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Un éclairage exclusif sur le «frelon asiatique» !

En 15 ans, ce redoutable prédateur d’abeilles a envahi toute la France, pour atteindre tous les pays limitrophes y compris le Royaume-Uni… et se retrouver aujourd’hui du sud du Portugal jusqu’aux Pays-Bas. Décryptage !

Temps de lecture : 9 min

Elle avait dû trouver cette poterie chinoise à son goût, la femelle fondatrice qui s’y était installée pour l’hiver, là-bas dans la région de Shanghai. Lorsqu’elle a émergé, après plusieurs mois de quiescence (repos), elle était arrivée dans la région Nouvelle-Aquitaine – sud-ouest de la France – avec la cargaison de poteries.

2003-2004: une passagère clandestine, une seule !

C’était un délicieux printemps, et notre « fondatrice » s’est immédiatement sentie chez elle. Personne ne l’avait invitée. Personne ne l’avait remarquée. Elle allait pourtant provoquer sur la façade ouest de l’Europe l’une des plus spectaculaires invasions biologiques des dernières années. Était-elle vraiment seule dans cette cargaison de poteries ? C’est vraisemblable et fascinant, car toute la population européenne de V. velutina nigrithorax descendrait de cette unique passagère clandestine !

L’installation: nid primaire ou nid de fondation

Comme toute fondatrice de guêpe ou de frelon, notre clandestine s’est réveillée au printemps avec un programme précis : trouver un endroit où bâtir un nid avec, à proximité, des fibres de bois comme matériau de construction, de l’eau, et des ressources en sucres et en protéines. C’est un moment délicat pour les frelons, car tout l’avenir repose sur les seules fondatrices.

Les fibres de bois constituent le matériau de construction des nids primaires qui apparaissent en nombre croissant dans nos régions.
Les fibres de bois constituent le matériau de construction des nids primaires qui apparaissent en nombre croissant dans nos régions. - Gilles San Martin, Cra-w

Le nid « primaire » commence par un pédicelle d’un bon centimètre, ancré, à faible hauteur, à des supports variés : haies, ronciers, cabanons, greniers… Très vite, une première alvéole hexagonale vient orner l’extrémité de ce pédicelle, et le premier œuf y est pondu. Le nid progresse d’une à deux alvéoles par jour, chacune immédiatement garnie d’un œuf.

La construction se poursuit par l’ajout d’une enveloppe sphérique protégeant le nid, et permettant d’y maintenir une température favorable au couvain. Le nid prend l’aspect d’une balle de ping-pong. Jusque-là, la fondatrice assume toutes les tâches : construction, chasse, ponte et soins aux larves.

Des ouvrières à la rescousse

Les premières ouvrières sont observées vers la fin mai. Cette main-d’œuvre, de plus en plus abondante au fil des jours, accélère la croissance de la colonie, les ouvrières prenant en charge toutes les tâches excepté la ponte, que seule la fondatrice assure. Les nids grossissent, et vers la mi-juillet, atteignent la taille d’un petit melon contenant une centaine d’ouvrières.

Voilier agile, chasseur adroit

Le vol du frelon asiatique est rapide et précis. Lorsqu’il repère un insecte, il s’installe en vol stationnaire, fond sur sa proie, la saisit et se pose sur le premier buisson pour un dépeçage en règle : lorsqu’il s’agit d’une abeille ou d’une guêpe, il la décapite, lui coupe l’abdomen, les ailes et les pattes, et n’emporte pour alimenter ses larves que le thorax, partie la plus protéinée puisqu’elle contient les gros muscles alaires.

Le frelon asiatique se sent à l’aise à la campagne et peut-être mieux encore en ville, car son régime alimentaire est très éclectique. Le risque majeur survient lorsqu’il repère un rucher, un véritable garde-manger pour cet opportuniste.
Le frelon asiatique se sent à l’aise à la campagne et peut-être mieux encore en ville, car son régime alimentaire est très éclectique. Le risque majeur survient lorsqu’il repère un rucher, un véritable garde-manger pour cet opportuniste. - Gilles San Martin, Cra-w.

Son agilité et son efficacité comme chasseur permettent au frelon asiatique d’élever un couvain abondant : la colonie grandit de façon exponentielle, si bien qu’au mois d’août, elle se trouve souvent à l’étroit dans le nid de fondation.

Résidence d’été

Lorsque le nid de fondation n’a pas l’espace pour se développer, une partie des ouvrières mettent en chantier la construction d’un nid secondaire, souvent accroché entre 10 et 25 mètres du sol, dans les arbres, ou sur d’autres supports tels que pylônes, édifices ou échafaudages.

La fondatrice quitte alors le nid primaire, souvent au mois d’août, pour s’installer et pondre dans le nid secondaire. En fin de saison, ce dernier ressemblera tantôt à une grosse poire, tantôt à une sphère. Il pourra dépasser les 80 cm de haut et contenir jusqu’à 3.000 individus.

Révolution de palais

Jusqu’en septembre, tous les œufs pondus sont fécondés et produisent des ouvrières. En effet, sous l’effet des phéromones de la fondatrice, le développement sexuel des jeunes femelles est inhibé, et leur destin, tracé : elles seront et resteront des ouvrières.

En revanche, en fin de saison, l’inhibition des jeunes femelles par la fondatrice n’opère plus ; la reine a vieilli, elle ne domine plus sa descendance, et les jeunes femelles évoluent, non plus en ouvrières serviles, mais en «  gynes  », femelles complètement développées qui, une fois fécondées par un ou plusieurs mâles, se disperseront et deviendront, au sortir de l’hiver, les fondatrices de la nouvelle génération.

Les ingrédients du cauchemar

Une seule colonie peut produire plusieurs centaines de gynes… Les gynes peuvent se disperser sur plusieurs dizaines de kilomètres… Une gyne, toute seule, peut fonder un nid…

Ces trois éléments permettent de comprendre comment cet insecte a échappé à la vigilance, comment en une quinzaine d’années il s’est répandu dans toute la France, pour atteindre tous les pays limitrophes y compris le Royaume-Uni, et se retrouve aujourd’hui du sud du Portugal jusqu’aux Pays-Bas.

Opportuniste et prédateur d’abeilles mellifères

Le régime alimentaire du frelon asiatique varie selon le milieu. Il consomme divers insectes et même des araignées, avec une préférence pour les hyménoptères et les diptères. Il est en fait très opportuniste et consomme tout ce qui est carné, jusqu’à des cadavres de mammifères ou de poissons. Il consomme également des sucres, et on peut le voir butiner, puis soudain se saisir par exemple d’un syrphe, lui-même occupé à butiner tout à côté.

En ville, où il se sent aussi bien sinon mieux qu’en milieu rural, il profite des déchets alimentaires. Il est fréquent de le voir rôder, comme les guêpes, autour des poubelles.

C’est lorsqu’il a repéré un rucher que les choses tournent au drame : le frelon ne doit plus chercher ses proies : il n’a plus qu’à aller s’y servir et faire les navettes entre son nid et le rucher.

L’abeille mellifère, Apis mellifera , n’a pas co-évolué avec ce frelon. Contrairement à sa cousine asiatique, Apis cerana , elle n’a pas développé ce comportement d’attaque collective contre le frelon qui s’approche de la ruche. Elle semble plutôt tétanisée par sa présence, et ce stress semble plus nuisible à la colonie que le prélèvement d’abeilles. Plutôt que de passer la fin de l’été à préparer l’hiver, les colonies soumises à la pression du frelon asiatique s’épuisent.

Le frelon asiatique est donc à considérer comme un facteur de mortalité hivernale des colonies d’abeilles : un de plus…

Si différent du frelon commun Vespa crabro ?

À y regarder attentivement, on s’aperçoit que « notre » frelon, Vespa crabro, n’est pas un enfant de chœur : on le voit régulièrement rôder autour des ruches. Il se permet, lui aussi, d’attraper des abeilles, de les décapiter, de leur couper abdomen, ailes et pattes avant de filer à son nid.

Toutefois, le frelon commun est bien balourd ; s’il lui arrive de prélever une abeille, son efficacité de chasseur n’a rien de comparable à celle de son cousin asiatique, et il ne constitue un danger que pour des colonies d’abeilles déjà très affaiblies.

Et « notre » abeille ? Vraiment désarmée ?

Les colonies d’abeilles mellifères ne sont pas toutes aussi passives en présence de frelons asiatiques. Chez certaines, on peut voir des ébauches de comportement de défense groupée qui rappelle celui d’A. cerana . Peut-être sera-t-il possible, par la sélection de colonies pourvues de ce caractère, de disposer d’abeilles mellifères capables de mieux tenir tête au frelon asiatique.

L’invasion progresse aussi dans notre pays !

En Belgique, le premier nid de frelon asiatique a été découvert en novembre 2016, à Guignies (sud de Tournai). En 2017, sept nids ont été découverts : trois près de Poperinge, trois dans le Tournaisis (Péronnes, Bléharies, Tournai) et un à Nalinnes, au sud de Charleroi.

L’an dernier, plus de 60 nids ont été trouvés, dont les 2/3 en Flandre. Côté wallon, une vingtaine de nids se situaient le long de la frontière française entre Tournai et Charleroi. Quatre nids étaient un peu excentrés : Lessines, Rebecq, Flawinne (Namur) et Chimay.

Cette année, 25 nids primaires ont déjà été signalés et neutralisés dans ces mêmes régions, avec une poussée en Brabant wallon et cinq nids dans les alentours immédiats de Namur. En province de Liège, un seul nid a été trouvé à Huy, et en province de Luxembourg, une fondatrice a été capturée à Haut-Fays (Daverdisse).

Si le taux d’accroissement des dernières années se maintient, il faut s’attendre à découvrir entre 150 et 200 nids en Wallonie d’ici la fin 2019, et probablement à une avancée vers l’est.

Et la lutte? Des pistes, mais pas de miracle!

En dehors de la neutralisation des nids, certains dispositifs placés devant les ruches se révèlent assez efficaces pour éloigner les frelons. Ces équipements ne réduisent pas les prélèvements d’abeilles, mais soulagent les colonies du stress lié à la présence de frelons juste devant le trou de vol.

Certains vantent les mérites du piégeage. Il n’est pas difficile, dans les régions fort infestées de capturer des centaines de frelons dans différents types de pièges. Les modèles et les appâts se perfectionnent, mais trop souvent, des pièges très peu sélectifs sont utilisés et se soldent par la destruction de nombre d’insectes non visés.

Détecter, signaler, neutraliser les nids

Avec la chute des feuilles, la saison des détections des gros nids secondaires va commencer. Il est important, de signaler les nids de manière à permettre de les neutraliser avant l’exode des jeunes fondatrices.

Nid secondaire dans un orme, à Bléharies.
Nid secondaire dans un orme, à Bléharies. - Michel De Proft, Cra-w

La présence d’un nid peut être signalée au Centre wallon de recherches agronomiques, via le nº d’appel tél.: 0476/760.532, ou au nº tél. d’urgence 112.

Les frais de neutralisation des nids de frelons asiatiques sont pris en charge par la Région wallonne. La neutralisation consiste à guider un aiguillon jusqu’à l’intérieur du nid à l’aide d’une perche télescopique, et d’y injecter un insecticide en poudre. Cette technique remplit à la fois les critères d’efficacité et de sécurité des opérateurs, ces derniers pouvant travailler à distance du nid et le plus souvent en restant sol.

Neutralisation: poudreuse et perche télescopique.
Neutralisation: poudreuse et perche télescopique. - Michel De Proft, Cra-w

Détruire soi-même un nid ? Attention danger !

Le frelon asiatique n’est agressif que lorsqu’il défend son nid. Dans ce cas, des attaques extrêmement violentes peuvent survenir. Vu la taille des colonies, la localisation des nids en hauteur, souvent à proximité des habitations, voire en pleine ville, il est vivement déconseillé de tenter une intervention sans disposer d’équipements spécifiques d’intervention et de protection, et sans une gestion stricte de la sécurité des riverains et des curieux.

En savoir plus sur le frelon asiatique : http://biodiversite.wallonie.be/fr/le-frelon-asiatique.html?IDC=5999

Michel De Proft

, Cra-w

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