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Faut-il maintenir un droit de passage lorsqu’une alternative existe?

Je suis propriétaire de deux parcelles contiguës sur lesquelles je suis obligé, selon l’acte notarial, d’autoriser le passage au profit d’une autre parcelle. L’année passée, le propriétaire de ladite parcelle a acheté deux autres terrains, lesquels donnent un accès direct à la rue. Le propriétaire voisin, qui exploite ses trois parcelles ensemble, a maintenant, à ma consternation, utilisé l’ancien droit de passage pour circuler avec la récolte d’herbe de ses trois parcelles. À mon avis, il n’a plus le droit de passer sur ma propriété. Puis-je réclamer une indemnité parce qu’il a circulé à travers mes pommes de terre avec ses machines ?

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Comme vous parlez d’une obligation reprise dans un acte notarial, il s’agit là d’une servitude conventionnelle.

Servitude conventionnelle

Le Code civil définit la servitude comme étant une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire. Selon la loi, la doctrine et la jurisprudence, une servitude conventionnelle de passage est un accord entre propriétaires en vue d’accéder au fonds dominant via le passage sur un fonds asservi. Cet accord suit les biens immobiliers, raison pour laquelle les servitudes ne sont pas des conventions personnelles. Les servitudes doivent être respectées par tous les propriétaires des fonds asservis. Seul le propriétaire du fonds dominant peut utiliser la servitude de passage, et uniquement pour accéder à son bien immobilier (le fonds dominant).

Une servitude conventionnelle de passage ne disparaît pas automatiquement quand le propriétaire du fonds dominant n’est plus enclavé. La servitude de droit de passage continue donc d’exister et reste une charge sur vos deux parcelles.

Suppression ?

Le fait que votre voisin a acheté deux autres parcelles, lesquelles donnent accès au domaine public d’une telle façon que ce propriétaire n’est plus enclavé, donne peut-être la possibilité de demander la suppression de la servitude.

Selon l’article 710 bis du Code civil, le juge peut ordonner, à la demande du propriétaire du fonds servant, la suppression d’une servitude, lorsque celle-ci a perdu toute utilité pour le fonds dominant. Par utilité, au sens de cet article, il ne faut pas seulement comprendre l’utilité actuelle, mais aussi l’utilité, présentant un lien avec la destination du fonds, que la servitude peut encore avoir à l’avenir.

Dans la jurisprudence, on voit généralement une application stricte de l’article 710 bis Code Civil. Par exemple, le Juge de Paix de Fontaine-l’Evêque a décidé récemment que l’utilité d’une servitude subsiste même si elle est de minime importance, et elle peut n’être que future ou potentielle. (J.P. Fontaine-l’Evêque 15 mai 2017, J.T. 2018, liv. 6741, 661)

De temps en temps, on voit une exception, comme le Juge de Paix de Hal qui a décidé qu’une servitude conventionnelle de passage a perdu toute utilité car le défendeur dispose d’un accès plus court et surtout moins dangereux à la voie publique. Dans cette procédure la demande de suppression intentée sur base de l’article 710 bis du Code civil a été déclarée fondée, aucune compensation ne sera cependant due. (J.P. Hal 7 mars 2007, R.G.D.C. 2009, liv. 6, 295)

Le jugement sur une demande en suppression d’une servitude conventionnelle de passage repose toujours sur une appréciation des faits par le juge.

Aggravation défendue

Le propriétaire de l’immeuble à qui profite la servitude peut en profiter, mais il ne peut rien faire pour aggraver la situation de l’autre immeuble : celui qui a un droit de passage au profit d’une propriété, ne peut pas le changer au profit de plusieurs propriétés différentes. Si votre voisin a seulement le droit de passage en faveur d’une parcelle, il ne peut donc pas utiliser ce passage pour les deux autres parcelles achetées.

Par ailleurs, la Cour de Cassation a décidé que la force obligatoire du titre constitutif d’une servitude conventionnelle de passage est violée quand le propriétaire du fonds dominant étend cette servitude au profit d’un autre de ses fonds sans le consentement du propriétaire du fonds servant.

Il est donc clair que votre voisin ne peut pas utiliser la servitude conventionnelle de droit de passage en faveur des deux parcelles achetées l’année passée. (Cass. 26 mars 1993, Pas. 1993, I, 329)

Indemnité ?

Comme votre voisin n’avait pas le droit de passer avec la récolte de ses deux nouvelles parcelles à travers vos pommes de terre, vous avez théoriquement droit à une indemnité.

En pratique, il nous semble très difficile de prouver quel préjudice a été causé par les transports supplémentaires des deux parcelles supplémentaires puisque votre voisin avait en tout cas le droit de passer avec la récolte du fonds dominant.

Nous vous conseillons de demander à votre assurance d’intervenir. Peut-être peut-elle trouver avec l’assurance de votre voisin un arrangement à l’amiable sur le montant de l’indemnité.

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