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Protection du froment: l’avenir des triazoles se dessine en pointillés

L’avenir des triazoles est incertain. Leur possible retrait pour des raisons de protection de la santé humaine et de l’environnement imposerait un changement dans la manière de raisonner les traitements fongicides.

Temps de lecture : 5 min

La famille des inhibiteurs de déméthylation dont font partie les triazoles est la plus utilisée en culture céréalière. Depuis 2014, les triazoles sont en cours de révision et jusqu’à présent chaque firme phytopharmaceutique concernée a décidé de défendre sa molécule auprès des autorités.

Dernière année pour le propiconazole

Le propiconazole est le premier triazole à avoir été révisé. Syngenta et Adama ont déposé un nouveau dossier d’homologation aux autorités europennes en juillet 2014. Le 28 novembre 2018, la décision du non-renouvellement de la substance active a été arrêtée par la Commission européenne, et ce pour les raisons suivantes :

– la molécule a tout d’abord été classée comme toxique pour la reproduction de catégorie 1B en décembre 2016 par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). À cela s’ajoute une exposition humaine à cette substance active jugée comme non négligeable ;

– trois métabolites du propiconazole seraient fortement susceptibles d’être retrouvés dans les eaux souterraines à un taux supérieur au 0,1 µg/l autorisé. Il ne peut pas être exclu que ces métabolites possèdent les mêmes propriétés toxiques que la molécule mère ;

– enfin, le propiconazole est suspecté d’être un perturbateur endocrinien.

Tous ces éléments additionnés ont conduit au non-renouvellement de l’agréation du propiconazole. La commercialisation des produits à base de cette substance active est autorisée jusqu’au 19 septembre 2019 et l’utilisation jusqu’au 19 mars 2020.

L’année 2019 sera donc la dernière année possible d’utilisation des produits contenant cette matière active en froment. Il s’agit des produits suivants : Alto Ultra, Apache, Armure, Barclay Bolt, Bravo Premium, Bumper 25 EC, Bumper P, Cherokee, Inovor, Propi 25 EC, Propiraz EC et Septonil. Le Stereo en escourgeon et les Difure Pro et Ranch en betteraves sont également concernés.

Le retrait des triazoles mettrait un terme à des solutions de protection et de préservation des rendements toutes faites et passe-partout!
Le retrait des triazoles mettrait un terme à des solutions de protection et de préservation des rendements toutes faites et passe-partout! - M. de N.

Et les autres triazoles ?

Les autres triazoles en cours de révision sont repris dans le tableau ci-joint. Les documents intitulés AIR-3 and AIR-4 program ou programme 3 et 4 de renouvellement de l’Annexe I (de la Directive 91/414 maintenant remplacée par le Règlement 1107/2009) détaillent les dates clés pour les différents triazoles révisés. Tous les détails des programmes 1 à 5 de renouvellement peuvent être retrouvés sur le site de https ://ec.europa.eu.

TRIAZOLE

Tous ces triazoles, sauf le prothioconazole, sont classés par ladite Echa comme toxiques pour la reproduction. Ce critère de danger pour la santé humaine est divisé en 2 catégories :

– la catégorie 1 désigne les substances dont la toxicité sur la reproduction humaine est avérée ou présumée. Deux sous-catégories existent : 1A et 1B. Les substances dont la toxicité est avérée et largement étayée par des études sur sujets humains sont regroupées dans la sous-catégorie 1A. La sous-catégorie 1B rassemble les molécules dont la toxicité présumée est largement appuyée par des données provenant d’études sur animaux ;

– la catégorie 2 regroupe les substances suspectées d’être toxiques pour la reproduction. Dans ce cas, les études humaines ou animales ne sont pas suffisamment probantes pour justifier la classification de la molécule dans la catégorie 1. Ces études font cependant apparaitre un effet indésirable de la substance sur la fonction sexuelle, la fertilité ou sur le développement.

Ces catégories peuvent aussi s’appliquer au critère « cancérigène ».

L’epoxiconazole est également cancérigène de catégorie 2. La répartition en catégories pour les substances cancérigènes est similaire à celle utilisée pour les substances toxiques pour la reproduction. Ainsi l’epoxiconazole est suspecté d’être cancérigène, mais aucune étude n’a encore été suffisamment probante pour l’avérer.

Le Règlement 1107/2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, stipule que toute substance classée comme cancérigène 1A ou 1B ou toxique pour la reproduction 1A et 1B et dont l’exposition vis-à-vis des humains est non négligeable verra son autorisation non renouvelée. Il en va de même pour les substances ayant des propriétés de perturbateur endocrinien et dont l’exposition, vis-à-vis des humains, est non négligeable.

Un perturbateur endocrinien est une molécule qui mime, bloque ou modifie l’action d’une hormone et perturbe le fonctionnement normal d’un organisme.

Jusqu’à très récemment, les critères scientifiques pour déterminer les propriétés d’un perturbateur endocrinien n’existaient pas dans la législation. Ce n’est que depuis le 19 avril 2018 que le Règlement 2018/605 est venu compléter le Règlement 1107/2009 afin de poser les jalons de la définition d’un perturbateur endocrinien. Ces lignes directrices sont entrées en action à partir du 20 octobre 2018. Depuis cette date, tous les dossiers en révision tiendront également compte de ces nouveaux critères. Actuellement, l’epoxiconazole, le tebuconazole et le cyproconazole sont suspectés d’être perturbateurs endocriniens. Il faudra attendre la révision de leur dossier et l’application des nouveaux critères scientifiques pour savoir s’ils le sont bel et bien.

À la vue de tout ce qui précède, l’avenir de la plupart des triazoles est plus qu’incertain . Les schémas de traitement fongicide risquent donc d’être profondément modifiés dans un avenir proche.

Se préparer à raisonner autrement la protection

L’avenir des triazoles est incertain. Cependant, si elles sont retirées du marché ce n’est pas pour contrarier leurs utilisateurs mais bien pour protéger leur santé ainsi que celle des consommateurs et de l’environnement. Des solutions existent mais elles doivent passer par un changement dans la manière de raisonner les traitements fongicides.

En d’autres termes, le retrait des triazoles serait synonyme de retrait de solutions toutes faites et s’adaptant à toutes les situations. L’agriculteur devra mieux réfléchir dès l’implantation de sa culture aux options qu’il devra déployer. Certains produits seront plus adaptés à une forte pression en rouille brune et d’autres à une forte pression en septoriose. Le mélange de ces produits serait beaucoup trop onéreux et la baisse des doses amènerait à une baisse d’efficacité. Le choix des traitements fongicides sera à l’avenir lié au choix de la variété implantée. Il ne sera plus possible de dissocier les deux pour rester rentable.

Enfin, même si les triazoles venaient à être retirés, il est important de toujours mélanger plusieurs modes d’action lors de chaque traitement.

D’après Charlotte Bataille

, Cra-w, dans Le Livre Blanc, février 2019

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