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Elever la Bleue mixte pour ancrer son exploitation familiale sur son territoire et être davantage résilient

À l’heure où l’écologie, le local, le durable… sont sur les lèvres des consommateurs, la Blanc-bleu mixte a clairement une carte à jouer. Bien qu’il y ait encore un gros travail de sélection et de valorisation autour de la race, Michel Marion et son épouse, Françoise Dupuis, l’élèvent depuis toujours. Cap à Bure (Tellin), où le couple s’attelle avec ferveur et passion à sauvegarder un patrimoine vivant menacé.

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Chez les Marion, la Blanc-bleu mixte est avant tout une histoire de passion. « Cela date déjà du temps de mes parents », confie Michel. C’est à 22 ans qu’il reprend l’exploitation familiale avec ses parents. À cette époque, ils sont à la tête d’un cheptel de 90 bêtes, soit 42 vaches traites. « Une période durant laquelle les ingénieurs de l’état nous conseillaient plutôt de traire des noires et d’avoir des viandeuses sur le côté. Mais je sentais que ce n’était pas mon truc. Il fallait être en hors-sol puisque notre région est sujette aux sécheresses… et ça ne me convenait tout simplement pas. J’ai préféré rester sur une bête rustique, de caractère. »

Lier son cheptel à la taille de son exploitation

En 2002, Françoise Dupuis épouse Michel et reprend l’exploitation avec lui. L’année suivante, avec l’accroissement du cheptel, le couple investit dans une étable sur caillebottis-logette pour remplacer la stabulation en entravé, avec parcours extérieur. Cette évolution a permis de diminuer l’intervalle-vêlage de façon très significative ! De 400 jours, ils sont passés à 368 jours. « Nous avons opté pour la monte naturelle pour une question de facilité. Et puis, je trouve passionnant de choisir un taureau. C’est la finalité du métier de choisir le reproducteur qui pourrait convenir sur ce qu’on a et qui permet de sortir des bêtes qui vont dans le sens de ce que l’on espère », sourit l’éleveur.

Rose, Michel et Françoise Marion aiment l’engouement autour des concours  de la Bleue Mixte. L’éleveur profite d’ailleurs toujours d’une fin de concours  pour apprendre à sa fille ce à quoi il faut faire attention pour juger un animal.
Rose, Michel et Françoise Marion aiment l’engouement autour des concours de la Bleue Mixte. L’éleveur profite d’ailleurs toujours d’une fin de concours pour apprendre à sa fille ce à quoi il faut faire attention pour juger un animal.

Aujourd’hui, le couple trait toujours une centaine de vaches. « Notre exploitation devait rester à taille humaine. On est en règle général toujours resté aux alentours des 4.000 l de production. Les sécheresses de ces dernières années impactent évidemment la production, surtout dans notre région. Nous aimerions viser les 5.000 l par vache de moyenne mais on ne donne aucun correcteur azoté, que du silo d’herbe et du maïs. C’est notre parti pris. »

En Flandre, certains éleveurs complémentent pour atteindre les 6.500 l par vache. Ils ne lient donc pas leur élevage au pâturage. « Quel est alors l’intérêt d’avoir une vache rustique pour la complémenter et la garder en étable », s’interroge l’éleveur.

Michel et Françoise exploitent quelque 130 ha. « Légumineuses, maïs, épeautre, avoine, fourrages grossiers… Les cultures sont exclusivement à destination de l’alimentation du bétail. Nous sommes en effet sur un îlot particulier « La Calestienne » (en Famenne) qui est très sec. Il permet quand même de cultiver de la luzerne, ce qui permet un bon tandem avec le maïs. »

Avec son taux de liaison au sol, le couple vise clairement l’autonomie fourragère. « Nous sommes autonomes à 98 %. Nous n’achetons que 5t de tourteaux par an, pour aider les jeunes bêtes à démarrer ! » Cette démarche n’est pas une fin en soi. Cela s’est développé par la force des choses. Car l’autonomie n’est possible que si le nombre de bêtes est en rapport avec le nombre d’hectares exploités.

Pour Michel Marion, « élever une mixte est encore trop souvent considéré comme un retour en arrière. Je pense pourtant le contraire ! Dans le climat actuel, la mixte a un rôle à jouer, et davantage qu’il y a 15 ans. »

Le coût de l’énergie ? Problématique !

Autre difficulté en élevage mixte : le coût de l’énergie. Il y a 10 ans, on n’y pensait pas mais depuis le prix de l’énergie a flambé ! C’est une problématique pour tous les éleveurs, mais ils sont davantage touchés en mixte. « Si tu trais 100 vaches à 8.000 ou à 4.000 l, tu ne répercutes pas tes frais de la même manière sur la production. Nous avons vraiment dû agir pour réduire les coûts : un puit pour une économie en eau ; une pompe volumétrique, un pré-refroidisseur. Tant d’investissements pour éviter que notre bénéfice ne soit mangé par la différence de temps de traite.

L’année dernière, nous avons placé une éolienne car la situation de notre ferme s’y prêtait bien. Le système est encore assez récent donc on a peu de recul pour apprécier l’investissement à sa juste valeur. Mais c’est un système résilient.

Ce sont nos seuls gros investissements… et c’est ce qui nous permet de tenir !

Tant par leurs choix d’élevage que par leurs investissements, le couple Marion-Dupuis inscrit l’exploitation de type familial dans la durabilité.
Tant par leurs choix d’élevage que par leurs investissements, le couple Marion-Dupuis inscrit l’exploitation de type familial dans la durabilité.

Pas d’évolution sans contrôle laitier

Si ce rameau leur a permis de passer à travers les grosses crises que ce soit en viande ou en lait, elle ne doit sa survie qu’au projet européen BlueSel (voir encadré), un programme de sauvegarde et de sélection qui a notamment permis aux éleveurs de développer les effectifs et d’éviter de tomber dans la consanguinité. Elle revient en effet de loin ! Dans les années 90, on ne dénombrait plus que 500 bêtes à l’échelle de la Wallonie pour une dizaine d’éleveurs. La race était alors menacée d’extinction. Aujourd’hui, les effectifs sont remontés à 4.000 animaux pour 55 éleveurs, faisant passer la mixte au statut de race menacée.

« Par ailleurs, le projet nous a permis de nous rencontrer entre éleveurs pour partager nos expériences. C’est positif. »

Une étude technico-économique menée dans ce cadre a, en outre, montré qu’au plus la mixte est liée au pâturage, au plus elle est rentable !

Entre les années 90 et 2012 (date de la fin du projet BlueSel), comme pour beaucoup d’éleveurs, il leur a fallu « ramer ». Les Marion se sont souvent remis en question. Michel avait d’ailleurs demandé conseil à son vétérinaire de l’époque quant à un éventuel changement de spéculation. « Tu as quelque chose qui fonctionne, garde le ! Ne regarde pas ce que les autres font ! », m’a-t-il répondu sourit Michel. « Cela nous a conforté dans nos choix. Nous avions un bon intervalle vêlage, un pourcentage de perte minimum (5 %), une bonne longévité (le couple vise 5 à 6 veaux par vache)… les grands chiffres qui font que l’on peut gagner sa vie. La race nous permet une certaine résilience et en fonction du marché, on tire plus sur la viande ou sur le lait. »

Mais comme bonne longévité des vaches on a toujours trop de génisses, ce qui nous permet d’en vendre.

Pour évoluer, les deux éleveurs ont toujours inscrit ses bêtes au contrôle laitier et au herd-book. C’est d’ailleurs dorénavant une obligation afin de pouvoir bénéficier de la prime Blanc-bleu mixte, race menacée.

« De plus en plus, d’évaluations génétiques sont disponibles sur la production laitière. Elles permettent aux éleveurs de sélectionner les taureaux améliorateurs sur ce critère.

Le souci ? « On n’a pas la répétabilité de la pie noire du fait d’un effectif beaucoup moindre dans notre spéculation. Les modèles sont donc moins précis que pour les races à gros effectif. Mais c’est quelque chose sur lequel Elevéo (awé groupe) travaille. »

Une vache pour chaque éleveur

Un problème rencontré avec la mixte ? Le vêlage ! « Si les options sont claires pour les éleveurs Blanc-bleu et Holstein, en mixte, on ne sait jamais à quoi s’attendre ! On a toujours peur d’avoir un veau coincé. Je suis d’ailleurs moins sûr à 52 ans qu’à 25 tellement j’ai déjà eu de blagues » confie Michel qui se veut beaucoup plus prudent.

« Nous avons dû investir dans des systèmes de surveillance pour ne plus devoir veiller toute la nuit. Si le veau est bien mis, je laisse faire la vache. »

En, moyenne sur l’exploitation, 30 % des naissances requièrent une césarienne alors que la moyenne des élevages mixtes se situe à 15 % « D’autres arrivent à près de 0 %. Évidemment, la problématique est fonction des choix d’élevage d’un exploitant. »

La race est subdivisée en trois branches : +/+, mh/+ et mh/mh ;mh étant une mutation naturelle du gène de la myostatine entrainant une hypertrophie musculaire de l'animal. Il y a généralement plus de césarienne dans les élevages où la sélection se fait en mh/mh. À l’éleveur donc de savoir ce vers quoi il veut aller. « Avec ces 3 subdivisions de la race, tout le monde peut y trouver son compte, mais c’est aussi là que réside la difficulté dans la sélection : ne pas avoir une pie noire peinte en blanc ou avoir une mauvaise viandeuse ! »

Opter pour la rusticité peut avoir plusieurs avantages comme la diminution des frais vétérinaires (moins d’antibiotiques e.a.), améliorer la longévité et la fécondité des animaux.

Chez les Marion, on utilise des taureaux mh/mh afin d’obtenir de bons veaux. « Je garde toutes les femelles mh/+ et je vends les femelles mh/mh. Car garder ces dernières, C’est revenir sur une spécialisation et aller vers moins de rusticité. Comme nous gardons nos mères jusqu’à six lactations, le taux de renouvellement est faible, ce qui nous permet de vendre des génisses de reproduction. Les vaches ont leur premier veau entre 2,5 et 3 ans. « Nous ne les poussons pas, de sorte qu’elles aient le temps le temps de bien se développer. »

« Quant aux mâles, on les vend tous à la naissance. On en achète d’autres pour les élever nous-même quand c’est possible. On conditionne ainsi à notre élevage nos futurs reproducteurs. » Le couple a 7 ou 8 taureaux sur la ferme, dont 4 adultes.

Encore tout à faire au niveau de la sélection

« Quand on choisit nos taureaux, on sélectionne évidemment sur la production laitière mais également à la qualité des pis. C’est un problème au sein de la race. Je suis également intraitable sur la qualité des membres : les aplombs sont essentiels ! »

Il réfléchit : « On a encore tout à faire en sélection : avoir une vache avec un bon pis, une belle gueule, une belle ligne de dos, du développement… Cela fait 30 ans que l’on sélectionne et pourtant le travail est encore énorme ! C’est aussi cela qui est passionnant, travailler pour améliorer la qualité d’un troupeau. »

L’exploitation est autonome d’un point de vue fourrager à 98
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L’exploitation est autonome d’un point de vue fourrager à 98 %. - P-Y L.

Le tout en conventionnel

« Pour le moment, le lait et la viande partent en filière conventionnelle, ce qui est moins intéressant », avoue l’éleveur.

L’aspect viande varie fort d’une année à l’autre… Il y a des époques où nos « ordinaires » sont recherchées pour peu qu’elles aient un bon état d’embonpoint. Il n’est dès lors pas question d’âge lors de la vente.

« Nous pourrions donc soigner davantage si nous n’avions pas un problème de place. On le fait quand la majeure partie des bêtes est au pré », explique Michel.

« Là où on sait se défendre, c’est au niveau des prix des veaux. On a le même prix qu’en viandeux quand on a des bons veaux et ça, c’est intéressant. Selon notre comptabilité 2018, on a touché 450 € hors tva de moyenne par individu. C’est un prix raisonnable ! »

Des perspectives positives

« Si on veut pouvoir continuer à exister, il faudrait pouvoir mieux valoriser notre production. Pourquoi pas en qualité différenciée ? C’est ce à quoi s’attelle notamment le nouveau projet européen BlueSter qui a débuté en 2018 (voir second encadré p.48). Car la vente directe n’est pas une option pour tous les éleveurs. »

Un joli moment de complicité entre Rose et ses bovins lors d’une foire agricole.
Un joli moment de complicité entre Rose et ses bovins lors d’une foire agricole.

Particularité du Herd-book, le petit noyau d’éleveurs qui le constituent, s’entraident et forment un collectif soudé. « Je suis convaincu que les différents projets européens ont initié une nouvelle dynamique. Les éleveurs y croient davantage… La Blanc-bleu mixte répond en tout point aux attentes sociétales ! Elle est de chez nous (frontière franco-belge), locale, rustique, intimement liée à la prairie – ce puit de carbone, élément essentiel du paysage, garant de biodiversité – et donc écologique ! ».

« Évidemment beaucoup d’éléments vont dépendre des éleveurs qui ont tous des conduites différentes ! »

Avec le projet BlueSter, plusieurs éleveurs ont évoqué l’idée de créer des unités où l’on pourrait engraisser des bêtes, comme sur le principe des Halls relais, ou un endroit où l’on pourrait centraliser les bêtes et les achever. Mais importer et exporter avec la France, c’est encore pour le moment compliqué. « Nous attendons de voir si le projet nous permettra d’avoir des facilités, un label ou pourquoi pas une AOP… qui permettrait de valoriser notre travail », conclut l’éleveur.

P-Y L.

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