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La recherche sur le mildiou de la pomme de terre…pour une amélioration continue de la prévention

Le mildiou demeure l’ennemi numéro un de la pomme de terre. Avec divers partenaires, le Centre wallon de recherches agronomiques s’applique à traquer l’évolution du pathogène responsable, cerner le comportement des nouvelles variétés plus tolérantes, évaluer plus efficacement les risques en saison, spatialiser les données météo… dans un même but : améliorer le système d’avertissements Vigimap pour une lutte encore plus raisonnée. Le point, en compagnie de Vincent César, du Cra-w.

Temps de lecture : 11 min

Causé par Phytophthora infestans, le mildiou constitue la principale maladie de la pomme de terre. Sa distribution est mondiale, on le retrouve partout où celle-ci est cultivée, de l’Amérique jusqu’à la Chine. Le mildiou peut être très dommageable lorsqu’il rencontre les conditions météorologiques particulièrement propices à son développement. Les producteurs en Belgique se souviennent des étés très pluvieux survenus en 2012, 2014 et 2016, très favorables à la maladie, et ce, à l’inverse des trois dernières années très sèches 2017, 2018 et 2019, rappelait Vincent César, lors de la journée technique organisée par la Fiwap en décembre dernier à Gembloux dans le cadre du centre pilote pomme de terre.

Le paramètre variétal influence également la propagation de la maladie : les variétés les plus communément cultivées en Belgique sont sensibles et favorisent ainsi son développement, contrairement aux variétés tolérantes qui empêchent ou limitent son extension.

La lutte se base sur l’application de fongicides, qui demeurent généralement efficaces.

Le recours à la phytopharmacie et les dégâts causés peuvent représenter un coût élevé, évalué il y a quelques années par un chercheur hollandais, à quelque 55 millions d’euros/an dans notre pays.

Les populations de mildiou évoluent fortement. Certaines sont plus agressives, plus virulentes.
Les populations de mildiou évoluent fortement. Certaines sont plus agressives, plus virulentes. - Cra-w

Une lutte devenue plus complexe

Quelques éléments d’inquiétude sont à prendre en compte dans le cadre de la lutte, relève l’orateur. On observe en effet depuis quelques années une évolution du mildiou avec l’apparition de nouveaux génotypes plus agressifs. On remarque également que certaines souches du champignon sont moins sensibles, voire résistantes à certains fongicides. Par ailleurs, à l’instar d’autres espèces cultivées, le nombre de matières actives disponibles pour combattre la maladie s’affiche à la baisse.

Avertissement et lutte chimique

Les systèmes d’avertissement contre le mildiou (tels que Vigimap) reposent sur un modèle, épidémiologique, mathématique, qui prend en compte les conditions favorables au développement de la maladie. Ils s’appuient notamment sur les données météorologiques (températures, pluviométrie, humidité relative) mesurées via un réseau de stations météorologiques disposées sur le territoire de la région wallonne. Ils peuvent aussi prendre en considération la sensibilité des variétés, sans oublier les observations de terrain au sein même des parcelles concernées.

Le suivi des souches de Phytophtora infestans, l’étude de la résistance variétale, la spatialisation des données météo et d’autres thèmes de recherche participent à améliorer la connaissance du mildiou et à optimiser les moyens de lutte, et notamment l’outil d’aide à la décision Vigimap.
Le suivi des souches de Phytophtora infestans, l’étude de la résistance variétale, la spatialisation des données météo et d’autres thèmes de recherche participent à améliorer la connaissance du mildiou et à optimiser les moyens de lutte, et notamment l’outil d’aide à la décision Vigimap. - M. de N.

Le système d’avertissements Vigimap permet d’évaluer un risque de développement de la maladie et donc de recommander un traitement fongicide et son positionnement optimal.

L’amélioration continue de ce système d’avertissements doit être menée… en tenant compte de l’évolution observée dans les populations de Phytophthora infestans, dans l’assortiment variétal avec la création de pommes de terre plus tolérantes (ou robustes), mais aussi sur le plan climatique, et en termes de technologies permettant d’optimiser de tels outils d’aide à la décision, poursuit Vincent César.

Caractériser les populations de Phytophthora infestans, un travail de longue haleine

En cours depuis une dizaine d’années, le projet de recherche baptisé « Mildiou » s’attelle à caractériser les populations de mildiou sur notre territoire. Ses objectifs sont multiples :

– mieux connaître ces populations pour optimiser la lutte ; il existe en effet bien plus qu’une souche unique de mildiou ;

– adapter, améliorer les modèles épidémiologiques de développement de la maladie en fonction des populations de mildiou présentes sur le territoire (outils d’aide à la décision) ;

– identifier et caractériser le comportement des variétés vis-à-vis de ces populations ; en effet, certains mildious sont plus agressifs et le comportement connu des variétés peut évoluer, et il est utile de le savoir ;

– orienter les programmes de sélection variétale menés au Cra-w (par un choix adapté des géniteurs) ;

– recommander des stratégies de lutte, en fonction des souches résistantes présentes sur le territoire.

Comment procéder à cette étude en région wallonne ?

Le travail principal consiste à collecter des échantillons dès l’émergence des premières plantes, dans des écarts de triage, sur les repousses, dans les champs, dans les potagers…

Il convient parallèlement d’encoder les données de ces échantillons (date de prélèvement, lieu, variété, traitement fongicide éventuel…). Suivent des tâches d’isolement et de purification en laboratoire pour obtenir les souches de mildiou sur leur milieu de culture optimal. Et enfin intervient une mise en collection des souches. C’est de cette manière qu’il a été possible d’identifier 750 souches de mildiou depuis 2013.

Pour les caractériser, le Centre wallon de recherches agronomiques soumet, en partenariat, ces souches à des analyses génotypiques et phénotypiques.

Analyses génotypiques des souches de mildiou

Dans le cadre d’un consortium européen sous le nom de Projet Euroblight qui rassemble de nombreux Instituts de recherche, les analyses génotypiques portent sur l’identification du génome (ADN) des champignons, et une cartographie est produite, qui est consultable sur le site www.euroblight.net. Les cartes produites révèlent la diversité des souches en Europe (figure 1).

Figure 1: cette carte de l’Europe révèle les résultats de l’identification des souches en 2018, basés sur l’analyse de 979 échantillons prélevés dans 23 pays. Chaque «spot» représente  un site de prélèvement et chaque couleur correspond à un génotype (famille- précis  de mildiou. Les analyses génotypiques des souches analysées ces dernières années  montrent une évolution des populations de mildiou en Europe et en Wallonie.
Figure 1: cette carte de l’Europe révèle les résultats de l’identification des souches en 2018, basés sur l’analyse de 979 échantillons prélevés dans 23 pays. Chaque «spot» représente un site de prélèvement et chaque couleur correspond à un génotype (famille- précis de mildiou. Les analyses génotypiques des souches analysées ces dernières années montrent une évolution des populations de mildiou en Europe et en Wallonie.

Qu’en est-il de la situation en Wallonie, La figure 2 montre les résultats de la caractérisation des populations de Phytophota infestans à l’échelle du sud de notre pays, de 2013 à 2019, sur la base de l’analyse de 500 souches de 2013 à 2018, et de 80 souches en 2019.

De 2013 à 2016, 3 génotypes se montrent majoritairement présents sans grande variation : 13_A2, 1_A1, 6_A1. En 2017, leur présence régresse, laissant une grande place à un nouveau venu, le génotype 37_A2. L’année qui suit, le paysage « génotypique » évolue encore fortement : les 3 premiers génotypes évoqués continuent de perdre du terrain, tandis qu’un deuxième nouveau venu, le génotype 36_A2, conquiert une place importante.

Figure 2. Caractérisation des populations de Phytophtora infestans en Wallonie: 500 souches analysées de 2013 à 2018, 80 souches analysées en 2019.
Figure 2. Caractérisation des populations de Phytophtora infestans en Wallonie: 500 souches analysées de 2013 à 2018, 80 souches analysées en 2019.

Et enfin, pour la toute récente année 2019 caractérisée par un été très sec, les résultats montrent que les nouvelles venues 36_A2 et 37_A2 demeurent majoritaires, représentant ensemble près de 80 % des souches présentes en Wallonie. La 13_A2 ne représente plus que 10 % de l’ensemble des souches collectées et analysées.

Pour expliquer, cette évolution significative des populations de mildiou depuis 2017, plusieurs hypothèses sont évoquées, dont le changement climatique, indique Vincent César. Les conditions météorologiques très sèches en 2017 ont peut-être favorisé cette évolution, des souches étant subitement fortement favorisées par rapport à d’autres. Autre cause possible : l’impact de l’agressivité des nouvelles souches, comme la 36_A2, beaucoup plus agressive que les souches présentes auparavant. Et enfin, des phénomènes de résistance aux fongicides (voir plus loin) sont également identifiés.

Analyses phénotypiques des souches de mildiou

Les souches collectées dans le cadre du projet « Mildiou » sont également soumises à des analyses phénotypiques portant notamment sur la résistance aux fongicides et sur leur profil de virulence ou capacité à se développer sur une variété résistante.

1.   Résistance des souches aux fongicides

Cette analyse est réalisée en laboratoire sur des feuilles détachées de plantes de Bintje cultivées en serre. Deux matières actives ont été testées sur les souches présentes en Wallonie : le métalaxyl et le fluazinam, à différentes concentrations. Le métalaxyl n’est plus utilisé en Belgique, mais il est maintenu dans les tests.

Concernant le métalaxyl, sur les 5 souches présentes en Wallonie et analysées, une seule manifeste de la résistance et celle-ci est totale : la 13_A2. En clair, le métalaxyl n’a plus aucune efficacité sur ce génotype de mildiou.

Quant au fluazinam, un phénomène très préoccupant est apparu en 2017 : la souche 37_A2 manifeste une résistance totale à cette matière active. En outre, certaines souches 36_A2 montrent également des phénomènes soit de résistance, soit de moindre sensibilité vis-à-vis de la molécule.

2. Virulence des souches

Cette analyse est également effectuée au laboratoire sur des feuilles détachées de plantes (clones)issues par exemple du croisement entre une variété très résistante telle que Sarpo-Mira et la variété Monalisa.

Les résultats de l’inoculation du mildiou sur des feuilles des clones issus de ce croisement confirment notamment la plus grande virulence du génotype 13_A2 encore majoritaire en Europe, par rapport à d’autres comme la très ancienne 1_A1.

Autrement dit, la virulence peut être très différente selon les souches de mildiou, et doit être prise en considération dans la caractérisation des souches et la lutte contre le mildiou.

Evolution des génotypes de mildiou en Europe

Qu’en est-il aujourd’hui, à l’échelle européenne, de la distribution des génotypes de Phytophotora infestans identifiés en Belgique ?

Après 14 ans de domination, la souche 13_A2 a perdu du terrain ces dernières années, mais demeure majoritaire en Europe, avec la distribution la plus étendue (25 % du total des génotypes).

Les nouveaux génotypes 36_A2, et 37_A2, dont la présence se limitait en 2015 au nord de la Belgique, aux Pays-Bas et un peu en Allemagne, ont commencé à prendre de la place en 2016 ; la souche 37_A2 apparaît en Angleterre. En 2017, leur distribution progresse encore, aux dépens des souches antérieurement présentes. Et elles deviennent majoritaires dans le nord-ouest de l’Europe (Belgique, nord de la France, Pays-Bas) en 2018.

Toujours en 2018, un autre génotype, le 41_A2 se montre bien présent, mais se cantonne aux pays nordiques (Danemark essentiellement et un peu plus au nord).

Ces trois nouveaux génotypes ont donc progressé, ces dernières années :

– 36_A2 : 10 à 16% en 2018 ;

– 37_A2 : 14 à 16% en 2018 ;

– 41_A2 : 1,2 à 4,4% en 2018 .

La combinaison de 6_A1, 13_A2 et 1_A1 a régressé de 60 à 40%, entre 2016 et 2018.

La combinaison de 36_A2, 37_A2 et 41_A2 a explosé de 10 à 36%, entre 2016 et 2018.

Évaluer la résistance des anciennes et nouvelles variétés : le projet Milvar

Parmi d’autres études menées au Centre wallon de recherches agronomiques, également très utiles pour alimenter et affiner les performances du système d’avertissements contre le midiou, Vincent César met en avant le projet baptisé Milvar. Celui-ci porte sur l’évaluation du comportement des variétés vis-à-vis de Phytophtora infestans. Les objectifs poursuivis sont multiples :

 obtenir une meilleure connaissance des variétés cultivées ;

– identifier les caractéristiques des nombreuses nouvelles variétés susceptibles de conquérir du terrain à court terme. La création variétale est en effet très dynamique, ces dernières années ;

– mettre à jour la liste des variétés de pomme de terre dites « robustes » ;

– orienter le choix des géniteurs à privilégier dans les programmes de création variétale ;

– adapter la modélisation du développement du mildiou en fonction des variétés cultivées.

L’évaluation du comportement des variétés vis-à-vis de Phytophtora infestans est réalisée annuellement par le Cra-w à Libramont et par le Carah à Ath via des essais au champ.
L’évaluation du comportement des variétés vis-à-vis de Phytophtora infestans est réalisée annuellement par le Cra-w à Libramont et par le Carah à Ath via des essais au champ. - M. de N.

Cette évaluation est réalisée annuellement par le Cra-w à Libramont et par le Carah à Ath des essais au champ. Des variétés de référence – aux résistances et sensibilités bien marquées – sont présentes dans ces essais pour faciliter les observations et les cotations des plantes. Des lignes infectrices de Bintje (connue pour sa haute sensibilité) sont en outre insérées dans les parcelles pour stimuler la répartition homogène du mildiou au sein des essais. L’infection naturelle s’y déroule de façon naturelle. Les microparcelles de ces essais sont évidemment dépourvues de toute protection fongicide, précise l’orateur.

Lorsque le mildiou a fait son apparition dans le champ d’essai, les cotations de développement de la maladie (pourcentage de destruction du feuillage, 0-100 %) commencent dans chaque microparcelle au rythme de deux observations par semaine. Suivent différents calculs et la comparaison des courbes de destruction du feuillage par la maladie, et finalement, une note de résistance, sur une échelle de 1 à 9, est attribuée à chacune des variétés étudiées.

La comparaison des courbes de développement du mildiou (évolution du pourcentage de destruction foliaire) permet de classer les variétés testées en différentes catégories de sensibilité :

– les variétés dont le feuillage est le plus rapidement détruit sont « les plus sensibles » :

– les variétés dont la destruction couvre 50 à 70 % du feuillage « non traité » sont qualifiées de « sensibles » ;

– les variétés « moyennement sensibles » sont celles dont la destruction du feuillage se limite à 10 % en fin de saison ;

– les variétés peu sensibles voire résistantes peuvent être cultivées sans protection.

Vincent César observe avec satisfac tion la progression du nombre de variétés résistantes.

Spatialisation des données météorologiques

L’avertissement mildiou – outil d’aide à la décision Vigimap – est alimenté en données météorologiques par une quarantaine de stations météo « physiques » du réseau Pameseb et du Carah qui apportent une belle couverture de la région wallonne. Toutefois, ce réseau ne permet pas d’éviter l’écueil d’une absence d’observation « entre stations aux alentours » de faits remarquables tels que le caractère orageux des précipitations au niveau très ponctuel de parcelles parfois éloignées de 15-20 km des trois stations physiques les plus proches utilisées pour modéliser le développement du mildiou. Ce biais concerne essentiellement les précipitations et l’humidité relative, et beaucoup moins la température. Les radars de pluie fournissent des valeurs de cumul de pluie sur une heure, mais pas les événements météorologiques localisés (précipitations orageuses, par exemple).

De sorte que des infections potentielles de mildiou sur telle ou telle parcelle peuvent échapper à l’œil des stations météorologiques du réseau sur lequel se base actuellement le système d’avertissement de la maladie.

D’où l’intérêt de la spatialisation des données météorologiques, qui assurerait une couverture totale du territoire. C’est l’objectif du projet Agromet mené par le Cra-w en collaboration avec l’IRM, à savoir : évoluer d’un réseau physique de 40 stations météorologiques réparties en Région wallonne… à un réseau virtuel de 16.000 stations. Concrètement, pour chaque km2, il serait possible d’obtenir des données météo via une plateforme web, de sorte que chaque par celle serait couverte par ce maillage spatialisé.

M. de N.

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