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Nouvelle loi sur le bail à ferme: nouveautés relatives au congé - suite

Poursuivons l’examen de la nouvelle loi sur les baux à ferme et examinons, à travers ces quelques lignes, les nouveaux types de congé. Pour rappel, un premier volet de ce thème a été analysé dans notre édition du 2 janvier dernier.

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Un congé constitue la manifestation écrite d’une des parties au contrat (le plus souvent le bailleur) de mettre fin au bail écrit ou verbal, et ce pour un des motifs prévu par la loi. Il est à préciser que la loi énumère les motifs pour lesquels congé peut être donné, et il n’est pas question de déborder de cette liste limitative.

Exploitation personnelle

Le congé le plus fréquemment rencontré est sans conteste le congé pour motif d’exploitation personnelle. C’est le cas du bailleur qui entend récupérer la libre disposition de son bien, et ce pour l’exploiter personnellement ou en confier l’exploitation à certains membres de sa famille que la loi autorise à bénéficier du congé. Le bénéficiaire du congé, qu’il soit le bailleur ou un membre de la famille de ce dernier, doit être exploitant agricole. Ce congé, qui existait dans la loi de 1988, est maintenu dans la loi nouvelle. Il est repris aux articles 7 et 8 de la loi.

Nouvel article 55

Globalement, les délais endéans lesquels le bailleur doit notifier congé et les délais de préavis sont restés les mêmes. Ils sont repris à l’article 11 de la loi.

Il faut cependant évoquer le nouvel article 55 de la loi : « Si le bail a une date certaine antérieure à l'aliénation du bien loué, l'acquéreur à titre gratuit ou à titre onéreux est subrogé dans les droits et obligations du bailleur à la date de la passation de l'acte authentique, même si le bail prévoit la faculté d'expulsion en cas d'aliénation. Il en va de même lorsque le bail n'a pas date certaine antérieure à l'aliénation, si le preneur occupe le bien loué depuis un an au moins. Dans ce cas, l'acquéreur peut mettre fin au bail, à tout moment, pour les motifs et dans les conditions visées à l'article 7, moyennant un congé de six mois notifié au preneur, à peine de déchéance, dans les trois mois qui suivent la date de la passation de l'acte authentique constatant la mutation de la propriété. Ce délai est prolongé pour permettre au preneur d'enlever la récolte croissante. ».

Il ne s’agit pas d’une nouveauté sur le principe du congé pour motif d’exploitation personnelle mais davantage la création d’un nouveau délai de notification et de préavis.

Le congé pour motif d’exploitation personnelle comporte un nouvel article 55.
Le congé pour motif d’exploitation personnelle comporte un nouvel article 55. - M. de N.

Concrètement, lorsque la propriété d’un bien loué est transmise à un nouveau propriétaire autre que le preneur (sans préjudice du respect du droit de préemption), et lorsqu’il est impossible de déterminer la date de pris de cours du bail, le nouveau propriétaire peut envoyer un congé pour motif d’exploitation personnelle au preneur au plus tard trois mois après la signature de l’acte de vente. Le délai de préavis laissé au preneur pour évacuer les lieux est de six mois. Reste à déterminer ce qu’on entend clairement par aliénation. La loi précise qu’elle peut être gratuite ou onéreuse, ce qui laisse penser que le cas s’appliquera tant aux donations qu’aux ventes.

Bâtisse ou destination industrielle

Le congé pour cause de bâtisse ou à destination industrielle existait du temps de la loi de 1988. Il existe toujours dans la loi nouvelle. Il est visé à l’article 6 de la loi, et peut être envoyé lorsque le bailleur entend récupérer la libre disposition de sa propriété dans le but de construire un immeuble bâti, quel qu’en soit l’usage personnel ou professionnel, ou un bâtiment à destination industrielle. Les délais de notification et de préavis sont eux aussi renseignés à l’article onze de la loi. Généralement, il peut être envoyé à tout moment du bail, moyennant un délai de préavis de trois mois.

Usage familial

Est également maintenu le congé pour usage familial, visé à l’article 6 §2 : « le bailleur peut également mettre fin au bail à tout moment, en vue d'affecter à l'usage familial un terrain d'un tenant, contigu à sa maison d'habitation et dont la superficie ne peut excéder 20 ares. En cas de litige concernant l'emplacement de la parcelle considérée, le juge statue ».

Il est question, pour le bailleur, de récupérer la libre disposition d’un bien loué non bâti lui appartenant lorsque ce bien est directement contigu à sa maison d’habitation ou au jardin de celle-ci. La superficie de reprise ne peut excéder 20 ares et pareil congé ne peut être envoyé qu’une fois durant la vie du bail, et ce à tout moment moyennant un préavis de trois mois.

Vente: la grande nouveauté!

Mais, en matière de congé, la grande nouveauté de la réforme se trouve à l’article 6 § 4 de la loi nouvelle. Il s’agit du congé pour motif de vente. La loi est ainsi rédigée :« En vue de procéder à la vente d'une parcelle, d'un bloc de parcelles ou d'une partie de parcelle agricole, le bailleur peut également mettre fin au bail pour ce qui concerne la surface concernée par la vente si :

1° cette parcelle agricole est identifiée préalablement dans le contrat de bail ;

2° cette parcelle agricole présente une superficie maximum de deux hectares ou ne représente pas plus de dix pourcents d'un ensemble de parcelles d'un seul tenant faisant partie d'un même bail entre le même bailleur et le même preneur ;

3° le preneur a bénéficié du bail portant sur la parcelle durant au moins trois ans préalablement au congé donné par le bailleur.

Le bail est résilié au jour de la transcription de l'acte authentique de vente. Ce délai est prolongé pour permettre le complet enlèvement de la récolte croissante. Au jour de la résiliation, le contrat de bail se poursuit sur les biens restant mis en location entre les parties. Les superficies et les montants du fermage sont adaptés pour tenir compte de la diminution de la superficie louée.

Le congé donné au preneur : 1° contient l'identification de la parcelle visée par la vente ; 2° est valable deux ans à dater de sa notification. Si la vente de la parcelle n'est pas intervenue dans ce délai, le congé est considéré comme caduc.

Le droit de préemption du preneur prévu à l’article 47 s’applique ».

Le principe de ce nouveau congé veut que le bailleur, désireux de vendre son bien et désireux de le vendre libre d’occupation, pourra, avant la vente elle-même, envoyer un congé au preneur dont l’effet sera de mettre fin au bail et ainsi permettre à l’acheteur de devenir propriétaire d’un bien libre d’occupation, sans plus aucun bail. Il n’est pas question de requérir du bailleur qu’il soit fermier ou qu’il souhaite exploiter personnellement. Rien de tout cela. Il est juste question d’apprécier la volonté du bailleur de vendre au meilleur prix son bien pour la simple et bonne raison que celui-ci sera libre d’occupation et que, en conséquence, l’amateur offrira un prix plus élevé de par la liberté d’occupation caractérisant le bien qu’il achètera.

Des conditions sévères

Pareil congé est cependant soumis à de sévères conditions, et ce pour éviter qu’il n’en soit fait abus. Notons que les conditions sont cumulatives, c’est-à-dire que toutes doivent être réunies pour que le congé puisse être considéré valable.

La loi précise d’abord que le congé ne pourra être envoyé que lorsqu’il concernera une parcelle «identifiée préalablement dans le bail». Convenez que l’expression est fort peu claire. Il semble d’abord que ce type de congé ne puisse être notifié que lorsque le bail est écrit puisque, par définition, il n’est pas possible d’identifier une parcelle dans un bail verbal.

Cette première condition est clairement anticonstitutionnelle, en ce sens qu’elle fait une distinction injustifiée entre les baux écrits et les baux verbaux. Au nom de quel principe faudrait-il priver un bailleur de notifier un tel congé s’il est lié par un bail verbal alors qu’il n’en serait pas privé s’il l’était par un bail écrit. Nul doute que les juges de paix ne manqueront pas de poser à la Cour Constitutionnelle une question préjudicielle tendant à vérifier si la condition n’est pas discriminatoire. Mais, même en présence d’un bail écrit, «identifier préalablement la parcelle dans le bail» signifie-t-il que le bail écrit doit simplement renseigner la parcelle comme faisant partie du bail à ferme ou que, plus précisément, le bail écrit doit renseigner l’information selon laquelle telle parcelle pourra faire l’objet d’un congé pour motif de vente conforme à l’article 6 §4. Messieurs les ministres et parlementaires, vous aideriez beaucoup à mettre à disposition des bailleurs et preneurs des textes clairs et non discriminatoires.

La grande nouveauté de la réforme du bail à ferme se trouve à l’article 6 § 4 de la nouvelle loi, sous la forme du congé pour motif de vente. Une grande nouveauté qui suscite nombre d’interrogations!
La grande nouveauté de la réforme du bail à ferme se trouve à l’article 6 § 4 de la nouvelle loi, sous la forme du congé pour motif de vente. Une grande nouveauté qui suscite nombre d’interrogations! - M. de N.

La seconde condition n’est pas plus simple à appréhender. Le bailleur ne pourra notifier congé pour motif de vente que pour une superficie maximale de 2 ha ou pour 10% au plus d’un bloc de parcelles faisant partie du même bail. Sous réserve de clarification autre, il faut comprendre ces termes de la façon suivante. Soit la parcelle a une superficie de 2 ha ou moins, et le congé peut alors être envoyé pour toute la superficie de la parcelle louée. Soit la parcelle fait partie d’un bloc, loué dans le cadre d’un même bail entre le même bailleur et le même preneur, et le bailleur ne pourra notifier congé pour vente que pour une superficie maximale de 10% dudit bloc. Il est clair que cette règle des 10% ne s’appliquera qu’en cas de bail portant sur un bloc d’une grandeur supérieure à 20 ha, à défaut de quoi le bailleur ne trouvera pas intérêt à calculer ses 10% puisque il peut alors utiliser la règle des 2 ha.

Un exemple sera plus clair. Le bailleur A loue par bail écrit au preneur B une parcelle de 2 ha. Il peut notifier congé pour motif de vente pour les 2 ha. Ce même bailleur A loue par écrit à un preneur C un bloc de parcelle de 16 ha. Il n’aura pas intérêt à calculer la superficie d’emprise du congé par la règle des 10% puisqu’il ne pourra alors reprendre que 1,6 ha. Par contre, si le bailleur A loué par écrit au preneur D un bloc de 25 ha. Il trouve alors intérêt à user de la règle des 10%.

Enfin, au titre de troisième condition, la loi exige que le preneur ait occupé la parcelle faisant l’objet du congé depuis trois ans moins avant la notification du congé. Cette condition, elle, au moins, est claire. Lorsque le congé a été envoyé, après avoir vérifié être en présence de toutes les conditions expliquées ci-avant (sous réserve des zones d’ombre soulevées), le congé doit en règle être considéré valide.

Quels en seront les effets ? La parcelle sera alors vendue libre d’occupation à l’acquéreur, qui pourra en faire ce qu’il en voudra puisque la loi prévoit que le bail se termine le jour de la signature de l’acte de vente. Mais que fait-on du droit de préemption du preneur en présence d’un tel congé ? La nouvelle loi dit clairement qu’il doit être respecté.

Comment concilier le principe du droit de préemption avec la raison d’être de ce congé, à savoir vendre libre d’occupation à un tiers ? Il est clair qu’on ne pourra plus parler de liberté d’occupation si c’est le preneur qui acquiert puisqu’il en sera lui-même l’occupant. Au vu de libellé même du texte légal, il faudra considérer qu’au moment de la signature d’un compromis de vente entre le bailleur et un tiers acquéreur, le Notaire instrumentant devra notifier au preneur son droit de préemption, et ainsi lui permettre d’acheter en priorité. Tout ça pour ça, oserait-on dire, puisque, avant d’en arriver-là, le bailleur aura dû envoyer au preneur le congé pour motif de vente au risque de voir éventuellement le preneur faire usage du droit de préemption ultérieurement et ainsi réduire à néant les démarches de notification du congé.

Il apparaît que la création d’un tel congé, sans doute mue par une certaine bonne volonté en faveur du bailleur, est plus qu’hasardeuse puisque ce type de congé pourrait être validé par un juge en cas de procédure pour, au final, être privé de tout effet à supposer que le preneur fasse ultérieurement usage de son droit de préemption.

Enfin, il est à préciser qu’un tel congé ainsi considéré comme valide aura une durée de «validité» de deux ans, après quoi il devient caduc.

D’après Henry Van Malleghem

, avocat au Barreau de Tournai.

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