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Pour dégager un revenu en production laitière, il faut maîtriser son activité

Fin janvier, se tenait la 34e journée d’étude de Remouchamps organisée par l’Aredb d’Ourthe – Amblève, Theux, Verviers et le Comice Agricole d’Ourthe – Amblève. Celle-ci avait pour thème la pérennisation des exploitations laitière. Cette année, Daniel Jacquet, du service technico-économique d’Elevéo, s’est intéressé à la durabilité des exploitations laitières.

Temps de lecture : 9 min

Évoquer la pérennité des élevages, c’est avant tout parler de durabilité, un terme très à la mode et approprié dans le cas de la production laitière !

Une telle configuration, durable, repose sur trois axes : un environnement vivable ; un développement économique et un développement social.

Et de se poser des questions telles que :

– faut-il agrandir pour assurer l’avenir et la reprise des exploitations ? ;

– faut-il diversifier ? ;

– faut-il engager un salarié ? ;

– si j’agrandis encore, ma ferme sera-t-elle transmissible ? Et investir, oui mais jusqu’à quelle limite ?

Pour toutes ces questions, l’orateur nous renvoie au présent ! En effet, pour lui, le moyen le plus sûr d’avoir un avenir, c’est d’abord de répondre aux critères de durabilité d’aujourd’hui. « Si le présent n’est pas soutenable, et ne répond pas aux critères environnementaux, économiques et sociaux, je ne vois pas comment on peut imaginer ou prévoir l’avenir ! Qui sait d’ailleurs prédire ce que nous réserve l’avenir ? »

« On a souvent tendance à s’imaginer que l’évolution que l’on vient de connaître va se poursuivre et constituera l’avenir. Si le nombre d’animaux par exploitation a doublé sur une ou deux générations, on peut s’imaginer raisonnablement que cela pourrait être encore le cas à l’avenir. Les fermes laitières s’étant toujours davantage spécialisées, c’est une tendance qui pourrait se confirmer dans le futur. Mais partir sur cette base n’est peut-être pas la bonne optique. » Voilà pourquoi Daniel Jacquet se raccroche à ce que vivent les élevages actuellement.

Pour Daniel Jacquet, il faut pouvoir investir mais dans l’objectif de rester compétitif  le plus rapidement possible, pas dans le cas d’un futur hypothétique.
Pour Daniel Jacquet, il faut pouvoir investir mais dans l’objectif de rester compétitif le plus rapidement possible, pas dans le cas d’un futur hypothétique. - P-Y L.

Un revenu décent

Pour assurer la durabilité d’une exploitation, il faut d’abord s’assurer un revenu décent. D’autant qu’il a un impact sur les deux autres piliers, à savoir : les aspects social et environnemental.

« Si l’éleveur n’a pas de revenu, à moins qu’il soit très motivé, il va être moins regardant sur l’environnement. Et quid de sa vie sociale ? »

Mais quelle ferme est la plus pérenne pour l’avenir ? « Est-ce une ferme de grande taille, super-équipée, mais qui ne dégage aucun revenu ou bien la ferme moyenne, qui ne se démarque pas outre mesure, mais qui est gérable et qui dégage un revenu ?

Pour l’orateur, c’est évidemment la deuxième option qu’il faut approcher. Et de citer l’exemple des Danois, qui étaient encore vus il y a quelques années comme l’avenir de la production européenne – grands troupeaux très productifs, exploitation automatisée – mais dont les exploitations étaient très endettées.

« Pour moi, un entrepreneur doit prévoir et investir, mais pas différer. Si on doit parfois se serrer la ceinture lors de nouveaux investissements, il ne faut surtout pas se priver pour un hypothétique futur ! Investir c’est d’abord assurer son présent et pas uniquement son avenir. »

«Bien sûr, il faut investir et suivre l’évolution pour rester compétitif et, si possible que cela ait un impact positif pour le futur.

Pour autant qu’elles ne handicapent pas l’éleveur, les opportunités doivent être saisies. Elles doivent avoir un effet immédiat. L’orateur n’est clairement pas favorable à de la spéculation à long terme.

Pas de recette miracle !

« Quelle activité économique, quel que soit le domaine, peut fonctionner à terme sans revenu ? Aucune ! Heureusement Il n’y a pas de recette ou de modèle unique ! L’important ? La cohérence dans les choix que l’on pose ! D’autant que pour être bénéficiaire, l’activité doit être maîtrisée ! L’éleveur doit donc se fixer des limites, en termes de travail, de nombre de bêtes, pour ne pas devoir courir après le temps et être dépassé par la gestion de son exploitation. Ce qui est en général très mauvais pour l’économie de son activité… En outre, comment avoir une vie sociale, quand on est le nez dans le guidon ? »

Rester réaliste avant tout

Et de présenter quelques chiffres issus de l’exercice 2018 extraits des comptabilités de gestion du service technico-économique d’Elevéo. Ceux-ci ne concernent que les fermes laitières wallonnes spéciali sées (avec + de 95 % de vaches traites), avec une forte prédominance de la région herbagère. Notons que l’unité utilisée est l’UTT et qu’elle ne compte pas l’aide familiale et qu’un ouvrier ne compte qu’au maximum pour ½ UTT.

Entre 2016 et 1018, le revenu agricole moyen était de 49.000 euros. « Un montant proche du salaire paritaire, à ceci prêt qu’il faut décompter les loyers fictifs et l’intérêt sur le capital propre. Toutefois, des grosses différences se marquent d’une année à l’autre (34.315 € en 2016, 57.552 € en 2017 et 55.793 en 2018).

Le nombre moyen de vaches traites par unité de travail y était de 57 vaches avec un litrage moyen de 7.114 l/ vache. Notons toutefois que la tendance de production est à l’augmentation.

Daniel Jacquet insiste : « L’important ? Être avant tout réaliste, tant économiquement que socialement. Où que l’on soit, le chiffre de 60-70 vaches par unité de travail est cité. Pourquoi vouloir à tout prix le dépasser ? Il est évidemment possible d’avoir 60 vaches/UTT et d’avoir un revenu. Les données analysées indiquent qu’il y a clairement moyen de gagner sa vie avec 40 vaches comme l’on peut la gagner de la même manière avec 80 vaches/UTT. »

Il précise : « Je ne dis pas qu’il faut absolument passer à 40 vaches pour mieux gagner sa vie. le nombre de bêtes/UTT n’explique qu’en petite partie le revenu du travail. »

Maîtriser ses coûts de production

Seul un paramètre est important dans l’obtention d’un revenu décent : le coût de production ! Plus celui-ci est élevé, plus le revenu par unité de travail total, tend à diminuer.

« Certains producteurs vont peut-être compenser un coût de production élevé en trayant davantage ou en ayant une meilleure valorisation de leur lait, via les taux… »

Si on ne prend pas en compte les données relatives à la production biologique, la courbe qui regroupe les données est d’autant plus robuste. En moyenne, en 2018, le coût de production de 100l de lait non bio était de 31,19 €.

« Il est d’autant plus important d’avoir des coûts de production maîtrisés quand le prix du lait est plus faible », estime Daniel Jacquet.

Des investissements sont possibles

Dans une exploitation, des investissements doivent être réalisés et doivent être payables dans certaines limites. C’est d’autant plus vrai pour une reprise où tout est à payer… il faut tenir compte du capital par UTT que les banques sont disposées à prêter.

Il s’intéresse au revenu total par unité de travail en fonction des charges de bâtiment (Graph. 1). Une tendance est évidente, moins les frais de bâtiment sont élevés, mieux l’éleveur gagne sa vie. Toutefois, le remboursement de frais de bâtiments tout en dégageant un revenu est possible ! « Il y a moyen de dégager du revenu, même avec des coûts d’amortissement de bâtiment allant de 5 à 6 euros par 100 l de lait ».

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Si l’on s’intéresse au capital total investi dans la ferme par unité de travail et le revenu dégagé, on remarque que ceux qui sont à 100.000 euros n’ont pratiquement pas investi et sont à des petits revenus tandis que ceux qui sont entre 150.000 et 500.000 euros de capital/UTT peuvent clairement dégager de la marge. Des investissements sont donc possibles mais dans une certaine mesure. « 500.000 €/UTT est déjà une très belle somme ! »

« Dans le cas d’une exploitation rentable, il faut investir pour soi, pour le présent… certainement pas pour augmenter sa valeur en vue d’une reprise. L’investissement doit être rentable à court terme », explique l’ingénieur.

Il poursuit : « Parfois, en vue d’une future reprise, un investissement, même rentable, doit être évité ! À moins que l’on soit prêt à en faire cadeau (ex : une installation photovoltaïque)… Mieux vaut en effet éviter d’augmenter inutilement le capital à reprendre de sorte que la ferme puisse être transmissible. »

Viser une certaine compétitivité

Attardons-nous aux éléments qui permettent d’être compétitifs. « Le prix du lait ne permet pas une rentabilité en faisant n’importe quoi. Trois postes sont essentiels : les frais variables, les investissements, la main-d’œuvre. Pour obtenir une marge, un revenu, il faut au minimum être compétitif sur l’un de ces trois aspects.

– les charges variables :

Une taille de ferme inadaptée, en général, vu la liaison à une superficie, à la géographie, va diminuer la compétitivité sur le poste des charges variables. Plus la ferme grandit, plus les terrains sont éloignés, ce qui va inévitablement saper la compétitivité sur ce poste (aller chercher les fourrages et épandre les lisiers loin).

Toutefois, dans pareil cas, une rentabilité est possible, pour autant qu’il y ait peu d’investissements et que la main-d’œuvre soit productive et plutôt mal payée.

– les investissements (bâtiment) :

Il est possible d’investir mais jusqu’à certaines limites (par litre de lait et en capital/UTT). Attention en cas de reprise, tout est à payer, il n’y a alors pas d’investissement amorti… Il est donc nécessaire de gérer finement ses charges variables, et le revenu de la main-d’œuvre pourrait en pâtir…

– la main-d’œuvre :

Si au moins un des 2 autres postes est compétitif, revenu il y aura. Si les 2 autres postes sont compétitifs, la marge sera bonne ! C’est, selon l’orateur, le tiercé gagnant. À l’inverse, si aucun des 2 autres postes ne l’est… Malheureusement, la production laitière n’est pas rentable à ce point que pour pouvoir être non compétitif dans aucun de ces trois domaines.

« Des dépenses peuvent néanmoins être réalisées au sein de ce poste : engagement d’un ouvrier ou équipements visant à diminuer la main-d’œuvre (robots…) pour autant que l’on soit concurrentiel dans les autres postes (charges variables et investissements). Il est impossible de construire une nouvelle étable, d’engager un ouvrier et d’en tirer un revenu. Et encore plus s’il faut aller chercher des terrains relativement loin pour produire de la nourriture. »

Prendre le temps de grandir

Bien travailler aujourd’hui, c’est assurer son avenir. Les revenus engrangés aujourd’hui permettront de s’adapter en temps voulu aux évolutions du marché. Il est d’ailleurs probable que les critères d’aujourd’hui, soient les mêmes demain. S’il ne faut pas stagner, rien ne sert de grandir à tout va !

« En production laitière, on redécouvre un peu partout les vertus de l’herbe pour l’économie et pour l’environnement. Notre région est donc bien placée si l’on se base sur une production à l’herbe. Le zéro-grazing sera-t-il accepté à l’avenir ? Les gros élevages de 300 laitières et plus ne sont pas bien acceptés par le voisinage, les communes… »

Pour Daniel Jacquet, il est souvent plus indiqué, économiquement et socialement, de bien maîtriser sa production que de vouloir se diversifier. D’autant qu’il y a certainement un avenir dans la production laitière.

Les jeunes repreneurs voudront d’autant plus, un revenu, une vie sociale et un sens à leur activité. Les banques ne prêtent pas des capitaux illimités. Elles ont une certaine limite par unité de travail. Si l’exploitation est non rentable, si c’est un mastodonte, comment trouver un amateur ?

P-Y L.

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