A la ferme Henricot à Corbais: l’agroécologie en pratique dans les exploitations de grandes cultures

Présentation du Drop Test par Vincent Tomis (Agrotransfert).
Présentation du Drop Test par Vincent Tomis (Agrotransfert).

L a première Rencontre de l’agroécologie pratique dans les systèmes de grandes cultures, organisée le 14 juin dernier, par le Centre wallon de recherches agronomiques, l’asbl Geenotec et les Services extérieurs de la Dgarne, a accueilli une centaine de participants à la ferme Henricot sise à Corbais dans le Brabant wallon.

Le matin, le rendez-vous était fixé dans une salle de la commune de Mont Saint-Guilbert où agriculteurs, conseillés et scientifiques ont témoigné de leurs conceptions et de leurs connaissances de l’agroécologie. L’après-midi, place à la pratique, aux témoignages et aux ateliers de terrain.

Transae, un projet transfrontalier pour accompagner la transition agro-écologique

Transae est un projet transfrontalier du programme Interreg IV cofinancé par les fonds européens Feder et les régions Wallonie, Flandre et Haut de France pour accompagner et favoriser la coopération entre les agriculteurs engagés sur le chemin de l’agroécologie dans ces trois régions.

Emilie Lacour du Parc naturel régional des Caps et Marais d’Opale dans la région Hauts de France : « Pour mener à bien ces actions, le projet rassemble des compétences diversifiées et complémentaires portées par des organisations partenaires de Wallonie (Cra-w et Greenotec), de Flandre (Inagro et Ilvo) et des Hauts-de-France (APAD62, Initiatives paysannes, Parc naturel régional des Caps et Marais d’Opale, Université de Picardie Jules Verne).

L’expertise et les compétences des agriculteurs tiennent un rôle central dans l’orientation et la mise en œuvre de ce projet. Les partenaires ont d’abord élaboré un plan d’actions sur trois ans avec des groupes d’agriculteurs, sur la base de leurs objectifs et de leurs compétences.

Deux grandes thématiques de travail sont abordées de manière transfrontalière :

– un volet fertilité du sol : couverts végétaux, cultures associées, diminution du travail du sol, réduction des intrants, utilisation de copeaux de bois ;

– et un volet autonomie alimentaire en élevage : optimisation du pâturage, ration hivernale, articulation cultures-élevages, adaptation des prairies à la sécheresse, vêlage de printemps et monotraite, utilisation de copeaux de bois en litière.

Retrouver une autonomie de gestion

Cultivateur dans le Haut Pays d’Artois, Didier Findinier insiste sur l’importance de reprendre en main son métier d’agriculteur en développant sa compréhension des processus naturels qu’il doit gérer, mais aussi et surtout en développant son autonomie de gestion agronomique – sélection de populations de blé, cultures associées, agroforesterie, bois raméal fragmenté – et économique – partenariat avec des boulangers locaux. « La clef de la réussite de la transition réside dans les collectifs d’agriculteurs quelle qu’en soit la forme », dit-il.

Ni pesticides ni travail du sol

Daniel Jamar, chercheur au Cra-w, s’est fait le porte-parole du groupe « Convergence ABC » qui comprend des agriculteurs engagés en agriculture de conservation du sol ou en agriculture biologique, l’asbl Greenotec et ledit Centre wallon de recherches agronomiques.

« Impliqués dans le projet Transae, les partenaires de ce groupe visent à progresser ensemble vers un horizon commun de pratiques agricoles sans pesticides ni travail du sol. Cette convergence se concrétise notamment par la mise en place d’un réseau de parcelles sur des fermes où prend place l’expérimentation d’une succession de cultures et des itinéraires techniques en rupture.

Les quatre piliers de la conservation des sols

Coordinateur de l’asbl Greenotec, Maxime Merchier rappelle que les trois piliers caractéristiques de l’agriculture de conservation des sols sont la réduction du travail du sol, la couverture permanente du sol et les rotations longues. Il ajoute un quatrième pilier : la restauration de la biodiversité et la réduction du recours aux pesticides. « Avec ce dernier, l’agriculture de conservation des sols entre de plain-pied dans la démarche agro-écologique ».

Éclairage sur la mycorhization

La mycorhization, ou la capacité des plantes à créer une symbiose racinaire avec des champignons du sol, demeure un des processus écologiques les plus importants mais encore mal connu dans l’approche des systèmes de grandes cultures. Thierry Tétu, agriculteur dans la Somme, chercheur et maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne relève que, par cette coopération spécifique, la plante cultivée étend le volume de terre exploré et accroît sa capacité à exploiter des fractions minérales de phosphore, de potasse et d’eau réputées non disponibles.

« Les mycorhizes peuvent aussi améliorer la nutrition azotée de la plante et lui conférer une meilleure résistance aux maladies, aux ravageurs et à la sécheresse », poursuit-il.

En échange de ces services la plante fournit au champignon, sous la forme de sucres issus de la photosynthèse, l’énergie nécessaire à son développement.

Thierry Tétu avertit cependant que toutes les pratiques agricoles ne sont pas favorables au développement des mycorhizes, loin s’en faut, comme le résume le tableau ci-dessous.

Parcours d’agriculteurs en transition

Après une matinée plus spécifiquement dédiée à la théorie et aux témoignages, l’après-midi invitait les participants à cette première journée de l’agroécologie pratique à se rendre chez Claude Henricot, agriculteur engagé dans l’agriculture de conservation des sols (ACS) sur son exploitation à Corbais en Brabant wallon.

Claude Henricot présente à ses visiteurs les motivations et atouts qu’il dégage sur sa ferme grâce à la mise en œuvre de pratiques propres à l’agroécologie et à l’agriculture de conservation des sols.
Claude Henricot présente à ses visiteurs les motivations et atouts qu’il dégage sur sa ferme grâce à la mise en œuvre de pratiques propres à l’agroécologie et à l’agriculture de conservation des sols.

Avec beaucoup d’enthousiasme et de générosité, Claude commente l’origine de sa « conversion », son parcours et ses pratiques. « Au départ, pour éviter l’érosion et diminuer mes coûts, j’ai décidé d’abandonner le labour et je me suis engagé dans les traitements à bas volume et à doses réduites. Alerté par l’importance de la vie du sol, j’ai ensuite évolué vers des pratiques visant à renforcer les interactions écologiques dans l’ensemble de mon système de culture ».

C’est ainsi qu’il épand régulièrement de faibles quantités de matières organiques à la surface de ses terres pour nourrir les vers de terre. Par ailleurs, pour maximiser la couverture du sol, Claude recourt avec assiduité au semis de couverts – riches en espèces diverses – en interculture. Des couverts végétaux qu’il considère comme des cultures à part entière. Pour les détruire, il n’utilise plus le glyphosate, mais opte pour un mode mécanique, par temps de gel.

« Malgré le non-labour, je n’applique plus d’antilimaces, ce qui permet aux carabes – insectes utiles qui s’en nourrissent – de se développer et de la prolifération des limaces. Pour protéger ces auxiliaires, ainsi que la multitude d’insectes utiles présents dans la nature, les insecticides sont bannis de l’exploitation depuis 5 ans et des arbres sont plantés en bordure et au milieu des champs – agroforesterie. »

L’usage des fongicides est également revu à la baisse de manière à favoriser le développement des mycorhizes. « Non sans quelques déboires liés à l’apprentissage et à la transition, la combinaison d’un ensemble de pratiques qui se renforcent l’une l’autre me permet aujourd’hui de stabiliser mes rendements vers le haut, tout maîtrisant mes coûts de production et l’impact du système de cultures sur l’environnement », se félicite ce pionnier de l’agriculture de conservation des sols.

Des ateliers pour apprendre à observer le sol… en commençant par le profil cultural

Les contributions croisées d’Agrotransfert et de l’Université de Picardie (F), d’Inagro (Flandre), de Regenac terre, des Services publics de Wallonie, de Greenotec et du Cra-w (Wallonie) ont donné l’occasion aux agriculteurs de s’approprier des outils simples pour observer le sol, sa vie biologique, les traces de son histoire récente et lointaine, réaliser un diagnostic de son fonctionnement… et ainsi raisonner en conséquence leurs pratiques agronomiques.

Le profil cultural est la voie magistrale pour observer le sol, assure Thierry Tétu de l’Université de Picardie. Ici le mot d’ordre est la verticalité. « Du haut de son tracteur ou de ses deux jambes, l’agriculteur ou le commun des mortels perçoivent le sol comme une surface plane, horizontale. Pourtant, sous la surface, le fonctionnement d’un sol sain doit présenter de la verticalité : structure et fissures, galeries de vers de terre, racines. »

Commenté par Thierry Tétu, le profil cultural permet d’identifier les freins éventuels à la verticalité nécessaire au bon fonctionnement du sol.
Commenté par Thierry Tétu, le profil cultural permet d’identifier les freins éventuels à la verticalité nécessaire au bon fonctionnement du sol.

Par contre, les structures horizontales engendrées par le travail de l’agriculteur révèlent autant d’entraves aux échanges physicochimiques et à la vie du sol : lissage, semelle, compaction, accumulations de débris végétaux, racines à angle droit, galeries tortueuses ou en « cul-de-sac ». Ces structures horizontales témoignent d’un mauvais fonctionnement du sol et de pratiques à revoir.

Vue d’une tranche de sol permettant d’identifier parfaitement la présence d’une semelle de labour.
Vue d’une tranche de sol permettant d’identifier parfaitement la présence d’une semelle de labour.

En placant un infiltromètre à différentes profondeurs dans le profil cultural, on perçoit immédiatement le barrage qu’exerce une « semelle superficielle » sur la percolation de l’eau. «Il suffit d’enfoncer une simple tige métallique (en guise de pénétromètre) dans le sol à distances régulières peut déceler la présence de compactions horizontales et en situer la profondeur», ajoute Martijn Denaegel, spécialiste du sol chez Inagro.

Le mini profil

Plus accessible, le mini profil, réalisé au télescopique avant l’implantation de la culture suivante. «Il donne le même type d’informations et est idéal pour un diagnostic en groupe lors de tours de plaines», intervient était présenté par Vincent Tomis (Agrotransfert).

Outil indispensable à l’agriculteur au quotidien, le «test bêche» consiste à sortir, à la bêche, une tranche de sol de 10 cm d’épaisseur sur 25 cm de profondeur. Il est efficace pour observer l’évolution du sol dans le temps ou comparer l’effet d’une opération culturale. À force d’en réaliser sur ses parcelles, l’agriculteur acquiert rapidement une compétence et une rapidité d’exécution telles que ce test peut devenir un véritable outil de raisonnement des opérations culturales.

Le « drop test » en est une variante mise au point par les services pédologiques de la Région wallonne qui permet de faire en quelques minutes un diagnostic sur l’état d’agréation du sol.

Le slake test

Le «slake test» illustre de manière très démonstrative l’état de cohésion du sol et sa sensibilité à la battance et à l’érosion. Il consiste à immerger dans l’eau un gros agrégat de terre prélevé en surface et d’observer la rapidité avec laquelle l’agrégat se désagrège. Les tests réalisés par Frédéric Vanwindekens du Cra-w, dans différents systèmes de cultures sur sols limoneux, montrent très clairement comment le labour, en diluant la matière organique sur une profondeur de 25 cm, peut affecter la cohésion des agrégats et des particules et sensibilise le sol à l’érosion.

Très démonstratif, le slake test présenté par Frédéric Vanwindekens (Cra-w) illustre l’effet du labour sur la cohésion des agrégats et particules de sol.
Très démonstratif, le slake test présenté par Frédéric Vanwindekens (Cra-w) illustre l’effet du labour sur la cohésion des agrégats et particules de sol.

Les vers de terre

Du côté de la vie biologique, un atelier commenté par Baptiste Maître et François Dessart de l’asbl Greenotec était consacré aux vers de terre, eux aussi très affectés par le travail intensif du sol, les semelles et le tassement. L’occasion de faire le point sur l’écologie des vers de terre, les services qu’ils peuvent rendre à l’agriculteur, et les pratiques culturales qui leur sont néfastes.

Récolte de vers de terre au moyen du «test moutarde».
Récolte de vers de terre au moyen du «test moutarde».

Sur le terrain, un dispositif de galeries creusées dans le sol montrait comment une grande partie de l’eau qui percole dans le sol emprunte les galeries de vers de terre pour s’infiltrer. À l’aide du «test à la moutarde», Odile Depuyt du Cra-w a montré que, malgré la sécheresse du printemps et que le mois de juin est la période où les vers de terre se mettent en pause estivale (diapause), les pratiques agronomiques mises en œuvre par Claude Henricot, leur sont extrêmement bénéfiques. Plus de 60 vers par m², représentant une biomasse de 4 à 5 tonnes par ha, ont surgi du sol en quelques minutes, fuyant les propriétés urticantes de la moutarde.

En visitant simplement ses parcelles, chacun peut aussi se faire facilement une idée de l’activité des vers de terre en observant le nombre et la taille des « cabanes de vers de terre ». Il s’agit de ces accumulations de matière organique mélangée à de la terre que les vers anéciques (de grande taille) organisent, pendant la nuit, au sommet de leur galerie et qui leur servent de garde-manger.

Plus d’infos

Pour en savoir plus sur le projet Transae : www.transae.eu.

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