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Les lapins, la passion d’une vie

C’est le témoin de plus d’un demi-siècle d’élevage de lapins que nous avons récemment rencontré dans sa maison natale à Xhendelesse (Herve). Gustave Chapelier, aujourd’hui encore juge cunicole dans les expositions de petit élevage, nous conte l’histoire et l’évolution de cette passion.

Temps de lecture : 9 min

G ustave Chapelier tient son intérêt pour les lapins de son père. « Mon père a élevé des lapins durant toute sa vie », explique-t-il. « À 12 ans, j’ai reçu mes premiers lapins et j'ai construit mon premier clapier avec du matériel de récupération et l’aide d’un maçon. Dans les années ‘50, il n’y avait pas de TV et les lapins étaient mon seul hobby. L’élevage de 12-13 lapins me permettait d’avoir un peu d’argent de poche. Les lapins étaient vendus vivants ou tués. Jusqu’en 1975, on tuait une cinquantaine de lapins à Noël ».

Viande et peau valorisées

« La viande n’était pas la seule à être valorisée. Les peaux blanches de qualité des Blanc de Termonde étaient séchées et vendues à 25 francs (0,625 euro) par peau à un pelletier de Bruxelles. Une somme non négligeable quand on sait qu’un jeune lapin coûtait 25 francs. Cet entrepreneur venait chercher les peaux de septembre à avril car seules les fourrures d’hiver avaient une qualité suffisante pour être tannées. Elles étaient expédiées par container en Inde pour y être tannées. Les Chapelier collectaient les peaux de la trentaine d’éleveurs de la société d’élevage de Xhendelesse. Tout cela a cessé fin des années ‘70. Et aujourd’hui, même le commerce de lapins pour la viande a quasiment disparu. Seuls les gens de plus de 50 ans consomment encore du lapin. Pour beaucoup, le lapin est devenu un animal de compagnie. Plus question d’en manger. On vit dans une autre société où l’animal est considéré comme un être vivant qui doit être respecté », déclare notre hôte.

Le pur-sang des lapins

Après le Blanc de Termonde, Gustave s’est consacré à l’élevage de sa race de prédilection, le lièvre belge, le pur-sang des lapins selon lui. Il en apprécie la noblesse et l’élégance. « Dans la sélection de cette race, il faut à la fois veiller à la couleur, au type, à la finesse de la tête et à l’obtention d’une courbe dorsale harmonieuse… », explique-t-il. Il n’en détient plus depuis un peu plus d’un an, contraint d’arrêter l’élevage pour des raisons de santé.

L’éleveur s’est aussi passionné pour les lapins nains. Il avait acquis quelques sujets dans le cadre d’un atelier de « petit élevage » organisé pour ses élèves. Il était plus facile pour les enfants de manipuler ces lapins nains et ceux-ci ont très vite séduit l’instituteur qui n’a plus jamais cessé d’en élever et est devenu un spécialiste de ces races.

Dans sa longue carrière d’éleveur, il a aussi pris part à la phase finale de la reconstitution du lapin gris perle de Halle, une race disparue et recréée par Messieurs Aurez de Waterloo, Foxhalle de Xhendelesse, Knott de Verviers et Vaneyden de Bruges. À côté de ces races, Gustave Chapelier en a aussi élevé 25 autres. « Pas par passion pour toutes ces races, comme le ferait un éleveur », précise-t-il, « mais pour apprendre à les connaître ». Gustave Chapelier est en effet juge cunicole — connu et reconnu — dans les expositions de petit élevage depuis 1973.

Pour être juge, il faut élever

Cela fait donc près de 45 ans qu’il officie en tant que juge de lapins et cobayes dans des expositions aux 4 coins de la Belgique ainsi qu’aux Pays-Bas. Il en a vu des changements. Lors de son premier jugement, il y avait 80 blancs de Termonde et Blanc de Vienne à juger. « Aujourd’hui, quand il y en a encore 5, c’est beaucoup », déclare-t-il. « On est passé à d’autres races car ces lapins blancs étaient appréciés pour la valeur de leur peau… qui n’en n’a plus aujourd’hui ». Hormis les Polonais, les lapins blancs ont perdu leur attrait. Vers 1975, les lapins nains sont apparus. D’abord des Polonais puis un peu plus tard, des lapins de couleur.

Au début, Gustave jugeait uniquement sur base des standards des races. « Mais pour être juge, il faut avoir élevé », estime-t-il. Il l’a compris lors d’un jugement à Eupen. « J’y avais déclassé un chinchilla pour absence de couleur sur le ventre. Je me basais sur le standard de la race. Le propriétaire de l’animal m’a expliqué, avec beaucoup de courtoisie, que je me trompais car il y avait une erreur dans le standard. Il m’a donné un couple pour faire de l’élevage. J’ai ainsi constaté que la sous couleur bleue disparaissait après que la mère ait élevé car elle arrachait ces poils de son ventre. On apprend de ses erreurs. J’ai donc élevé pas moins de 25 races de lapins. Je les étudiais durant 3-4 ans et je passais ensuite à une autre », dit-il. C’est ainsi qu’il a découvert le fauve de Bourgogne, le Bleu de Vienne, l’argenté belge, le grand chinchilla… avant de passer à des races à dessins comme le hollandais, le papillon anglais, rhénan, russe… et de découvrir ainsi la transmission des couleurs. « Je faisais des croisements et j’ai obtenu des couleurs qui n’étaient pas encore reconnues comme la couleur fawn en papillon anglais nain de couleur. Cette couleur n’existait encore qu’en bélier anglais à l’époque ».

Veiller au bien-être animal

En parlant de bélier anglais, notre interlocuteur précise que cette race risque bien de disparaître. La mèche frontale qui tombe devant ses yeux et l’empêche de voir est en cause. À Metz, lors de l’exposition internationale, les juges allemands ont déclassé tous les lapins qui présentaient cette mèche. Il existe un mouvement en Allemagne et ailleurs pour le confort et le bien-être des animaux. Des représentants de mouvement de défense des animaux viennent aux expositions et critiquent, entre autres, les dimensions des cages. Celles de 30 cm ont disparu, remplacées par des cages de 40. Mais il existe aussi des cages de 60 cm.

Le bien-être animal fait l’objet de beaucoup plus d’attention que jadis. Lors des expositions, on veille aujourd’hui à nourrir correctement les animaux et surtout à les abreuver. « Lorsque j’ai commencé à juger, on leur donnait des carottes, des betteraves… mais on ne les abreuvait pas ». Aujourd’hui, pour des raisons sanitaires, Gustave souhaiterait que chaque propriétaire fournisse ses propres abreuvoirs lors des expositions. « Avant, précise-t-il, pour les expositions, on nettoyait le matériel à l’eau de javel, on désinfectait les planchers, les bols, les abreuvoirs. Aujourd’hui, faute de bras, on se contente trop souvent de jeter un seau d’eau… » Et d’évoquer le vieillissement des « forces vives » dans les clubs de petit élevage.

Evoluer pour survivre

« Pour éviter « le prélude à l’oraison funèbre du petit élevage » (sic), il faut évoluer », déclare notre hôte. « Même dans une société dynamique et remarquablement organisée comme celle de Xhendelesse, il y a pas mal de gens assez âgés. Le montage et le démontage des cages lors des expositions n’est donc pas évident. À l’avenir, on ne saura plus fonctionner en vase clos », estime Gustave. « Il faudra se faire aider dans l’organisation des expositions par des jeunes, contre rétribution. On pourrait par exemple faire appel aux mouvements de jeunesse pour participer au montage. Et on peut aussi tâcher d’ouvrir nos expositions régionales et recourir davantage au sponsoring ».

« Cette année lors de la foire de Battice, l’exposition de petit élevage accueillait une exposition internationale de pigeons cauchois. Pas moins de 900 pigeons étaient présents, venus d’Allemagne, d’Italie, de France… Une magnifique ouverture, possible grâce au sponsoring de sociétés. Enfin précise encore Gustave Chapelier, il faut intéresser les enfants au petit élevage. On doit inviter les écoles à venir aux expositions. Pas pour se promener entre les cages évidemment. Il faut que les juges fassent passer leur passion aux enfants en leur montrant ce qu’est une poule, un lapin, un pigeon. Il faut leur faire découvrir les spécificités de ces différentes espèces. Pour les lapins par exemple, leur montrer les dents, leur expliquer ce qu’est la caecotrophie, leur montrer la nourriture… Pour cela, il faut que les jugements se fassent le vendredi et non plus le samedi. Mais c’est possible puisque c’est déjà pratiqué en province de Luxembourg ».

Avenir du petit élevage

L’élevage de lapins rencontre encore pas mal de succès en Pologne, Slovénie, Tchéquie… L’Allemagne, la France, les Pays-Bas restent aussi de grands pays sélectionneurs de lapins mais on y note une diminution de l’élevage sportif. À l’exception de l’Allemagne, les races géantes régressent au bénéfice des races naines et moyennes, comme l’argenté belge, le fauve de Bourgogne, le Bleu de Vienne qui conservent encore du succès.

En Belgique, l’élevage sportif de lapins est en perte de vitesse un peu partout mais les cantons de l’Est, une terre d’élevage cunicole, résistent. On y compte encore beaucoup d’éleveurs et notamment des jeunes. « La vie y est restée plus villageoise et les sociétés d’élevage rassemblent toujours les éleveurs pour discuter de l’élevage », explique Gustave Chapelier. Pour l’avenir, il n’est pas très optimiste vu l’évolution de l’urbanisation et l’interdiction de villas 4 façades qui se profile selon lui. « Car pour élever des lapins, il faut un minimum d’espace. Je ne pense pas qu’il y aura un renouveau de l’élevage de lapins », poursuit-il. « Par contre il y aura davantage de pigeons et de volailles, plus affectives », estime notre hôte. « Et si certaines expositions régionales risquent encore de disparaître, on conservera toujours de grandes expositions avec de nombreux visiteurs ».

Juge et président

Des expositions cunicoles, Gustave en a bien jugé en 45 ans d’activités. « En saison, je jugeais tous les week-ends. Beaucoup trop », déclare-t-il. « Heureusement que mon épouse était très tolérante car il est difficile d’associer la vie familiale avec ce hobby très chronophage ». Il fait aussi passer l’examen pour devenir juge cunicole. En Wallonie, 2 jeunes se présentent. « On les encourage lors de l’examen, dit-il car ces épreuves doivent permettre aux jeunes de grandir dans leurs connaissances ». Aujourd’hui, il est toujours juge — « peut-être pour la dernière année », dit-il- mais il est aussi président de la Commission technique nationale qui s’occupe des standards des races lapines. « On a actuellement des standards nationaux pour chaque race et des standards européens (normalement, le standard du pays d’origine de la race). J’estime qu’on ne devrait plus avoir que les standards des pays d’origine et que la Commission des standards ne devrait plus s’occuper que des races belges, les autres standards venant des pays d’origine des races », déclare-t-il. « Si l’élevage se faisait autrefois à l’échelle locale, aujourd’hui, il se fait à l’échelle européenne. On ne devrait donc plus conserver que ces standards », conclut-il. L’idée est lancée…

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