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Les phéromones sexuelles, au cœur de la lutte contre certains insectes ravageurs des fruitiers

La découverte et la caractérisation des phéromones ont permis le développement de nouvelles méthodes de lutte contre les insectes, en alternative aux moyens de lutte chimique. À l’heure actuelle, plusieurs techniques reposent sur ces composés, du piégeage à la confusion, et sont disponibles pour les professionnels et les amateurs.

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Dans la lutte contre les insectes ravageurs des cultures, l’usage d’insecticides s’est développé fortement après la deuxième guerre mondiale. Mais à côté de son efficacité, cette stratégie a rapidement montré des limites et des inconvénients : persistance dans l’environnement, apparition de résistance, spectre d’action trop large par exemple.

La nécessité est apparue de développer d’autres stratégies de lutte, notamment en intervenant dans les systèmes de communication entre insectes. La plus étudiée est le message chimique par lequel les femelles attirent les mâles en vue de s’accoupler. D’autres stratégies visant à interrompre le cycle de reproduction d’un insecte, comme le piégeage lumineux, le piégeage alimentaire ou le lâcher de mâles stériles, ont également été étudiées.

Que sont les phéromones ?

Les messages chimiques envoyés par des insectes à leurs congénères ont été appelés « phéromones », du grec : « porter une excitation ». Ils sont de plusieurs ordres :

– où trouver de la nourriture : phéromone de piste, ou d’itinéraire ;

– rester en groupe : phéromone d’agrégation ;

– ce territoire est le mien : phéromone d’évitement ;

– je suis agressé : phéromone d’alarme ;

– je suis un mâle – je suis une femelle, et je cherche une/un partenaire : phéromone sexuelle.

La première phéromone sexuelle a été identifiée en 1958 par l’équipe de Butenandt chez le ver à soie (Bombyx mori). Avec les techniques d’analyse de l’époque, ils durent utiliser près de 500.000 femelles pour identifier la molécule en cause. En 1971, une équipe américaine identifia la phéromone sexuelle du carpocapse des pommes et des poires (Cydia pomonella).

Depuis lors plusieurs centaines de phéromones différentes ont été identifiées, puis produites par synthèse. On en compte plus de 250 distribuées dans les milieux professionnels concernés.

Leurs caractères généraux

Les phéromones comptent plusieurs caractères généraux :

la spécificité : le message envoyé par un individu n’est compris que par d’autres individus de la même espèce. Lorsque le message est compris par plusieurs espèces, on parle alors de « kairomone » ; c’est par exemple le cas des substances attractives ou répulsives émises par des plantes et reçues par des insectes.

une très grande sensibilité : quelques molécules reçues par les antennes de l’insecte suffisent à donner le message. À l’inverse, il existe aussi des substances appelées « bio-olfacticides » ; leurs molécules se fixent sur les récepteurs olfactifs des antennes qu’elles saturent et rendent insensibles aux odeurs.

une très faible persistance : dans le milieu naturel, les molécules de phéromones se dégradent rapidement, en quelques jours, sous l’effet de la chaleur et du rayonnement. Ce point est important à prendre en compte dans les stratégies d’utilisation : des dispositifs de diffusion lente ont été mis au point afin d’allonger la durée d’action des phéromones.

une composition chimique très complexe : une phéromone se compose généralement de plusieurs substances chimiques, le plus souvent deux ou trois, et même quatre ; c’est par exemple pour environ 80 % un composant principal, et une faible quantité de son isomère.

émission et réception : l’émission des phéromones sexuelles se fait par des glandes situées chez les femelles sur l’abdomen, et chez les mâles sur les ailes et les pattes. La perception s’effectue au niveau de poils sensoriels des antennes ; ils sont plus nombreux chez les mâles que chez les femelles. Pendant le vol en ligne droite, l’orientation est régie par le gradient de phéromone perçue ; un vol en zigzags indique la recherche d’un flux de phéromone.

Dans la lutte contre les insectes

Après la découverte et la caractérisation des phéromones, différentes applications à la lutte contre les insectes ravageurs ont été proposées en ce qui concerne les phéromones sexuelles : principalement le piégeage d’avertissement, le piégeage massif et la confusion (ou brouillage).

Le piégeage d’avertissement

L’efficacité ou non d’un traitement phytosanitaire dépend en grande partie du moment précis où il est effectué. Dans ce processus de décision, en ce qui concerne des insectes, l’utilisation de pièges lumineux ou de pièges alimentaires présente un inconvénient majeur : leur manque de sélectivité. D’autres méthodes, comme le calcul de la somme des températures, manquent de précision. Après une nuit de fonctionnement d’un piège lumineux, l’identification et le dénombrement des captures est un travail long et fastidieux qui demande une bonne connaissance de l’entomologie.

À l’inverse, des pièges englués munis d’une capsule de phéromone ont une bonne sélectivité et le dénombrement est rapide : il suffit de compter les individus présents sur la plaque engluée. On peut ainsi déterminer localement le début et la fin d’une génération d’un ravageur avec précision. Toutefois, la forte attractivité des pièges à phéromones incite parfois à surestimer une population et à intervenir en croyant que le seuil de nuisance est atteint ou dépassé, alors qu’il ne l’est pas.

Le piégeage massif

C’est la suite logique du piégeage d’avertissement : en capturant massivement une forte proportion des mâles présents (et idéalement la totalité), le cycle de reproduction est perturbé (ou interrompu) et on espère maintenir la population sous le seuil de nuisance.

Cette stratégie n’a pas toujours donné des résultats satisfaisants pour des ravageurs qui ont plusieurs générations par an : une première génération réduite peut parfois donner une deuxième génération abondante. Elle est efficace pour la mouche de la cerise (Rhagoletis cerasi) qui n’a qu’une génération par an, mais par contre, dans le cas du « Capua », la tordeuse de la pelure des fruits (Adoxophyes orana), nous avons constaté que des femelles non encore fécondées se rapprochent des pièges où des mâles sont en grand nombre afin de s’accoupler, puis pondent et le cycle et bouclé. Les résultats dépendent aussi de la mobilité plus ou moins grande de l’insecte.

La confusion ou « brouillage »

Dans certains essais de piégeage massif, où un grand nombre de pièges à phéromone sexuelle étaient installés dans le verger, on a parfois observé que plus aucun insecte n’était pas capturé alors qu’ils étaient encore présents. Ce constat a conduit à appliquer la technique du « brouillage » : en répandant constamment dans l’atmosphère une grande quantité de phéromone, les mâles sont désorientés et incapables de trouver les femelles. Leurs antennes sont saturées du stimulus chimique, avec de plus un phénomène d’accoutumance qui ne provoque pas de réactions : ils volent en zig-zags. Ainsi, le cycle de reproduction est interrompu.

C’est actuellement la stratégie la plus utilisée, puisque le coût des phéromones de synthèse a diminué, et que des dispositifs de libération progressive ont été mis au point.

L’efficacité de la méthode suppose que l’émission de la phéromone soit continue et que la phéromone de synthèse soit la plus semblable possible à la phéromone naturelle. Il ne faut pas que l’insecte puisse faire la différence, comme nous le ferions entre un parfum de grande marque et une contrefaçon !

Des recherches visent à trouver des substances qui permettraient de rendre les insectes insensibles aux phéromones naturelles.

Dans la pratique

des vergers d’amateurs

Plusieurs phéromones de synthèse sont actuellement proposées aux arboriculteurs professionnels, et quelques-unes, qui concernent des ravageurs de grande importance, sont aussi disponibles pour les jardiniers amateurs. Leur bonne utilisation suppose une connaissance du cycle des insectes en cause.

Il existe une différence essentielle entre les vergers professionnels et les jardins fruitiers d’amateurs. Les premiers comportent de grandes parcelles homogènes : une seule espèce, et seulement deux ou trois variétés différentes, des arbres de même âge et de la même forme, plantés en lignes. Par contre, dans des vergers d’amateurs, de surface plus faible, on rencontre une grande diversité d’espèces, de variétés, de formes et d’âges des arbres, avec un nombre réduit d’arbres identiques. Dans ce cas, le piégeage d’avertissement se rapproche du piégeage massif.

Si le jardin est jointif d’autres jardins ou de parcelles qui présentent des arbres fruitiers non ou mal entretenus, ce voisinage peut avoir un rôle positif par « effet de réseau » ou négatif comme « réservoir de ravageurs ». De par leur attractivité, l’effet des pièges à phéromones ne se limite pas à une seule parcelle.

À côté de la lutte contre des ravageurs d’arbres fruitiers, d’autres applications de cette stratégie existent en ce qui concerne les arbres forestiers ou des végétaux d’ornement : la pyrale du buis et la mineuse du marronnier d’Inde, pour lesquels on utilise un piège-bocal à entonnoir.

L’achat de pièges et de capsules de phéromones représente une dépense importante : les pièges sont utilisables plusieurs années, et les capsules sont à renouveler après deux mois d’utilisation. Mais la méthode permet d’éviter l’emploi d’insecticides, de moins en moins disponibles et dont les effets secondaires pour l’environnement et la santé des utilisateurs sont indéniables.

Ir. André Sansdrap

Wépion

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