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Covid - 19 - Marchés agricoles en crise: une série de mesures d’urgence aux moyens budgétaires limités

Sous pression, la Commission européenne a fini par présenter des mesures pour intervenir sur les marchés les plus affectés: des soutiens au stockage privé de produits laitiers et de viande, des dérogations aux règles de la concurrence dans certains secteurs et des souplesses dans les programmes nationaux de quelques filières. Pourtant, très peu d’argent frais est mis sur la table.

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Pressée de toute part, recevant un flot ininterrompu de lettres – des États membres, d’eurodéputés et d’organisations professionnelles européennes ou nationales – depuis des semaines, pour lui demander d’agir, la Commission européenne a fini par céder. Elle a proposé récemment des mesures d’urgence pour soutenir les marchés agricoles les plus touchés par la crise liée à l’épidémie de coronavirus, notamment des aides au stockage privé dans les secteurs des produits laitiers et de la viande, des dérogations aux règles de la concurrence pour les opérateurs des secteurs les plus durement touchés, ainsi qu’une certaine souplesse en ce qui concerne les programmes nationaux pour les secteurs des fruits et légumes ou du vin.

Mais la question se pose encore quant aux moyens que l’Institution pourra allouer à ces mesures. À ce stade, quelque 88,5 millions € d’argent frais issu des marges du budget agricole 2020 seraient prévus pour le soutien stockage privé. Pour le reste il s’agirait principalement de la réorientation de fonds pas encore dépensés. Ces mesures susceptibles d’évoluer au fil des discussions, devaient être adoptées à la fin de ce mois d’avril après un vote des États membres pour une entrée en application dès le début du mois de mai.

100.000 t de fromage, 90.000 t de poudre et 140.000 t de beurre

L’aide au stockage privé concernera les produits laitiers (poudre de lait écrémé, beurre, fromage) et la viande (bovine, ovine et caprine) et permettra le retrait temporaire des produits du marché pour une durée minimale de 2 à 3 mois et maximale de 5 à 6 mois. Comme indiqué ci-avant, ce dispositif serait doté d’une enveloppe évaluée à 88,5 millions € (dont environ 30 millions pour le lait et le reste pour la viande).

Mais tout dépendra du recours qui sera fait au stockage dans les États membres en termes de volumes et de durée de stockage.

Pour les produits laitiers, la Commission propose des volumes à retirer temporairement du marché avec une répartition, provisoire, par État membre. L’aide au stockage privé pour les fromages concernera un volume maximum de 100.000 t à conserver en stock pendant une période de 2 mois minimum à 7 mois maximum pour un budget total évalué à 10 millions €. En termes de répartition: 21.700 t pour l’Allemagne, 18.400 t pour la France, 12.600 t pour l’Italie, environ 8.000 t pour la Pologne et les Pays-Bas…

Pour la poudre de lait écrémé, le volume est estimé à 90.000 t, avec un budget total de 6 millions €, à stocker soit pendant une année complète, soit pendant une période de 3 à 7 mois au maximum.

Pour le beurre, le volume estimé est de 140.000 t, à stocker pendant au moins trois mois et au maximum sept mois, avec un budget de 14 millions €. Les opérateurs pourront demander des aides dans le cadre de ce programme de stockage à partir du jour de son entrée en vigueur au début du mois de mai.

Par ailleurs, en plus de ce dispositif, le système d’intervention publique est actuellement disponible (du 1er mars au 30 septembre) pour la poudre de lait écrémé et le beurre jusqu’à respectivement 109.000 t et 50.000 t.

Une aide au stockage privé pour la viande bovine a été proposée pour un volume total de 25.000 t et un budget de 26 millions €. Une première au sein de l’UE.
Une aide au stockage privé pour la viande bovine a été proposée pour un volume total de 25.000 t et un budget de 26 millions €. Une première au sein de l’UE. - M. de N.

Pour la viande bovine: une première

L’exécutif de l’Union européenne a également confirmé une aide au stockage privé pour la viande bovine – un dispositif encore jamais pratiqué dans l’UE – pour un volume total de 25.000 t et un budget de 26 millions €. Pour les viandes ovine et caprine, des secteurs où de telles mesures n’ont pas été pratiquées au cours des vingt dernières années, il est proposé de stocker un volume total de 36.000 t avec un budget de 20 millions €. Enfin, à cela s’ajoute un soutien au stockage de viande de veau qui devrait nécessiter une enveloppe d’environ 10 millions €.

Par ailleurs, la Commission accordera des souplesses dans les programmes nationaux pour le vin, les fruits et légumes, l’huile d’olive, l’apiculture et le programme de distribution de lait et de fruits et légumes dans les écoles afin de réorienter les priorités de financement vers des mesures de gestion de crise pour ces secteurs. Pas d’argent frais a priori dans ce dispositif.

Pour les organisations de producteurs dans le secteur des fruits et légumes, les fonctionnaires suggèrent, par exemple, d’augmenter les dépenses éligibles pour les mesures de prévention et de gestion des crises, de relever les plafonds de l’aide financière de l’Union en cas de réduction de la valeur des produits et de réduire les contrôles administratifs. En ce qui concerne l’apiculture, les capitales nationales seraient autorisées à modifier leurs programmes et à reporter l’application des mesures correspondantes jusqu’au 15 septembre.

Cartels de crise

Enfin, la Commission va permettre des dérogations exceptionnelles aux règles de concurrence de l’UE pour une période maximale de six mois pour les secteurs du lait, des fleurs et des pommes de terre permettant aux opérateurs d’adopter des mesures d’auto-organisation: planification de la production de lait, retrait de produits du marché pour les secteurs des fleurs et des pommes de terre, et autorisation de stockage par des opérateurs privés. Dans certains pays, notamment en France, ces mesures de planification de la production ont déjà été lancées dans la filière laitière.

Une fois l’article 222 du règlement OCM activé, pourront donc être formés des cartels de crise, comme le demandent certains depuis des semaines, autorisant des actions de retrait de produits du marché, de distribution gratuite, de promotions conjointes et de planification de la production. Toute action de ce type devra être signalée à l’autorité compétente de l’État membre concerné, qui en informera ensuite la Commission européenne.

Le Copa estime que des secteurs comme la pomme de terre et les huiles végétales ont besoin de soutiens exceptionnels temporaires supplémentaires financés en dehors du budget de la pac.
Le Copa estime que des secteurs comme la pomme de terre et les huiles végétales ont besoin de soutiens exceptionnels temporaires supplémentaires financés en dehors du budget de la pac. - M. de N.

Une « première étape »

L’ensemble de ces mesures était demandé depuis des semaines par les parties prenantes. Les ministres de l’Agriculture de l’UE avaient signé le 17 avril une déclaration commune appelant la Commission européenne à « activer en urgence des mesures supplémentaires dans le cadre de la pac ».

Prochaines étapes dans la mise en œuvre des nouvelles mesures d’urgence: le commissaire européen à l’Agriculture Janusz Wojciechowski devait présenter ces dispositions aux eurodéputés probablement ce jeudi 30 avril, les experts des États membres pourront discuter des détails du paquet lors du comité spécial Agriculture prévu pour le 5 mai, tandis que la présidence croate du Conseil organisera un débat ministériel en visioconférence le 12 ou le 13 mai. L’occasion pour les Vingt-sept de faire un nouveau point sur la situation des productions agricoles et de demander si necessaire des mesures supplémentaires.

Un premier pas, pour les professionnels

Les organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca) ont salué ce paquet de mesures d’urgence comme « un premier pas », mais ont appelé à « d’autres actions pour alléger la situation difficile des agriculteurs sur le terrain. Certains secteurs comme la pomme de terre, les huiles végétales, les biocarburants et leurs co-produits ont besoin de mesures supplémentaires notamment des soutiens exceptionnels temporaires financés en dehors du budget de la politique agricole commune.

Même sentiment chez les Jeunes agriculteurs (Ceja) qui invitent les décideurs à concevoir d’autres instruments « hors des sentiers battus et permettant une meilleure gestion de la crise ». Pour le président Jannes Maes, « à l’avenir, il sera essentiel de s’interroger sur le rôle de l’agriculture dans l’UE. S’il est reconnu comme stratégique, comme c’est le cas actuellement dans toute l’Europe, il devrait alors être mieux reflété dans les priorités budgétaires présentées dans le prochain cadre financier pluriannuel ».

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