La peste porcine africaine donne des sueurs froides à la Chine... et à ses voisins

Longtemps réalisée largement au sein de petits élevages traditionnels opérant à l’échelle locale, la production porcine chinoise est en pleine restructuration sous la forme de très grosses unités de production. L’épidémie de peste porcine africaine qui progresse actuellement dans le pays est un véritable séisme.
Longtemps réalisée largement au sein de petits élevages traditionnels opérant à l’échelle locale, la production porcine chinoise est en pleine restructuration sous la forme de très grosses unités de production. L’épidémie de peste porcine africaine qui progresse actuellement dans le pays est un véritable séisme. - M. de N.

C’est désormais acté, la peste porcine africaine (PPA), maladie très contagieuse et mortelle pour les porcs – sans danger pour les humains – a fait une percée éclair dans l’Empire du milieu, où est consommé et élevé un cochon sur deux dans le monde. C’est la première incursion connue en Chine de cette maladie virale, depuis sa première description au Kenya dans les années vingt.

Une arrivée redoutée depuis plusieurs mois par les autorités chinoises pour ses conséquences socio-économiques potentiellement ravageuses, mais attendue depuis le saut du virus de l’Afrique vers le continent européen en 2007, d’abord en Géorgie, puis en Europe de l’Est et dans toute la Russie, d’où il a probablement atteint la Chine.

« C’est l’une des maladies animales les plus difficiles à contrôler », confirme une récente étude de chercheurs européens en santé publique vétérinaire. Le taux de mortalité parmi les animaux contaminés peut atteindre 100 % selon les souches. Et il n’existe ni vaccin efficace, ni médicament vétérinaire contre cette maladie, selon cette même étude. La maladie se transmet de « groin à groin » par les tiques ou par les déchets de cuisine à base de porc contaminé. Une fois détectée, le moyen de lutte connu implique la mise à mort des animaux. En Chine, quelques dizaines de milliers de porcs ont déjà été abattus.

Déjà trop tard pour bloquer son expansion ?

Le périple de la peste porcine africaine dans l’Empire du milieu a commencé par un premier cas le 3 août, dans une province de l’extrême nord-est du pays, non loin de la frontière nord-coréenne. Ce cas aurait pu rester isolé. Mais Pékin en a déjà signalé de nouveaux, à plusieurs centaines, voire milliers, de kilomètres au sud du premier cas. Ce qui fait pencher les spécialistes pour une dispersion du premier cas par les routes commerciales – même si nul ne sait encore si ces trois cas sont liés. D’autres signalements de ce type à travers le pays confirmeraient cette hypothèse.

« C’est une phase très délicate, commente le français Timothée Vergne, maître de conférences en santé publique vétérinaire. Il est possible qu’il soit déjà trop tard pour bloquer l’expansion des premiers cas à d’autres régions chinoises. » Pour cet expert de ladite maladie, « sa progression en Chine dépendra de la densité de production et de l’efficacité des mesures sanitaires ». La densité de la production porcine chinoise, concentrée essentiellement dans l’est du pays, est « très importante », sans commune mesure avec celle de la Russie voisine, et fait craindre une extension rapide.

Mais jusqu’ici, « les services sanitaires chinois ont été très réactifs, et ils sont capables de mettre en place des mesures sanitaires draconiennes ». Une analyse partagée par les économistes du Centre de développement du porc du Québec. Pour preuve, suite au troisième cas, quelque 14.500 porcs auraient été abattus dans une zone de quarantaine. Et les autorités locales ont inspecté quatre millions d’autres porcs dans les alentours de la ville.

« Tout dépendra du montant des indemnités et de la confiance des éleveurs »

Pour Timothée Vergne, la maîtrise de l’épidémie dépendra du montant des indemnités versées aux éleveurs chinois et de la confiance que ceux-ci accordent aux autorités. C’est notamment le problème qu’a rencontré la Russie, dont les producteurs auraient souvent tardé à signaler cette maladie. Voire pire, rapporte le vétérinaire : dans certains pays d’Afrique où le virus est devenu endémique, les producteurs ont parfois vendu leurs animaux aux premières suspicions de maladie, au lieu de les signaler aux autorités vétérinaires.

En Chine, deux inconnues importantes subsistent : la présence mal connue des sangliers, potentiels vecteurs et réservoir sauvage de cette peste porcine. Mais aussi l’importance du commerce de porcs entre provinces chinoises, autre vecteur important de dissémination, dont les chercheurs en santé publique vétérinaire connaissent peu de chose. Le deuxième cas qui a été identifié vendredi dernier, avant que d’autres ne le soient, laisse penser que d’importantes routes commerciales existent entre les différentes régions chinoises productrices de porc, toutes situées dans la moitié orientale du pays ; la trentaine de cochons déclarés morts de la maladie avait parcouru plus de 2.000 kilomètres, depuis la frontière nord orientale, non loin de Vladivostok – ville portuaire russe aux confins de la Sibérie et aux portes de la Chine et de la Corée du Nord –, avant de se faire abattre dans la province chinoise du Henan, dans le centre-est du pays.

Comme souvent, les épidémies de maladies animales assurent des revenus confortables aux pays producteurs qui en sont exempts et qui pourraient ainsi profiter des remous causés par la peste porcine africaine sur le marché mondial. Jusqu’ici, le virus menaçait deux des principaux pays producteurs mondiaux de porcs, la Chine et l’Allemagne. Des deux, c’est la Chine qui a été contaminée la première.

Quel impact sur les prix ?

Il est très difficile de faire des scénarios de prix, analyse l’économiste de l’université de Wageningen, Robert Hoste. Sur la base d’une hypothèse d’une baisse de production de 5 % en Chine, les prix sur le marché intérieur pourraient atteindre les niveaux de 2016. L’Europe pourrait alors jouer un rôle d’autant plus important dans l’approvisionnement que les États-Unis ont entamé une guerre commerciale avec la Chine. Autrement dit, les prix pourraient atteindre en Europe le même niveau qu’au second semestre 2016 et au premier semestre 2017.

À long terme, « ces foyers pourraient être utilisés comme une incitation très positive à améliorer la situation sanitaire en Chine », prédit encore Robert Hoste, qui voit en cette crise les germes d’une évolution vers une industrialisation plus profonde de la production porcine chinoise ».

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