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Opinions à propos de la listéria et de la fièvre Q:20 ans d’Afsca et presque autant d’années de controverses sur le lait cru

Depuis sa création le 1er  janvier 2000, plusieurs dossiers posent question quant aux normes et aux mesures imposées aux producteurs fermiers. Nous voudrions revenir sur deux dossiers emblématiques permettant d’illustrer les rapports que l’Afsca entretient avec les éleveurs et transformateurs au lait cru : la listéria monocytogenes et la fièvre Q (C. Burnetii).

Temps de lecture : 9 min

Le 18 novembre dernier dans la commune de Namur, notre bergerie était avertie par le laboratoire que des échantillons de fromages frais étaient positifs à la Listéria monocytogenes. La suite des analyses a révélé un taux de contamination inférieur à 10 ufc/g [1]. La législation européenne [2] permet jusque 100 ufc/g à la date limite de consommation. Nous avons pourtant été contraints de jeter notre production. Pourquoi ?

De faibles taux de L. Monocytogenes retrouvés dans des fromages au lait cru de brebis

L’Agence répond qu’il y a un risque d’évolution de la bactérie pathogène dans ces produits. Mais quel est le risque réel de dépasser le seuil des 100 ufc/g à partir d’une si faible contamination de départ ? D’autant plus dans des produits qui, d’une part, ont une durée de conservation de 7 jours pour les fromages frais et de 10 jours pour la maquée, et qui, d’autre part, appartiennent à une famille de fromages qui sont caractérisés par une acidification plus importante, ce qui limite fortement le développement de la Listéria. En réalité, l’Afsca n’a toujours pas démontré la dangerosité de telles contaminations.

Des connaissances scientifiques disponibles… mais inaudibles

Le comité scientifique de l’Afsca et le Conseil supérieur de la Santé ont émis un rapport sur la listériose [3]. Quatre critères y sont définis pour évaluer la dangerosité d’un produit contaminé à la Listéria : 1) existe-t-il des cas de listériose associés au produit ? 2) le seuil de 10 ufc/g est-il dépassé ? 3) le produit fait-il l’objet de plusieurs manipulations post-production (conditionnement, découpes, etc.) ? 4) la durée de conservation du produit dépasse-t-elle les deux semaines ? En regard de ces critères, les produits qui ont été incriminés paraissent dès lors sans danger : pas de cas de listériose, contamination de <10 ufc/g., quasiment aucune manipulation post-production (enrobage d’épices très succinct) et durée de conservation bien en deçà de deux semaines.

Mais le plus intéressant se situe dans les résultats d’une étude qui a pris fin en avril 2019 [4]. Celle-ci s’est penchée sur le développement de la Listéria monocytogenes au sein de trois familles de fromage : fromages frais, pâtes molles, pâtes dures et mi-dures. « Pour les fromages frais, les niveaux du pathogène ont systématiquement diminué au cours des expérimentations. Ces produits présentaient pourtant des pH et « activité eau » (aw) supérieurs aux valeurs seuils du Règlement européen. Les risques liés à la présence de L. monocytogenes au sein de ce type de produit semblent donc limités. ». Par conséquent, il nous semble que l’analyse de risque pourrait être adaptée sur base de ces connaissances scientifiques.

Un dialogue impossible

Pendant trois semaines nous avons tenté de dialoguer avec l’Afsca avec ces arguments scientifiques en main. Force est de constater que, derrière le « conte de fée » présenté par l’Agence sur son site internet, se cache une tout autre réalité. L’agence affirme : « Nous engageons le dialogue de manière constructive en portant attention à chaque interlocuteur » [5].

Des responsables de la DG Contrôle ont été interpellés à plusieurs reprises mais ceux-ci se retranchent systématiquement derrière la législation européenne. À force de persuasion, la DG Politique de Contrôle, qui, elle, s’occupe de l’analyse de risque, a pu être contactée par différents canaux. Résultat : ils nous renvoient vers la DG Contrôle. En réalité, ces responsables ne communiquent qu’avec des organisations professionnelles présentes lors de réunions de concertation.

Depuis près de 15 ans que la législation sur la Listéria existe, il faut bien reconnaître que ce genre de dossier n’est pas une priorité pour ces acteurs. L’espace laissé aux producteurs incriminés pour un dialogue constructif paraît bien limité, voire inexistant.

Ces problèmes de faibles contaminations à la Listéria dans des fromages au lait cru sont connus depuis bien longtemps par l’Afsca. Les limites de la législation européenne concernant la Listéria monocytogenes élaborée en 2005 auraient pu directement être questionnées et corrigées par des études complémentaires. La mauvaise volonté et l’hypocrisie de l’agence fédérale deviennent d’autant plus flagrantes aujourd’hui, notamment grâce au combat mené autour du fromage de Herve de José Munnix en 2015.

Il faut souligner que toutes les portes fermées que nous avons personnellement rencontrées en coulisse s’accompagnent d’une communication bien huilée dans la presse permettant de légitimer les mesures prises par l’Agence. « Il suffit de la présence d’une bactérie pour qu’une personne tombe malade » peut-on lire dans la Meuse du 23/11 [6]. Pourquoi dès lors accepter un seuil de <100 ufc/g. à la date limite de consommation ? « Il y a eu récemment plusieurs morts en Allemagne suite à une contamination à la listéria. » affirme un représentant de l’Afsca dans la DH du 27/11 [7]. Évidemment, celui-ci ne précise pas que la contamination était de plusieurs milliers d’ufc/g.

Et enfin, dans l’interview diffusée au JT de 17h sur La Première RTBF le samedi 23/11, l’Agence parle de « croissance très instable de la listéria ». Apparemment les études scientifiques mentionnées ci-dessus peinent à être prises en compte par les représentants de l’Afsca. Ceux-ci préfèrent disséminer un discours sécuritaire qui entretient la psychose autour des bactéries pathogènes et qui empêche un véritable débat constructif.

Un autre dossier interpellant : la fièvre Q

Tous ces éléments parleront aux professionnels qui travaillent au lait cru, tant ils s’inscrivent dans la tradition des actions de l’Agence. À partir de 2010, l’Afsca a imposé des mesures aux élevages de chèvres et de brebis contaminés par C. burnetii (l’agent pathogène de la fièvre Q), mais pas aux élevages de bovins laitiers. L’administrateur délégué de l’époque, G. Houins, avait décidé d’appliquer un principe de précaution à la carte, uniquement pour les chèvres et les brebis, en s’asseyant donc sur l’avis du comité scientifique de l’Afsca qui lui ne faisait pas de distinction entre les trois laits. « Économiquement, je dois tenir compte du principe de proportionnalité. (…) Dans le cas des chèvres, il n’y a pas de problème réel. En revanche, si je touche des milliers d’exploitations bovines, le poids n’est pas le même » [8].

Cette citation permet de constater à la fois l’arbitraire de cette décision du point de vue de la santé publique, puisqu’ici l’aspect économique prend le pas sur le principe de précaution sanitaire, et le mépris qui existe vis-à-vis des éleveurs de chèvres, sans parler de l’absence totale des éleveurs ovins dans le discours de l’Afsca.

Est-ce que l’Agence assume toujours aujourd’hui cette attitude et ces mesures ? Oui. Cela fait donc dix ans que des produits au lait cru de vache contaminés à la fièvre Q [9] sont consommés sans qu’aucun problème de santé publique n’apparaisse. Parce qu’en effet, il n’y aurait aucun problème de santé publique concernant les denrées alimentaires issues d’élevages contaminés, comme l’affirme un rapport scientifique du Cerva : « Il n’existe pas de preuves formelles d’une transmission alimentaire. La consommation de lait cru infecté par C. burnetii, bien qu’elle provoque des séroconversions, n’a jamais été clairement associée à une maladie clinique chez l’humain (Benson et al. 1963 ; Krumbiegel et Wisniewski 1970 ; Angelakis et Raoult 2010) » [10].

Depuis dix ans, l’argent public est donc gaspillé dans les analyses qui sont réalisées plusieurs fois par an dans tous les élevages de chèvres et de brebis uniquement, en faisant toujours peser la menace de la pasteurisation, même temporaire, pour les éleveurs et transformateurs qui travaillent au lait cru. Et ce malgré une contestation argumentée des professionnels des secteurs caprins et ovins en 2010. Vous avez dit « dialogue constructif » ?

Quelle est la place de l’Afsca dans un État démocratique ?

Cela va sans dire qu’il n’est pas possible pour les producteurs au lait cru de travailler dans des conditions sereines. En s’intéressant de plus près à des dossiers comme ceux-ci, on se rend compte que les autorités sanitaires prennent des décisions qui sont, par nature, politiques. Il y a bien des connaissances scientifiques d’un côté, mais l’interprétation qu’en font les dirigeants de l’Agence et la concertation qui a lieu avec certaines organisations professionnelles débouchent sur des mesures qui sont toujours le résultat de constructions politiques, de négociations, de défense d’intérêts, etc.

La question de fond qui doit être posée est la suivante : quelle est la légitimité démocratique de telles décisions, étant donné qu’elles ne sont pas prises par des représentants élus ? N’en déplaise au discours public de l’Afsca, le « dialogue constructif » prétendument mis en œuvre sur le terrain n’existe pas. L’attitude de l’agence fédérale est totalement fermée au débat avec les éleveurs, agriculteurs, transformateurs, etc. Il en résulte des angles morts, c’est-à-dire des dossiers qui sont inaudibles alors qu’ils pourraient être traités notamment en poussant davantage les études scientifiques sur le sujet, mais aussi en demandant à l’Agence de rendre des comptes sur ses décisions. Le monde politique s’est déresponsabilisé des problèmes sanitaires en créant l’Afsca il y a bientôt 20 ans.

Au vu des nombreux scandales sanitaires qui n’ont pu être évités au sein des opérateurs industriels et des contraintes infondées qui pèsent sur les petits producteurs, peut-être serait-il temps pour les représentants politiques de reprendre aujourd’hui la main sur cette dimension de la vie publique. L’année 2020 représentera une opportunité concernant le dossier de la Listéria. En effet, le comité scientifique de l’Afsca devra remettre un avis à propos de la dernière étude réalisée sur le développement de la listéria dans trois familles de fromages. L’agence fédérale devra ensuite décider s’il y a lieu d’adopter des seuils de tolérance. C’est à ce moment-là que le contrôle démocratique doit pouvoir se faire, que ce soit de la part des représentants politiques élus, des consommateurs ou des professionnels concernés.

Enfin, le ministre de tutelle et l'Afsca ont le pouvoir de solliciter un nouvel avis de leur comité scientifique pour réévaluer le danger réel que représente la fièvre Q pour la santé publique. Cela doit être fait, notamment en tenant compte que des produits au lait cru de vache contaminés par cet agent pathogène sont consommés depuis dix ans sans que ça n'ait posé de problème sanitaire.

J. Artoisenet

, pour la Bergerie des Fauves Laineux

[1]L’unité de mesure est exprimée en « unité formant colonie » par gramme de produit, ufc/g ;

[2] Règlement 2073/2005Document pdf disponible sur : www.afsca.be/consommateurs/viepratique/intoxicationsalimentaires/listeri...

[3] Document pdf disponible sur : http://www.afsca.be/consommateurs/viepratique/intoxicationsalimentaires/...

[4] Challenge tests sur des fromages artisanaux. Fichier pdf du résumé disponible sur : www.afsca.be/professionnels/publications/projetsdetude/;

[5] www.afsca.be/professionnels/publications/thematiques/valeurs-afsca/_docu...

[6] De jeunes fromagers inquiets face à l’AFSCA, V. Desguin, dans La Meuse du 23/11/19 ;

[7] Contraints de jeter leurs fromages à cause de normes « trop strictes », V.S., dans la DH du 27/11/19 ;

[8] Gil Houins dans Le Soir du 07/08/10, « Houins : pour l’honneur de l’AFSCA », M. de Muelenaere ;

[9] 73 % des troupeaux laitiers atteints, op. cit. ;

[10] Boarbi S., Fretin D., Mori M., Coxiella burnetii, agent de la fièvre Q. NRC Research Press, 2015. Disponible sur : https ://www.sciensano.be/sites/www.wiv-isp.be/files/cjm-2015-0551.pdf ;

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