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«Deux impératifs doivent régner dans les abattoirs: réduire le stress et l’inconfort et supprimer la souffrance»

« Si les éleveurs travaillent dans le respect du bien-être animal, il en va de même du personnel actif dans les abattoirs », insiste Joseph Denoël, docteur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Liège, à l’heure où la filière viande souffre d’une image négative. Et le spécialiste d’expliquer ce qui se fait déjà en la matière dans les abattoirs porcins mais aussi de livrer quelques pistes d’amélioration.

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Depuis plusieurs années, la filière viande souffre… Son image a été écornée par divers scandales, dont certains trouvent leurs racines dans des abattoirs. On se rappellera notamment des images de maltraitance animale tournées en caméra cachée au sein de l’abattoir de Tielt (Flandre-Occidentale). Si ces pratiques ne sont, fort heureusement, pas légion, elles ont néanmoins suffi à faire naître au sein de la population un sentiment de méfiance envers les structures d’abattage.

À cette méfiance, s’ajoute le développement de nouveaux courants alimentaires. Un certain nombre de nos concitoyens abandonne la viande au profit d’un régime végétarien ou végétalien, voire végan. Certains, plus extrémistes, mènent parfois des campagnes ou actions « chocs » dans le but d’affaiblir la filière viande. En outre, des scientifiques se sont lancés dans la production de « viande artificielle » en laboratoire, sans élever le moindre animal. De quoi encore inquiéter un peu plus les acteurs du monde de la viande…

« Malheureusement, ces tendances, négatives pour l’ensemble de la filière, s’observent surtout chez les jeunes, qui sont les consommateurs et les décideurs de demain », déplore Joseph Denoël. Et d’ajouter : « Il est temps de leur rappeler que les abattoirs, souvent critiqués et contestés, fonctionnent dans le respect du bien-être animal ».

Pression législative et motivation économique

Il en va d’ailleurs de leur intérêt, tant sur le plan législatif que sur le plan économique.

En effet, les structures d’abattage sont soumises au respect de divers règlements européens relatifs au bien-être animal, dont le règlement CE 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort. Toute infraction est lourde de conséquence et peut entraîner une fermeture de l’établissement, avec les pertes économiques et de réputation que l’on imagine. « Un guide de bonnes pratiques existe également, afin d’accompagner les professionnels dans la mise en place de mesures adéquates », précise encore M. Denoël.

« L’inconscience des porcs doit être suffisamment longue que pour perdurer  jusqu’à leur mort », insiste fortement Joseph Denoël.
« L’inconscience des porcs doit être suffisamment longue que pour perdurer jusqu’à leur mort », insiste fortement Joseph Denoël. - J.V.

En outre, le stress, découlant d’un non-respect du bien-être animal lors de l’abattage, peut faire chuter la qualité de la viande (porcine dans le cas qui nous occupe). Le consommateur est alors confronté à une viande dite « PSE » (pale, soft, exsudative ou pâle, molle et exsudative). Cela ne se voit pas lors de l’abattage ou de la découpe mais l’acheteur qui y est confronté à la cuisson peut être tenté de se tourner vers d’autres produits. Toute déperdition de qualité engendre des pertes économiques importantes !

« Face à ces contraintes citoyennes, légales et économiques, la filière viande ne croule pas sous les solutions. Améliorer les conditions d’abattage est essentiel, de même que réduire le stress et l’inconfort des animaux et supprimer totalement toute forme de souffrance. » Il convient encore de redorer l’image des abattoirs auprès de nos concitoyens.

Le transport, une expérience nouvelle et stressante

Afin de s’assurer du bien-être des porcs, il convient au préalable de connaître leur vécu à la ferme, mais aussi leur mode de fonctionnement (lire encadré). Car dès qu’ils quittent leurs loges d’élevage pour le camion de transport qui les conduira à l’abattoir, les porcs font face à une série de nouvelles expériences, toutes aussi stressantes les unes que les autres. « Dans le camion et à l’abattoir, les conditions de vie du porc sont différentes. Comprendre l’animal permet de le gérer correctement, tout en respectant son confort et son bien-être », insiste le docteur Denoël.

Dès qu’il entre dans le camion, le porc fait face à un nouvel univers : odeurs et bruits inconnus, ombres variables et mouvantes, plancher en mouvement… Il est également confronté, pour la première fois, à la lumière du jour (potentiellement éblouissante), à des pentes à monter ou descendre ou encore à des courants d’air. Et que dire des parois partiellement ouvertes (alors que le porc se sent plus en sécurité quand il est entouré de murs pleins), du froid ou de la chaleur qui règne dans le camion ou encore de la confrontation avec des congénères qu’il ne connaît pas.

Pour que cette étape se déroule dans le respect des animaux (porcs ou autres), le règlement CE 1/2005, relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes, a vu le jour. Il traite notamment de la répartition des porcs dans le camion remorque et impose une densité maximale de 235 kg de porc/m² (pour des porcs de 100 kg) ainsi qu’une pente maximale de 20 %. La propreté et l’état des animaux doivent aussi être vérifiés.

« En cas de fortes chaleurs, il peut être judicieux d’augmenter la surface disponible par animal de 20 % mais aussi de diminuer la densité à l’étage supérieur de la remorque, derrière le tracteur dégageant une chaleur additionnelle », conseille pour sa part le docteur Denoël.

Enfin, quel que soit l’opérateur de transport, c’est à l’abattoir de s’assurer du bon respect du règlement européen, du chargement au déchargement.

Décharger et installer avec calme et méthode

Une fois le camion arrivé sur le site d’abattage, les porcs sont déchargés et conduits vers les loges d’attente. La conduite des animaux doit être douce et se faire avec les instruments adéquats. « L’usage de l’aiguillon électrique est interdit », précise-t-il. « Mais plusieurs autres solutions existent. » On peut guider le porc avec une planche, pour autant que l’on se positionne correctement derrière lui (voir photo). Des outils faisant du bruit (voir photo) font également avancer les animaux, car ceux-ci craignent les sons qu’ils ne connaissent pas.

En se positionnant correctement derrière l’animal, l’usage d’une planche  facilite les déplacements des porcs.
En se positionnant correctement derrière l’animal, l’usage d’une planche facilite les déplacements des porcs. - (KU Leuven, Thomas Moore)

L’utilisation d’outils faisant du bruit, ou de planches, permet de guider les porcs  au sein de l’abattoir en douceur.
L’utilisation d’outils faisant du bruit, ou de planches, permet de guider les porcs au sein de l’abattoir en douceur. - (KU Leuven, Thomas Moore)

Une fois les animaux installés dans les loges, les brumiser permet de diminuer ou retarder les bagarres entre individus. « Pourquoi ? Car ayant froid, les porcs se regroupent et dorment. » Les bagarres doivent impérativement être évitées car elles stressent les animaux et font chuter la qualité de la viande.

Dans les loges d’attente, la brumisation diminue ou retarde les bagarres entre porcs.
Dans les loges d’attente, la brumisation diminue ou retarde les bagarres entre porcs. - (KU Leuven, Thomas Moore)

Sur le plan logistique, le déchargement du camion doit se faire sans délai et l’heure d’enlogement doit être enregistrée. Idéalement, les porcs resteront au repos entre 1 et 4 heures avant leur mort, ce qui requiert de disposer de la surface nécessaire au niveau des étables mais aussi de mettre au point un programme logistique correctement élaboré.

Joseph Denoël poursuit : « Il se peut qu’une maladresse survienne au déchargement et qu’un porc se retrouve dans un état de souffrance importante. Dans ce cas, l’hésitation n’est pas permise. Il faut appeler le vétérinaire de l’Afsca afin d’obtenir son accord et étourdir immédiatement l’animal. Soit mécaniquement, au milieu du front, soit électriquement, devant les oreilles. Le beau geste est obligatoire ! ».

Tant le Guide de bonnes pratiques que le spécialiste recommandent d’être attentif au profil psychologique des ouvriers en charge du déchargement et de la conduite des porcs dans les stabulations. « L’idéal, c’est d’engager des personnes calmes, qui ne lèvent pas les bras, silencieuses, méthodiques, qui aiment l’ordre et les choses qui se répètent de la même façon. » Un plus serait de combiner ces traits de caractères à une petite taille. « Les gens de petite taille ont une ombre plus petite, ce qui effraye moins les animaux. »

Les structures doivent également être adéquates, ce qui demande de faire les bons choix lors de la rénovation ou de la construction d’un abattoir. Au niveau des murs, il convient ainsi d’éviter les barres métalliques. Quant aux sols, ils doivent être unicolores, pour éviter que les porcs ne stoppent durant leur marche, et ne pas être mouvants. Un éclairage composé de plusieurs sources de lumière est à prévoir pour éviter que des ombres, effrayantes pour les animaux, soient projetées au sol. En outre, la luminosité ne doit pas changer brusquement et la lumière naturelle, trop variable, est à proscrire. Les bruits dérangeants seront, eux, évités en équipant les barrières de caoutchouc de protection. « Certes, cela représente un certain coût, mais cela permet de s’assurer du bien-être des animaux. »

Assurer une inconscience suffisamment longue

De même, lors de la conduite des porcs de leurs loges vers l’installation d’étourdissement, le calme et la douceur sont requis. Certains abattoirs investissent dans des portes-poussoirs automatiques très utiles en fin de parcours afin de déplacer plus facilement les lots.

L’aiguillon électrique est quant à lui autorisé lors de cette étape, mais sous certaines conditions uniquement. Le porc doit être valide et l’aiguillon ne peut être utilisé que sur la partie postérieure de l’animal, dans les derniers mètres du parcours et si le passage est libre. La manœuvre ne peut pas être répétée en l’absence de réaction et reste totalement interdite chez les porcelets.

« Le porc doit rester inconscient durant la saignée et jusqu’à sa mort ! »

L’étourdissement à proprement parler peut s’effectuer de trois manières différentes, chacune présentant des avantages et inconvénients. Il peut ainsi être électrique manuel, électrique automatique au restrainer (dispositif de retenue) ou au gaz.

En cas d’étourdissement au restrainer, les porcs tombent immobiles après qu’un courant électrique soit appliqué au niveau de leur tête et de leur corps. Si la méthode est assez efficace, des ratés restent possibles et certains porcs peuvent être peu ou mal anesthésiés. Cela s’explique par l’emploi d’électrodes sales, le mauvais positionnement des électrodes (en raison d’une différence de morphologie entre porcs) ou encore de la variabilité de la résistance électrique de chaque individu. En outre, en cas d’hémorragie dans la viande, un tiquetage (aspect moucheté de la viande) peut apparaître.

« Selon les Guides de bonnes pratiques, la saignée doit être effectuée dans les 15 secondes qui suivent l’étourdissement », ajoute le docteur Denoël. Le porc meurt ensuite endéans les quatre minutes ; le matériel utilisé doit donc le rendre inconscient durant un minimum de 4 minutes et 15 secondes.

Dans le cas d’un étourdissement au gaz (80 % de CO2 minimum), les guides de bonnes pratiques recommandent d’atteindre le fond de la chambre à gaz en 10 secondes maximum et d’y maintenir les animaux 2 minutes. Idéalement, il convient d’opter pour une chambre pouvant accueillir plusieurs individus, le porc étant un animal grégaire. « Si les porcs perdent conscience facilement, la descente peut être source de stress et doit être rapide, d’autant plus qu’ils s’énervent s’ils respirent un air insuffisamment chargé en CO2 avant d’arriver dans le fond de la chambre d’endormissement », met-il en garde. L’anesthésie peut être moins bonne si, pour les mêmes raisons, les porcs entrent en apnée.

Pour les médias et le grand public, l’étourdissement au gaz est idéal car il renvoie  l’image de porcs paisiblement endormis.
Pour les médias et le grand public, l’étourdissement au gaz est idéal car il renvoie l’image de porcs paisiblement endormis. - (KU Leuven, Thomas Moore)

Les guides de bonnes pratiques conseillent encore de pratiquer la saignée dans un délai de 30 secondes après leur sortie de la chambre d’endormissement. « Si cela est possible pour le premier, qu’en est-il du dernier ? » s’interroge M. Denoël.

L’étourdissement étant réversible, des échecs sont possibles. Le personnel doit donc avoir du matériel pour étourdir une seconde fois un animal qui se réveillerait et ce, immédiatement. « Le porc doit rester inconscient durant la saignée et jusqu’à sa mort ! L’Animal welfare officer (lire encadré), ou une personne formée à cet effet, doit vérifier régulièrement que les animaux sont inconscients après l’étourdissement et pendant la saignée. »

La saignée doit quant à elle être parfaite, pour une mort rapide. « La saignée horizontale est préférable mais n’est pas toujours praticable, notamment en cas d’étourdissement au gaz. »

Écouter, valoriser et encourager le personnel

Bien que de nombreuses règles et bonnes pratiques soient déjà d’application dans les abattoirs, la gestion du bien-être animal doit être améliorée de façon continue. « Pour y parvenir, les points critiques doivent être définis mais aussi contrôlés », insiste Joseph Denoël.

Il conseille également de suivre avec attention l’évolution, d’une part, de la législation et, d’autre part, des guides de bonnes pratiques et des connaissances scientifiques.

Et d’insister : « Si le personnel doit être formé et contrôlé, il est aussi essentiel de l’écouter, le soutenir, le valoriser et l’encourager. Abattre est un métier noble. Il faut considérer à leur juste valeur les personnes qui exercent cette profession. ».

« Des problèmes de maltraitance  peuvent survenir. Il est alors impératif  de chercher d’où ils viennent pour les  régler aussi rapidement que possible »,  plaide Joseph Denoël.
« Des problèmes de maltraitance peuvent survenir. Il est alors impératif de chercher d’où ils viennent pour les régler aussi rapidement que possible », plaide Joseph Denoël. - J.V.

À l’attention des responsables d’abattoir, il recommande de mettre en place des structures facilitant le travail du personnel et de bien sélectionner les futurs membres du personnel. « Il convient idéalement de choisir des travailleurs calmes, méthodiques, silencieux, qui marchent et parlent doucement, qui ne lèvent pas les bras et aiment les choses tranquilles et bien préparées. La gestion des porcs s’en trouvera grandement facilitée. »

« Abattre est un métier noble. Il faut considérer à leur juste valeur les personnes qui exercent cette profession. »

« Enfin, conclut-il, pour redorer le blason des structures d’abattage, il est impératif de renouer le dialogue avec les médias, les citoyens et les défenseurs des droits des animaux. Sans quoi, l’incompréhension régnera et la filière viande en souffrira. »

J.V.

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