Une essence sous-estimée en quête de reconnaissance: peuplier, réchauffement climatique et agriculture

Alignement de peupliers dans la campagne hutoise. Grande oubliée dans le concert médiatique, cette essence est pourtant très intéressante et performante dans le contexte du changement climatique.
Alignement de peupliers dans la campagne hutoise. Grande oubliée dans le concert médiatique, cette essence est pourtant très intéressante et performante dans le contexte du changement climatique. - G. Picron

Chaque jour la presse, la radio et la télévision évoquent les conséquences du changement climatique. Les revues spécialisées en sylviculture emboîtent le pas et s’alarment des scolytes des épicéas, de la chalarose du frêne, des mortalités des chênes et des hêtres en raison d’une excessive sécheresse. Curieusement, le peuplier passe inaperçu. Pourquoi ?

C’est probablement la seule essence à tirer profit des conditions climatiques des dernières années. Des mesures précises et répétées prouvent clairement que les peupliers, généralement installés dans des milieux à hydromorphie (engorgement du sol) importante, tirent parti de cette situation et du gradient de température plus élevé et, tous cultivars confondus, présentent des performances remarquables.

Pourquoi une telle absence de considération ?

On doit souligner que le peuplier, depuis des décennies, est victime du manque d’intérêt de la Division Nature et Forêts (DNF), encouragée par certains milieux écologistes. Il en résulte une mise au ban de la sylviculture avec pour conséquence l’absence totale de soutien de la part des instances officielles, contrairement aux autres essences.

Grâce aux propriétaires privés, soutenus techniquement par le seul Centre de Populiculture du Hainaut (CPH) depuis 60 ans, la populiculture belge maintient le cap.

Grand oublié dans le concert médiatique, le peuplier est pourtant une essence très intéressante et performante dans le contexte du changement climatique.
Grand oublié dans le concert médiatique, le peuplier est pourtant une essence très intéressante et performante dans le contexte du changement climatique. - G. Picron

Une tentative de reconnaissance du peuplier a été menée entre 1990 et 2000 dans le cadre du projet Objectif 1 Hainaut ; la Région Wallonne et l’Europe ont soutenu le CPH associé au Carah afin de réaliser un inventaire complet de la ressource « peuplier » en Hainaut.

Ces travaux ont permis d’envisager positivement l’installation d’une industrie locale utilisatrice de ce gisement en continuel renouvellement. Malheureusement, aucun projet industriel n’a pu être réalisé.

Après avoir subi, elle aussi, des périodes néfastes dans les années 1990-2000, la culture du peuplier a relevé le gant grâce aux efforts des sélectionneurs – belges notamment – mais aussi hollandais et français, qui ont introduit de nouveaux cultivars résistants aux champignons (les rouilles) et dont les performances permettent aujourd’hui de réduire de près de moitié la rotation. On peut actuellement produire des peupliers de 2 m³ en 20 ans contre 35 ans il n’y a pas si longtemps. Cette récolte (à 20 ans) permet d’effectuer trois rotations sur 75 ans, alors qu’un chêne n’est toujours pas exploitable.

Des atouts significatifs

Économiquement, le peuplier permet un retour sur investissement incomparable par rapport aux autres essences et… aux placements boursiers, en raison d’une garantie de rendement liée d’une part aux performances signalées ci-dessus et d’un marché en constante amélioration.

On doit souligner aussi que la culture du peuplier est simplifiée par rapport à celle des autres essences : plantation à large écartement, pas d’éclaircie, émondage et élagage réalisés par des techniques courantes (élévateurs, tronçonneuses), aucun traitement phytosanitaire.

Ces différents travaux sont réalisables par des agriculteurs qui disposent du matériel depuis la plantation jusqu’à l’exploitation, avec l’utilisation d’une main-d’œuvre locale.

Sur le plan écologique, le peuplier est sans doute l’essence dont le captage de CO2 est le plus efficace en raison d’une croissance de sa masse foliaire la plus rapide ; dans la majorité des situations, un taillis (aulnes, noisetiers.) et une flore herbacée (mégaphorbiaie) complètent harmonieusement cette absorption constituant un « puits de carbone » important.

Il est faux de dire que la populiculture réduit la diversité floristique : il suffit d’examiner les relevés réalisés dans de nombreuses études pour s’apercevoir que contrairement aux résineux et même à une hêtraie, la diversité de la flore est incomparable.

Ajoutons surtout, que la plupart des peupleraies sont installées dans des milieux inutilisables en agriculture, tout en étant proches des terrains agricoles.

Pour illustrer la populiculture actuelle, un premier exemple…

Un populetum (collection de cultivars) a été installé en pleine campagne du « Pays-vert » à Ormeignies-les-Ath en 2004. Six cultivars, plantés en « blocs » de 25 arbres chacun, à l’écartement de 8 m x 8m, avec taillis (aulne, noisetier et flore herbacée). Le sol est un limon lourd hydromorphe, avec une nappe phréatique à 80 cm.

Les données reprises dans le tableau 1 montrent que les accroissements annuels observés cette année sont très satisfaisants, mais inférieurs aux accroissements annuels moyens. L’exploitation à 20 ans est envisageable pour tous les cultivars.

… et un second

Considérons maintenant le cas de plantations « normales » au printemps 2007 de deux parcelles voisines à Wadelincourt (Beloeil), avec un écartement de 8 m x 8 m, des taillis en sous-étage, sur un sol hydromorphe, limoneux avec un horizon organique à 50 cm.

Le tableau 2 présente les performances de ces deux plantations.

On constate que l’accroissement annuel courant est supérieur pour le cultivar Oudegem, alors que son accroissement annuel moyen est inférieur à celui du Serotina de Poitou. Il a donc mieux réagi aux conditions climatiques de 2019. Le cultivar Oudegem est nettement plus performant à Wadelincourt qu’à Ormeignies. Il y a manifestement un effet « sol ».

Des mesures ont été effectuées sur les mêmes arbres le 5 juillet et le 10 octobre de cette année (tableau 3). On constate que l’accroissement courant au 5 juillet des deux cultivars est inférieur à celui enregistré entre le 5 juillet et le 10 octobre, ce qui prouve que le climat de l’été a été plus favorable (dans cette parcelle) que celui du printemps.

Cette observation est confirmée par la sénescence foliaire (décoloration des feuilles) du présent automne qui se traduit par la persistance du feuillage jusqu’au début novembre, avec des variations selon les cultivars, observation quasi inconnue jusqu’à cette année. Preuve supplémentaire de l’influence positive du réchauffement climatique sur le peuplier.

Il faut souligner que l’obtention de nouveaux cultivars découle de croisements dirigés faisant intervenir des clones (nigra, deltoïdes, trichocarpa) originaires de régions à climats plus méridionaux, ce qui explique, en partie, leur adaptation aux conditions climatiques nouvelles.

Sciage ou déroulage

Le peuplier est utilisé soit en sciage soit en déroulage. Cette dernière utilisation n’est malheureusement plus envisageable en Belgique en raison de la disparition des industries allumettières et du contre-plaqué. Par contre, on assiste à un marché exportateur des qualités « déroulage » vers la France, mais aussi vers des contrées éloignées (Indonésie, Egypte, Chine, Vietnam).

Nos voisins français ont bien compris la nécessité de favoriser la populiculture en aidant d’abord financièrement les populiculteurs mais aussi en favorisant son utilisation par un soutien aux nouvelles technologies qui permettent la réalisation de bâtiments entièrement en peuplier (salles de sport ou culturelles, tribunes de stades…).

Devant la crainte d’une pénurie de peupliers, des industriels ont initié la constitution d’un groupement régi par une charte intitulée « Merci le peuplier ». Ce groupement réunit l’ensemble de la filière : du pépiniériste à l’industriel en passant par les exploitants, les coopératives forestières. Né dans quelques régions en 2011, il s’est étendu à toute la France en 2014 et a permis la replantation de 2.350 ha à la fin 2018 grâce à une contribution de 2,50 euros/plant, soit plus d’un million d’euros de subvention.

Un lien fort avec l’agriculture

La technique culturale du peuplier et sa relativement courte rotation rapprochent cette essence de l’agriculture, d’autant plus que les peupleraies (ou les alignements de peupliers) jouxtent dans la majorité des situations les terrains agricoles, utilisant, le plus souvent, des parcelles difficiles à cultiver autrement.

En outre, tous les travaux précédant l’exploitation sont réalisables par l’agriculteur qui dispose, généralement, du matériel nécessaire aux opérations tant de plantation que d’entretien, travaux qui peuvent être envisagés durant des périodes de moindre activité agricole (généralement l’hiver).

Agroforesterie peuplier prairie.
Agroforesterie peuplier prairie. - G. Picron

Deux situations sont envisageables :

– l’agriculteur est propriétaire du terrain, il conduit ses peupliers avec les outils présents sur l’exploitation, sans recours à une main-d’œuvre extérieure et peut envisager un profit intéressant ;

– l’agriculteur est locataire et le propriétaire souhaite planter des alignements de peupliers (agroforesterie). Le cas a été présenté récemment lors de l’excursion d’automne du Centre de Populiculture du Hainaut : un agriculteur et le propriétaire ont montré la réalisation d’alignements de peupliers dans des parcelles de culture dont les écartements des lignes de plantation étaient adaptés aux passages des matériels de culture (33 m en l’occurrence) sans qu’aucune autre contrainte ne soit observée.

Dans de telles situations, on pourrait très bien envisager soit d’adapter le loyer de la terre louée, soit d’établir un contrat entre propriétaire et locataire qui permettrait à ce dernier d’effectuer les travaux populicoles moyennant rétributions et, éventuellement, de bénéficier d’un pourcentage (à définir) du résultat financier final au moment de l’exploitation des peupliers.

Dans le cas des alignements autour des prairies, le même dispositif pourrait s’envisager avec l’avantage supplémentaire que les animaux bénéficieraient de l’ombre des peupliers durant les périodes de canicule !

D’après Gilbert Picron

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