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«Je ne regrette pas d’avoir opté pour les circuits courts vu l’état de la filière bovine»

À la tête d’un troupeau limousin bio depuis 1997, Jean-Yves Jamoye a fait évoluer sa manière de travailler voici 5 ans, en se tournant vers la vente en circuit court. Si ce changement de cap a nécessité d’investir dans un atelier de découpe, il lui permet aujourd’hui d’assurer la rentabilité de la ferme et d’entrevoir l’avenir avec davantage de sérénité. En effet, l’outil accueillera bientôt un de ses fils, qui souhaite intégrer l’exploitation familiale au terme de sa formation de boucher.

Temps de lecture : 8 min

Ses grands-parents étaient agriculteurs… Son papa, expert-comptable de profession, élevait quelques têtes de bétail une fois ses journées terminées et a repris la ferme en 1981… C’est donc tout naturellement qu’en 1995, son graduat d’agronomie en poche depuis un an, Jean-Yves Jamoye lui succède à la tête de l’exploitation familiale.

Durant plusieurs années, l’éleveur fait évoluer la ferme. Il quitte progressivement les anciens bâtiments qu’occupaient ses grands-parents au profit d’une nouvelle structure, plus adaptée à l’élevage d’un troupeau. Petit à petit, il récupère les terres occupées auparavant par sa famille, faisant passer la surface agricole utile de 32 ha à près de 80 ha de prairies, dont une majorité autour de l’exploitation.

Du BBB conventionnel au Limousin bio

En 1997, deux ans à peine après la reprise, la Cense de Bergifa connaît son plus important changement. Jean-Yves décide de se séparer du troupeau Blanc-Bleu Belge qu’élevait son père et se tourne vers la Limousine. « Les raisons qui m’ont poussé à faire ce choix sont multiples. D’une part, je rencontrais des problèmes de gale depuis un certain temps. D’autre part, je travaillais à l’extérieur, ce qui compliquait la gestion des vêlages et césariennes », explique-t-il.

Il constitue alors son troupeau auprès d’un éleveur et d’un marchand de bétail de la région. Aujourd’hui, le cheptel se compose d’environ 120 têtes, dont deux taureaux reproducteurs et 45 vaches allaitantes. « Les jeunes mâles sont engraissés ici tandis que les femelles me permettent de rajeunir le troupeau. Seuls les taureaux reproducteurs proviennent d’autres fermes, pour des raisons évidentes de diversité génétique. »

Deux taureaux sont présents sur la ferme ; l’un a été choisi pour sa taille,  l’autre pour ses caractéristiques viandeuses.
Deux taureaux sont présents sur la ferme ; l’un a été choisi pour sa taille, l’autre pour ses caractéristiques viandeuses. - J.V.

L’éleveur détient deux taureaux car il scinde son cheptel en deux troupeaux. Il s’assure ainsi que toutes les femelles sont gestantes et apporte les éventuelles corrections nécessaires. « Le premier reproducteur a été choisi pour sa taille, pour accroître le gabarit des animaux. Le second apporte le côté viandeux. Je choisis soigneusement les vaches que je lui présente, sur base de leur conformation, pour ne pas compliquer les vêlages. »

Passer d’une race à l’autre a également été un tremplin pour convertir l’exploitation à l’agriculture biologique. Les deux se sont donc faits simultanément, sans que cela ne modifie fortement le travail quotidien. « Je n’étais pas fan des engrais et traitements chimiques… Mon approche avoisinait déjà le bio. Tant qu’à changer de troupeau, autant en profiter et entamer la conversion. »

Engraissement et découpe à la ferme

Depuis, Jean-Yves s’est également tourné vers les circuits courts. « Auparavant, les jeunes taureaux suivaient le circuit traditionnel. Financièrement, ce n’était pas la joie… », se souvient-il. « En 2015, j’ai entièrement revu ma manière de fonctionner et j’ai aménagé mon propre atelier de découpe à la ferme. »

Depuis, tous les jeunes mâles sont engraissés sur place. Leur ration se compose d’herbe à volonté et, en hiver, d’un concentré protéique acheté auprès d’un grossiste. « L’engraissement dure un peu plus longtemps mais la viande présente une jolie texture et une belle couleur. Économiquement, c’est aussi plus intéressant », estime-t-il.

À l’âge de 24-26 mois, les mâles sont abattus à Saint-Vith. Les carcasses, d’un poids de 320-330 kg, reviennent ensuite à la ferme où elles sont préparées. « Un boucher s’occupe de la découpe. S’il n’est pas disponible, mon frère, qui exerce cette profession, prend le relais. » En outre, un des fils de Jean-Yves, Yann, a entamé une formation en alternance de boucher-charcutier après avoir terminé ses humanités agricoles. S’il s’occupe déjà de la préparation de certains morceaux et des charcuteries, à terme l’entièreté des carcasses passera entre ses mains.

Depuis que Jean-Yves travaille ainsi, plus aucun animal n’est vendu sur pied, à l’exception de quelques génisses surnuméraires. Même les vaches plus âgées sont valorisées dans la boucherie.

De multiples points de vente

La commercialisation de la viande se déroule de diverses manières. Premièrement, des colis (préparés ou à la carte) peuvent être commandés directement auprès de l’éleveur, qui se charge de les livrer à domicile.

Les steaks, entrecôtes et autres hamburgers sont également disponibles à l’Épicerie des champs, à Malmedy. « Il s’agit d’une coopérative dans laquelle je suis impliqué aux côtés de quatre autres agriculteurs. Nous y vendons nos productions deux jours par semaines, le vendredi et le samedi, à près de 150 clients. »

L’éleveur approvisionne aussi la coopérative en porcs. « Il s’agit d’animaux bio, fournis par PQA, qui sont découpés et transformés à la ferme. » Son fils en profite d’ailleurs pour vivre sa passion. « Yann prépare toutes les salaisons. Pour ce faire, nous avons construit un fumoir à côté de l’atelier de découpe. » Outre le bœuf et le porc, des volailles « Coq des prés » y sont disponibles.

Un fumoir a été installé à côté de l’atelier  de découpe. Il permet à Yann de préparer  des salaisons, sa passion.
Un fumoir a été installé à côté de l’atelier de découpe. Il permet à Yann de préparer des salaisons, sa passion. - J.V.

Bien que la structure soit amenée à évoluer en juillet prochain, Jean-Yves continuera à s’occuper du département « viande ». « Ce type de magasin permet de créer de la proximité entre les producteurs et les consommateurs. Nous pouvons les conseiller et les orienter dans leurs choix, leur expliquer notre manière de travailler, leur parler des animaux que nous élevons… Mais aussi connaître leur avis sur nos produits. »

De nombreuses pièces de viande sont encore écoulées via le réseau Point Ferme, un outil de distribution permettant aux consommateurs de commander leurs produits fermiers en ligne avant de les retirer en un point déterminé. « C’est un concept qui fonctionne très bien. Je travaille avec le réseau pratiquement depuis sa naissance, avec une pleine satisfaction quant aux quantités écoulées. » Le système est très facile pour l’éleveur qui se limite à fournir la viande demandée. Le personnel de Point Ferme s’occupe ensuite de la répartir selon les commandes réceptionnées.

Depuis peu, il teste aussi la vente au comptoir chez un maraîcher de son village. « Nos produits sont complémentaires. Le samedi, je le rejoins avec mon frigo et commercialise ma viande pendant qu’il vend ses légumes. On verra ce que cela donne dans les semaines qui viennent. »

Et d’ajouter, satisfait : « Je ne regrette pas d’avoir opté pour les circuits courts vu l’état actuel de la filière bovine. Les abattages se font au rythme de la demande et, surtout, je fixe les prix moi-même, en fonction des coûts de production. » Ce retour à un mode de commercialisation plus proche du consommateur lui a aussi permis, voici deux ans, de quitter son emploi à l’extérieur pour se concentrer exclusivement sur l’élevage.

Bienvenue aux vacanciers !

Jean-Yves loue également un gîte de 12 personnes, véritable témoin de l’histoire familiale. « La bâtisse date de 1717. Mes grands-parents l’ont occupée jusqu’en 1965 et mon père y est né. » En 2006, son frère et lui ont eu l’occasion de l’acquérir. « Nous y avons chacun notre domicile et l’arrière a été aménagé pour accueillir les vacanciers. »

Les locations se font via Ardennes-Etape. « Le service est payant mais la plateforme dispose d’une visibilité nettement supérieure à ce que nous pourrions atteindre seuls. Cela permet de remplir le gîte tout au long de l’année. »

Sous l’effet du coronavirus…

L’éleveur, comme d’autres, a subi les effets du coronavirus. Côté gîte, les séjours prévus entre mi-mars et début juin ont été annulés. « Les week-ends de juillet et août sont heureusement réservés. J’attends avec impatience le retour des vacanciers. »

Côté boucherie, l’impact est important. « L’annulation des festivals d’été réduit fortement l’activité des propriétaires de food trucks, parmi lesquels je compte plusieurs clients. Cela me permet généralement d’écouler 8.000 hamburgers environ. Cette année, on en sera bien loin… »

Jean-Yves s’est tourné vers la race Limousine,  notamment pour ses capacités de vêlage et son instinct maternel.
Jean-Yves s’est tourné vers la race Limousine, notamment pour ses capacités de vêlage et son instinct maternel. - J.V.

A contrario, les commandes réalisées via Point Ferme ont augmenté. « Depuis le début de la pandémie, je fournis une carcasse tous les 15 jours, contre une par mois précédemment. » De quoi apporter un peu de réconfort en cette période troublée.

Des projets pour l’avenir

Cette période n’empêche pas Jean-Yves et ses fils de penser au futur. Une fois sa formation terminée, Yann rejoindra la ferme tandis que son frère, Jimmy, s’oriente vers la menuiserie. « Nous réfléchissons déjà au futur, pour que les revenus de la ferme soient suffisants pour deux. »

Pour ce faire, plusieurs projets sont envisagés, mais demandent encore de la réflexion. « Nous pourrions ouvrir un point de vente à la ferme. Vu les gîtes que compte la région, le nombre de clients potentiels est élevé. » Une autre possibilité serait d’acquérir un petit troupeau de vaches laitières, toujours dans la filière bio. « Concrétiser l’un n’empêcherait pas de réaliser l’autre. Nous avons toujours deux ou trois projets en tête pour avancer et développer la Cense de Bergifa. »

J.V.

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