle, la vie ? À quelques années de ma retraite, je viens de me découvrir un successeur potentiel ! Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Qu’importent les animaux, pourvu que nos prairies soient occupées !

J’ai déjà commencé ma « reconversion», et accueilli cet été en pension Cavale, Texas et Uriel, après Didi et John en hiver, ainsi que Tam-Tam, Lila et Karma au printemps. En voilà du monde ! Je vais vous paraître idiot, ou complètement gâteux, mais je n’ai jamais eu de chevaux de ma vie, et je découvre ces animaux, ma foi fort sympathiques. Originaires d’une région très rude, ces poneys écossais sont incroyablement rustiques et peu exigeants en nourriture. Il leur faut un gazon très ras, au contraire des bovins, sinon ils deviennent gras comme des cochons de lait et tombent malades. Drôles de bestioles ! Ils ont des têtes très expressives, de petites oreilles mobiles, et des lèvres douces comme du velours. Ils ont deux rangées de dents (!) et rasent mieux qu’une tondeuse. C’est très bizarre : ils ne ruminent jamais !

Dans nos villages, les chevaux signent un retour progressif, encore fort discret mais en constante progression. Le phénomène est davantage marqué en Flandres, où un tiers des prairies seraient broutées par des équidés : poneys, chevaux, ânes, de toutes les tailles et de toutes les couleurs ! Les vieilles fermes sont de plus en plus souvent achetées par des non-agriculteurs, des gens qui exercent des métiers très rémunérateurs : cadres d’entreprises, médecins, avocats, etc. C’est bien connu : quand on aime, on ne compte pas ses sous, et cet engouement pousse à la hausse les prix des terres agricoles. Les agriculteurs flamands parlent de « verpaarding », qui peut se traduire par « passage vers le cheval », ou « chevalisation ». Un puriste linguiste parlera de « caballisation », néologisme dérivé du mot latin « equus caballus », et qui rime de manière inquiétante avec « cannibalisation »…

En Ardenne, les étendues sont vastes, beaucoup trop d’exploitations cessent leur activité, et les chevaux sont encore loin de « cannibaliser » notre agriculture. Disons qu’ils apportent une gentille diversité dans le paysage animalier, en compagnie de moutons, chèvres et autres lamas… Ils ne concurrencent pas nos productions, au contraire ! Les amateurs de chevaux achètent des petits ballots de foin, sont demandeurs de petits travaux d’entreprise, et servent un peu de « courroie de transmission » entre les agriculteurs et les néo-ruraux.

Ce retour des chevaux marque un enrichissement de la multi-fonctionnalité de nos campagnes. Ici, les côtés loisir, tourisme et ruralité sont concernés. Autrefois, la plus belle conquête de l’homme avait une tout autre utilité. J’ai exhumé un article fort intéressant, paru dans un Sillon Belge en 2006, et consacré à l’évolution de l’agriculture en Belgique au cours du XXe siècle. On y apprend la présence, en 1895, de 11 chevaux de trait par 100 hectares de surface agricole ; 14,11 chevaux/100 hectares en 1929, à l’âge doré des Albion d’Hor, Avenir d’Herse et autre Espoir de Quaregnon. Seulement 6,73/100 hectares en 1965… En 1895, 30 003 naissances furent enregistrées, pour un nombre total de 271 527 (!!) chevaux, dont 216 199 chevaux agricoles (18 chevaux pour 100 travailleurs de la terre). Au faîte de la gloire de notre élevage chevalin, en 1929, on recensait 33 chevaux agricoles pour 100 paysans belges !

En 1965, on ne comptait plus que 33 404 équidés, chevaux de selle pour la plupart…

Jadis, 250 mille des meilleurs hectares (sur un total de 1400 mille) étaient consacrés à nourrir les chevaux : avoine, prairies. Ils faisaient la fierté des agriculteurs wallons. Ainsi, les premiers veaux culards BBB ont été baptisés « culs-de-poulains », tant leurs fesses musclées rappelaient l’arrière-train charnu des poulains. En Wallonie, l’amour des chevaux s’est sans doute transféré sur la race Blanc-Bleu, tandis que les derniers fidèles compagnons quittaient tristement les fermes de notre région, remplacés par les tracteurs… La fin d’un monde !

Aujourd’hui, les chevaux reviennent au petit trot dans nos campagnes, en douceur, sans douleur, amenés par ces nouveaux amoureux de la terre, peut-être davantage sincères, -qui sait ? –, que les derniers agriculteurs eux-mêmes. La roue tourne, et le Manège de la Licorne s’invite chez moi, clin d’œil facétieux, et souriant, du destin…

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