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Agriculture et ville: jamais l’une sans l’autre, et pourtant…

Lors d’une journée de « rencontres de l’agriculture sociale » organisée par le GAL des plaines de l’Escaut, Yvon Le Caro, géographe français mais aussi agriculteur et accueillant, donnait sa définition de l’agriculture, son rapport à la ville, aux urbains, aux citoyens… « Il est important de s’interroger sur ce qu’est l’agriculture de manière à ne pas se laisser surprendre par le questionnement que pourraient avoir les personnes qu’on accueille, celles qui les encadrent ou, de manière plus générale, les gens à qui nous ouvrons nos portes. Aujourd’hui, l’agriculture fait souvent débats et, ces débats doivent être assumés dans le dialogue entre agriculteurs et citoyens ».

Temps de lecture : 9 min

Nous vivons l’agriculture et sommes donc certains de savoir ce dont on parle pourtant, les confusions entre l’agriculture, la campagne, la ruralité ou encore la nature sont courantes et les définitions sont variées. « Que vient-on chercher à la campagne, de la nature ou de l’agriculture ? », la question mérite d’être posée.

« L’agriculture et la ville sont des inventions concomitantes dans le temps et l’espace. Elles sont indissociables. »

Pas d’agriculture sans ville

Dans l’histoire de l’humanité, l’avènement de l’agriculture est finalement assez récent. Son principe : cultiver la terre et élever les animaux pour nourrir les hommes. Pour Yvon Le Caro, cette fonction principale relève du « pacte néolithique », c’est-à-dire de l’instant où une civilisation de chasseurs-cueilleurs est devenue sédentaire avec comme conséquence la création des villes. « L’agriculture et la ville sont des inventions concomitantes dans le temps et l’espace. Elles sont indissociables : les agriculteurs nourrissent les villes et existent parce que les citoyens doivent manger ».

Un pacte fondamental, néanmoins, les définitions de l’agriculture sont souvent assez différentes selon le point de vue. « La PAC ne définit même pas l’agriculture. Une définition littéraire la présente comme l’art de cultiver la terre mais légalement, en France, on parle plutôt d’activités – et non professions – correspondant à la maîtrise et l’exploitation (l’usage) d’un cycle biologique. Le prolongement de l’acte de production est considéré comme de l’agriculture ainsi que les activités utilisant la ferme comme support. Une définition qui ne se limite donc pas à la production, qui reconnaît la spécificité du lieu qu’est la ferme mais qui accepte que des activités agricoles puissent être réalisées dans un autre lieu », explique-t-il.

Contrairement à l’espace urbain qui a tendance à s’homogénéiser, il y a autant de paysages agraires que d’agriculture. La campagne garde des identités propres et différentes en fonction des régions», explique le géographe.
Contrairement à l’espace urbain qui a tendance à s’homogénéiser, il y a autant de paysages agraires que d’agriculture. La campagne garde des identités propres et différentes en fonction des régions», explique le géographe.

Ville ou campagne, espaces ruraux ou urbains, ruralité ou « normalité »

La distinction entre ville et campagne n’est pas si simple. On peut trouver la campagne au cœur des grandes villes et avoir des petites villes en milieu rural. « Historiquement la campagne commençait en bordure des villes mais aujourd’hui c’est beaucoup plus flou. On définit notamment la campagne comme un paysage marqué par l’activité agricole. Elle ne doit pas être faite que d’agriculture mais il doit y en avoir. Ce genre de définition peut poser question dans des régions à activité très forestière par exemple ».

« De même, les gens viennent souvent chercher à la ferme des éléments qui tiennent de la ruralité, des représentations typiques du monde agricole qui relèvent du passé et que la campagne a perdues ». On parle de valeurs rurales, forgées à la campagne, différentes des valeurs urbaines. « Mais, ces valeurs ont évolué… du fait de l’exode rural mais aussi de la diffusion des valeurs urbaines à la campagne via la télévision, l’école, le cinéma… ».

Le rapport au lieu est également différent : « La campagne est un lien d’ancrage alors que la ville est associée à la mobilité. Le paysan est attaché à sa terre et y revient. Le monde urbain est lié à la liberté individuelle. On choisit et n’est obligé à rien alors que dans le rural, on a une conscience plus aiguë du voisinage, les affinités sont cultivées. Néanmoins, les valeurs urbaines colonisent les campagnes. On peut aujourd’hui vivre dans un espace rural et avoir des relations urbaines, ne pas connaître son voisin par exemple ».

Les gens viennent souvent chercher à la ferme des éléments qui tiennent de la ruralité,  des représentations typiques du monde agricole qui relèvent du passé et que la campagne a perdues.
Les gens viennent souvent chercher à la ferme des éléments qui tiennent de la ruralité, des représentations typiques du monde agricole qui relèvent du passé et que la campagne a perdues. - Vitezslav Halamka - stock.adobe.com

Campagne ressource mais aussi nature et cadre de vie

Yvon Le Caro met en avant une autre particularité : la campagne est à nouveau attractive. « Jusque dans les années ‘60, il existait un parfait mépris du monde urbain pour la campagne. Les agriculteurs étaient des ploucs, des crados, mal élevés… Ma grand-mère, pourtant porteuse d’une licence en chimie, se cachait lors du passage de touristes car elle était paysanne et avait honte de sa condition. Dans les années ‘70, les agriculteurs sont devenus des citoyens comme les autres. Il était difficile de les différencier par leur habillement. C’est à ce moment qu’intervient la crise de la ville : les gens s’y sentent serrés, on assiste à une montée de l’écologie et un retour des populations à la campagne. Elle est vue comme un médicament contre l’urbanité. Malheureusement, on y vient pour la nature pas pour l’agriculture. Je crois néanmoins qu’il faut prendre cela comme un atout. Mieux vaut faire envie que pitié ! ».

On peut en effet considérer que trois valeurs se partagent la campagne : la ressource, la nature et le cadre de vie. La première appartient aux agriculteurs alors que les citadins recherchent en premier lieu la nature et un cadre de vie agréable. « Les agriculteurs doivent savoir que ce n’est pas forcément la campagne ressource que les citadins viennent chercher. De même, on ne peut pas demander aux agriculteurs d’être là pour les mêmes raisons que les citoyens qui vont à la ferme », précise le géographe. Il ajoute, « Les Anglais parlent d’idylle rurale. Pour dépasser le mythe, les paysans peuvent donner du concret ont gens qui viennent à leur rencontre, leur expliquer comment ils s’insèrent dans le paysage et y participent ».

Porteur de trois moments de son histoire

Pour Yvon Le Caro, les paysans d’aujourd’hui sont porteurs de trois moments de leur histoire. Au cours du temps, différentes manières de penser le métier se sont succédées et ont laissé des traces. Dans un premier temps, la société paysanne est holiste. « C’est un tout. On choisit son conjoint en lien avec l’organisation du travail agricole. La vie privée, professionnelle, la religion, tout se tient. La terre est un bien-fonds, la société locale est paysanne et l’agriculture est l’âme du pays ».

Mais, la révolution silencieuse fait son chemin, et d’un coup, on ne naît plus paysan mais on choisit de le devenir. On parle alors du paradigme professionnel. « La terre est un outil de travail. Le métier s’apprend. On sort de la dictature de papa mais on tombe en quelque sorte dans le diktat du travail. À l’époque, le paradigme professionnel est vécu comme libérateur. Pourtant, il a des limites. Dans ce modèle, il n’existe qu’une manière de faire, une référence avec des règles à suivre presque imposées. Ce paradigme s’est fait en coupant les agriculteurs de la société alors que dans la société paysanne ils étaient au cœur du système. C’est pourquoi on doit, aujourd’hui, retrouver des alliances ».

C’est dans les années ‘90 que l’on passera au paradigme réflexif. « Les agriculteurs prennent conscience que leurs modèles présentent des failles. Chacun réfléchit et trouve des solutions qui lui sont propres, acceptables pour soi et pour la société. Il y a une certaine remise en cause de la science et d’une manière unique de faire. L’agriculture est pluri familiale et peut être raisonnée, intégrée, de précision, fermière, de conservation, paysanne, durable et/ou biologique ».

« La nourriture est devenue un produit des marchés et a été si bien dématérialisée que les gens pensent que cette capitalisation est capable de produire notre alimentation ».

Confrontée à la critique

Yvon Le Caro voit la critique de l’agriculture industrielle comme une manifestation de la postmodernité. « On est dans la contradiction totale. Tout doit être le moins cher possible mais on critique la manière dont c’est fait. Les gens veulent de l’écologie, manger sain et bio et voient le paysage rural comme un écrin… sans contrepartie ou presque. C’est un discours auquel on commence à être rodé et on entrevoit maintenant la possibilité d’alliances ».

L’agriculture doit par contre faire face à une critique émergente plus radicale (l’émergence du post-néolithisme) : « Cette critique bouscule le rôle principal de l’agriculture qui est de nourrir. L’agriculture et l’alimentation sont déconnectées et certains vont jusqu’à proposer l’artificialisation du processus alimentaire. Pourquoi cette tendance ? Car nous avons fait l’erreur de laisser partir les produits agricoles sur les marchés spéculatifs. La nourriture est faite pour nourrir mais elle est devenue un produit des marchés et a été si bien dématérialisée que les gens pensent que cette capitalisation est capable de produire notre alimentation. Certains revendiquent aussi un retrait agricole au profit de la nature sauvage. D’autres criminalisent l’élevage et estiment que tout ce qui s’appuie sur lui n’est pas légitime. Pourtant l’absence d’animaux poserait un réel problème, ne fût-ce que pour la fertilisation. On parle d’agroécologie mais, pas d’agroécologie sans animaux. L’agriculteur, la nature et les animaux forment une communauté de travail qui contribue à nourrir l’homme ».

Partager son expérience pour retrouver une véritable relation

Pour faire face à tout cela, le géographe propose, entre autres, de construire de nouvelles relations aux citoyens en se basant sur « un discours de vérité validé par l’expérience partagée ». Pour ce faire, il identifie les enjeux majeurs qui sont la qualité de la nourriture contre le prix, les repas individualisés en fonction du régime alimentaires contre le repas familial traditionnel, l’authentique contre « l’américanisé »… « Les gens ne peuvent pas en rester à « Martine à la ferme ». On doit pouvoir leur expliquer les cycles de vie, leur faire prendre conscience des moments d’élevage plus difficiles en les faisant participer… En ce sens, les fermes pédagogiques sont intéressantes à partir du moment où on ne se limite pas au « folklore animal ». « Il est également intéressant de les faire expérimenter, qu’ils comprennent de quelle manière les agriculteurs participent aux paysages de leur région et les pratiques culturales qui sont mises en œuvre ».

L’idée est que chaque être humain échange et agit sur son milieu. De cette manière, il entre en relation et repart avec une expérience, des sensations, des mots… qui l’aide à comprendre le monde. « Les agriculteurs sont constamment en action et c’est pour cela qu’ils ont une relation forte à leur modèle. Quand quelqu’un vient à la ferme et participe, élague ou désherbe, il comprend alors ce qu’est l’agriculture. En parcourant le paysage, il prend conscience de sa complexité et qu’il résulte d’une action ».

Un partage qui doit néanmoins se faire en posant certaines limites : « Il est important d’ouvrir ses portes et de se laisser interroger mais il faut aussi savoir dire non. Nous avons des valeurs et une manière de travailler que l’on veut bien partager mais nous ne sommes pas là pour subir des jugements et on doit être respecté. Pas question de se faire instrumentaliser, s’il n’y a pas d’intérêt et que l’échange ou l’accueil n’est pas adapté nous sommes en droit de le refuser », conclut Yvon Le Caro.

D. Jaunard

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