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4.000 km de haies vives!

Green-washing ou réelle volonté de verdir la Wallonie ? Notre nouveau Gouvernement Régional s’est fixé un objectif pour le moins surprenant : planter 4.000 km de haies vives ! J’applaudis à quatre mains cette idée fort sympathique, mais j’ai comme un doute. Où, qui, comment ? N’ont-ils pas les yeux plus grands que le ventre ? Les agriculteurs auront en tout cas l’occasion de redorer leur blason, mais la motivation sera-t-elle au rendez-vous ?

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En 2018, le Ministre Collin avait lancé un projet nettement moins ambitieux, son fameux « 110 km haies », doté d’un budget de 460.000 €. Une bonne moitié est aujourd’hui plantée, le reste suivra-t-il ? On ne peut guère parler d’un succès foudroyant… Cinquante kilomètres/an : à ce train-là, il faudra donc 80 (!) ans pour arriver au bout des 4.000 km désirés. Le Gouvernement Wallon devra se montrer autrement convaincant pour atteindre son objectif dans un laps de temps raisonnable ! S’il se montre imaginatif et déterminé, et consent à y mettre le prix, le challenge est tout à fait abordable. D’aucuns se gaussent de cet objectif « farfelu ». L’argent public devrait être utilisé en bon père de famille pour des causes sérieuses, pour l’enseignement, la mobilité, l’agriculture (tout de même un peu…) et d’autres secteurs autrement plus importants que le bonheur des petits oiseaux, se moquent les climato-sceptiques. Pourtant, planter des haies n’est pas du tout un luxe, ni une lubie de Bobos écolos. Des études scientifiques ont démontré à souhait leurs multiples bienfaits.

Selon les spécialistes de l’environnement, planter toutes ces haies constituerait le plus beau des cadeaux pour notre Wallonie ! Autrefois, plusieurs centaines de milliers de kilomètres traçaient leurs arabesques entrelacées dans les campagnes wallonnes : il n’en reste plus aujourd’hui qu’environ 20.000 km. Les remembrements successifs et l’agrandissement des parcelles agricoles ont sonné la quasi-disparition des saules têtards, le glas des haies d’aubépines, mélangées de noisetiers, frênes, charmes, hêtres, et autres sureaux. Elles ont été détruites de toutes les manières possibles : par le feu, les haches, les tronçonneuses, les bulldozers, les déchiqueteuses… au mépris de tout ce qu’elles représentaient en termes paysagers, écologiques, culturels, et malgré tous les services qu’elles rendaient : effet coupe-vent pour les cultures, clôture et abri pour les animaux, ombrage, etc. En 2019, on leur prête d’autres vertus supplémentaires : stockage de CO2 pour lutter contre le réchauffement climatique, rétention des terres d’érosion lors des fortes pluies, mise en place de riches biotopes, sauvegarde d’espèces menacées, etc. L’opération « 4.000 km de haies vives » figure en bonne place dans les revendications du Parti Écolo, on comprend aisément pourquoi…

En ce qui me concerne, pas besoin de me motiver ! Je n’ai pas attendu les « 110 km haies » de M’sieur René, encore moins les « 4.000 km » de M’dame Céline, pour planter plus de 3.000 mètres un peu partout autour de nos parcelles remembrées, le long des routes et des ruisseaux. J’ai horreur des grandes étendues, des champs à perte de vue sans aucun arbre à l’horizon. Il paraît que c’est un comportement normal : nos ancêtres hominiens ont vécu pendant des millions d’années dans la savane africaine, constituée d’une plaine d’où émergent de-ci de-là des arbres et des bosquets. L’être humain n’est pas à son aise au milieu d’une surface dépourvue d’éléments verticaux ; il l’est encore moins au sein d’une épaisse et sombre forêt. Dans notre cerveau archaïque, l’environnement idéal n’est autre qu’une campagne découpée en damier par des rangées de haies vives.

Pour vivre heureux, vivons entouré de haies ! Si tout le monde était de cet avis, le projet « 4.000 km » serait rapidement accompli. Il y a loin de la coupe aux lèvres… Beaucoup d’agriculteurs craignent la perte de superficie utile : 4.000 km X 1 m de largeur = 400 hectares à répartir sur les 12.000 exploitations agricoles, soit 350 m²/ ferme, 3 ares et demi. Ce n’est pas si terrible… Ensuite, une fois la haie devenue « adulte », il faudra la tailler, évacuer les branches. Les agriculteurs d’aujourd’hui ne sont plus habitués à ce genre d’activité « manuelle », susceptible il est vrai d’être mécanisée par toutes sortes d’engins modernes. Imaginons surtout l’impact positif d’une telle action sur notre image de marque ! Une plantation massive de haies vives agricoles clouerait le bec à tous nos détracteurs, l’occasion unique d’initier un cercle vert et vertueux en notre faveur !

De plus, 4.000 km de haies demanderont la production d’environ dix millions de plants d’arbustes variés ! Les pépiniéristes wallons, -je suppose tout de même que les plants seront achetés localement, et non en Flandre ou ailleurs!! –, verront-ils s’ouvrir un nouveau débouché ? Ils ont un savoir-faire extraordinaire et mériteraient de bénéficier d’une clause de préférence. Croyez-vous qu’une aubépine née orpheline dans de basses plaines maritimes trouvera son bonheur dans la caillasse ardennaise, à 550 mètres d’altitude ? Acheter local est faire acte de foi envers la durabilité, nous est-il seriné à longueur de temps, alors, plantons en Wallonie des arbrisseaux wallons !

L’ambitieux programme « 4.000 km de haies vives », va-t-il accoucher d’une souris verte, qui courra dans l’herbe et qu’on attrapera par la queue pour faire plaisir à ces messieurs ? J’en serais très déçu…

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