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Co-opérons!

À Paris, ils étaient bleus pour la plupart, comme il se doit ; à Berlin, nombre d’entre eux étaient verts, rien d’étonnant ; à Bruxelles, pas un chat, ni gris, ni noir… Lorsque les tracteurs français et allemands défilent dans leurs capitales, franchement, ça a de la gueule ! Quand les agriculteurs se rassemblent et manifestent, ce n’est pas pour rire, ou pour se plaindre de broutilles, surtout nos voisins germains, des durs à cuire disciplinés… Ils en ont gros sur la patate, ras la casquette du « black friday » des prix agricoles soldés à prix sous le plancher, qui dure toute l’année et depuis des décennies. Ils en ont marre des normes, des directives ; plein le dos des administrations, et des donneurs de leçon qui nous infantilisent. Trop, c’est trop : marre d’être systématiquement dénigrés, exploités, soumis aux caprices du bon peuple, du grand commerce et des finances…

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Quand tout va au plus mal, les agriculteurs se regroupent, main dans la main, ou plutôt pneus dans les pneus. Ils parlent d’une seule voix, klaxonnent ensemble, et constituent un bloc, une masse avec laquelle il faut compter. C’est beau ! Mais hélas, quand tout va un peu mieux, chacun retourne dans sa ferme fricasser tout seul sa popote. Les agriculteurs sont des individualistes forcenés ; ce n’est pas leur moindre défaut ! Ne serait-il pas davantage logique et judicieux d’unir ses forces avant que tout aille mal ? Pour prévenir les coups durs, pour mettre en place des groupements d’intérêts collectifs, créer des outils concrets gérés en communautés ? Je ne parle pas des syndicats, respectables et pleins de bonne volonté certes, mais un peu trop politisés et bureaucratisés, trop attentistes et atermoyants au goût des fermiers. On les aime bien pourtant, comme nos hommes politiques et les gens du ministère agricole. Qu’ils me pardonnent, mais je voudrais plutôt évoquer ici les coopératives agricoles, du style de Fairbel, Laiterie des Ardennes, ou encore la Sucrerie de Seneffe en pleine gestation.

Coopératives… L’image peut sembler vieillotte, nous ramener aux premières laiteries coopératives installées sous la houlette des curés de campagne, vers la fin du 19e siècle. Les ouvriers engagés devaient être des catholiques irréprochables ; des crucifix pendaient partout dans les salles et estampillaient les bidons. C’était rigolo ! Il n’empêche, leur bienfait fut considérable, car le beurre, ainsi fabriqué à partir des crèmes récoltées dans les villages, était correctement vendu, et un peu d’argent frais rentrait dans les fermes. Les paysans avaient leur mot à dire, et ne dépendaient plus uniquement du bon vouloir des commerçants, qui s’arrangeaient entre eux pour spolier les petits producteurs. Par la suite, ces microcoopératives se sont regroupées en plus grosses entités, comme Chéoux, Sud-Lait, Socabel et aujourd’hui la Laiterie des Ardennes.

Fournisseur à Chéoux pendant plus de vingt ans, j’ai toujours apprécié le confort financier de faire partie d’une coopérative. Tout est transparent : le calcul du prix à la ferme, les investissements consentis pour pérenniser l’entreprise, les frais de fonctionnement, la redistribution des bénéfices, etc. Ô bien sûr, tout n’est pas rose ; on n’est pas toujours d’accord, mais au moins, on a l’impression d’avoir son destin en main, de posséder son outil de commercialisation. Pour le lait, c’est parfait, tandis que la viande… En bovin viandeux, la situation désastreuse actuelle illustre à merveille l’émiettement des forces agricoles. Chez les éleveurs, c’est « chacun pour soi et Dieu pour moi ». Les marchands de bestiaux, les chevilleurs et les grossistes en viande font leur marché en toute quiétude, picorant à gauche et à droite selon leur bon vouloir. Ils ont construit un réseau au maillage bien serré, où il existe très peu de place aux éleveurs pour chercher une plus-value. Des solutions individuelles existent, comme la vente de colis, ou encore les boucheries à la ferme…

Des solutions individuelles, oui… On en revient toujours au chacun pour soi, alors que la constitution de coopératives pourrait dégager des pistes beaucoup plus intéressantes. Quand l’abattoir de Bastogne a été repris par Verbiest, me disait naguère un éleveur de BBB, il aurait mieux valu faire barrage à ce capitaine d’entreprise qui ne cherchait que son profit, -on a vu ce que cela a donné au final, en termes d’image de marque pour la viande !- et créer une coopérative gérée par les fermiers eux-mêmes. « Ils trouvent bien des cent mille euros pour s’acheter des gros tracteurs, ou cinq fois plus pour se construire de grandes étables, pourquoi ne pas investir dans une coopérative, comme cela se fait dans le secteur laitier ? », a-t-il déploré… Bien sûr, rien n’est simple ; il faut faire des efforts, se débarrasser de cet esprit individualiste, cultivé avec soin par tous ceux qui commercent avec nous. Mais coopérer davantage entre nous, dans une démarche citoyenne encadrée et réfléchie, pourrait certainement apporter déjà pas mal de réponses à nos problèmes…

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Voix de la terre Il n’aura fallu que cinq jours ! Lundi matin, l’énorme vieille ferme dressait encore ses murs orgueilleux au milieu du village, défiant le temps et les saisons depuis trois cents ans. Vendredi soir, elle n’était plus là, tout simplement ! Disparue, envolée, comme si elle n’avait jamais existé. Un bulldozer, deux pelleteuses, ainsi qu’une noria de très gros tracteurs attelés de bennes, ont tout rasé et enlevé en quelques dizaines d’heures. Sur le terre-plein ainsi dégagé, sera bientôt construit un complexe de vingt appartements. L’un après l’autre, les derniers témoins de la vie agricole d’autrefois disparaissent des paysages intérieurs de nos localités.
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