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Pour la création d’une filière à part entière du cheval de trait ardennais

La vitrine rurale européenne que constitue la Foire Agricole et Forestière de Libramont a vu le jour grâce au Cheval de Trait Ardennais. C’est en effet en 1927, à la création de la « Société Le Cheval de Trait Ardennais » que le premier concours de la race fut organisé et avec lui, ce qui devint la Foire agricole de Libramont.

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À ses débuts, la foire rassemblait de nombreux éleveurs et chevaux qui évoluaient dans des rings spacieux. Les concours se succédaient en présence des souverains et en apothéose de la journée, les champions et championnes de la race se voyaient remettre les trophées des mains du roi et de la reine.

Les décennies qui suivirent ont vu le déclin du nombre des élevages avec pour conséquence la réduction des surfaces de ring réservées aux concours dont les emplacements furent toujours plus repoussés en périphérie de la foire. Depuis longtemps, la Couronne a déserté la tribune. Les récompenses octroyées aux propriétaires des chevaux champions ont été revues à la baisse et cette année la crise sanitaire met encore davantage à mal la promotion du Cheval de Trait Ardennais, privant les éleveurs de la mise en valeur de leurs produits aux yeux d’acheteurs potentiels.

Une tradition familiale

Tous les éleveurs interrogés considèrent leur élevage comme étant non rentable. Les élevages constituent des activités annexes issues historiquement, le plus souvent, de traditions familiales. Ceux-ci sont conduits par des passionnés mais ne sont pas lucratifs ; c’est une des raisons de leur diminution et du découragement rapide de beaucoup qui s’y sont essayés.

En témoigne, la diminution de plus de 30 % en 6 ans du nombre de membres au Stud-Book du Cheval de Trait Ardennais (voir Fig.1).

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Il est intéressant de constater par ailleurs qu’au cours de la même période, le nombre total de Chevaux de Trait Ardennais inscrits est globalement resté inchangé, voire même a légèrement augmenté de près de 5 %. Néanmoins, les naissances ainsi que le nombre d’étalons admis à la monte ont parallèlement diminué respectivement de près de 20 % et 27 % (voir Fig. 2).

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Cédric Claude, éleveur à Wavreille commente : « Je ne suis pas étonné car avoir un étalon dans son élevage constitue une charge et il est financièrement difficile de faire pouliner toutes les juments d’un élevage pour un éleveur qui n’a pas d’étalon et qui doit payer les saillies ».

Si le concours national et l’expertise centrale d’attelage attirent les éleveurs de façon relativement constante, force est de constater, à l’inverse, que les inscriptions aux concours de la foire de Libramont et à l’expertise officielle ont sérieusement diminué. Les éleveurs interrogés sur le sujet évoquent le travail et le temps nécessaires pour préparer la participation à ces événements. Il faut mobiliser des ressources, du matériel et des personnes et le retour n’est pas non plus à la hauteur des efforts consentis.

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Les meilleurs produits des élevages sont écoulés dans les marchés tant intérieurs qu’extérieurs au sein d’une clientèle d’éleveurs souhaitant diversifier la génétique de leur propre élevage. Le Grand-Duché de Luxembourg, l’Allemagne et la France sont les pays importateurs les plus fréquents. Voici environ deux ans, la Chine fut également grande amatrice de Traits Ardennais afin d’initier des élevages locaux.

Le débardage au cheval, les travaux urbains modernes et le loisir constituent également des débouchés relatifs. Bien qu’il soit risqué d’estimer des pourcentages, la boucherie semble constituer un segment important pour les chevaux de catégorie inférieure. L’Italie, l’Espagne et certains pays de l’Est étant les plus grands consommateurs ces dernières années.

Certains éleveurs sont agriculteurs ou bénéficient de surfaces foncières issues d’un patrimoine familial. « Beaucoup d’entre eux ont un âge respectable et cesseront probablement leur activité d’éleveur de CTA avec leur activité agricole même si celle-ci est reprise » indique Michel Magerat, de l’Elevage de la Coronne. La jeune génération d’éleveurs se décourage face à la difficulté d’accès à la propriété terrienne qui est limitée, très restrictive et les prix exorbitants des terrains agricoles leur barre définitivement la route de l’élevage. « La difficulté d’avoir des infrastructures d’élevage est encore plus aiguë pour les non-agriculteurs et ce d’autant plus que l’éleveur est jeune » précise Stéphane Lardau, éleveur à Grandhan.

La qualité des élevages

De plus en plus d’éleveurs semblent porter une très grande attention à la propreté des membres des CTA. L’examen radiographique des membres des étalons reproducteurs amenant à une cotation de ce critère est une avancée dans le processus de sélection. « Je sais que cela décourage les utilisateurs de chevaux que d’avoir des animaux aux membres infectés car on n’en vient jamais à bout » évoque Xavier Antoine, qui ajoute : « Un cheval de trait de qualité est un cheval qui répond aux besoins des clients. Ceux-ci sont attentifs à la propreté des membres ; il faut donc persévérer dans la qualité. »

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Sur les hauteurs famennoises de Marenne, Jean Vanvinckenroye ne tarit pas d’éloges sur la qualité de la race. « Je sélectionne non seulement le modèle mais aussi le caractère du cheval. Je n’ai pas beaucoup de difficultés à écouler mes produits ». Ses chevaux, très proches de l’homme sont faciles à débourrer et sont très prisés par les clients de tous horizons tant belges qu’étrangers.

La qualité des élevages de chevaux de trait ardennais est aussi reconnue au-delà de nos frontières. Nous n’en sommes sans doute pas suffisamment conscients et nous péchons sans doute par modestie légendaire. En France, Cyrille Prestat, prestataire de service professionnel en traction chevaline dans les vignobles de Chablis et de la Côte d’Or, privilégie le Trait Ardennais Belge dont il vante les qualités : « C’est un petit cheval trapu, fort, avec une ligne de dos courte qui a une meilleure traction. Ce sont des critères importants lorsqu’on travaille avec des chevaux dans les pentes de vignobles et il est plus facile à manier en bout de ligne ». Et Cyrille ajoute : « Les éleveurs de Trait Ardennais belges prêtent une attention particulière à élever des chevaux bien dans leurs têtes, préparés et avec des membres propres. Un cheval avec de mauvais membres peut constituer un danger lors des prestations de traction ».

Faire d’une race menacée une filière à part entière ?

Issu du milieu rural wallon, le ministre régional de l’Agriculture, Willy Borsus, se dit sensible au maintien et au déploiement de l’élevage du cheval de Trait Ardennais. Sa vision de faire d’une race menacée qu’est le Trait Ardennais, une filière à part entière est ambitieuse.

Pour y parvenir, le ministre évoque diverses mesures concrètes ainsi que des politiques de soutien et d’encouragement. Afin de renforcer le soutien financier des éleveurs, il annonce qu’il défendra auprès de ses collègues, dans le cadre du budget régional 2021, une augmentation de l’ordre de 30 % de la prime de naissance. Cette prime de naissance s’élève aujourd’hui à 125€ et pourrait donc passer à 160€.

Dans le cadre de la pac, M. Borsus s’engage également à défendre une augmentation de la subvention européenne qui soutient le cheval de trait ardennais en tant que race menacée. Celle-ci est actuellement de 200€ par cheval et pourrait aussi, malgré les budgets serrés, se voir augmentée.

Le gouvernement wallon a également reconduit la convention en faveur du Centre Européen du Cheval de Mont-Le-Soie qui, entre autres missions, valorise la race.

Contacté à plusieurs reprises afin de connaître sa politique en la matière, le cabinet de la ministre Tellier en charge de la ruralité n’a pas répondu aux sollicitations. Il eut pourtant été intéressant de savoir si les éleveurs pouvaient compter sur une politique structurelle en la matière. Le mécanisme d’encouragement dans le domaine du « Cheval en Ville » mis en place par le ministre de la ruralité précédent avait permis de déployer à tout le moins l’utilisation du cheval de trait dans les communes rurales. Pareille initiative pourrait à nouveau stimuler le commerce de chevaux de trait en Wallonie et constituer un pilier supplémentaire à l’élevage.

Un étalon et sa descendance.
Un étalon et sa descendance.

Nécessité de mesures structurelles

Il est primordial de maintenir et privilégier la qualité de nos élevages de CTA reconnus au-delà de nos frontières. Maintenir et privilégier la qualité des élevages c’est aussi exclure les tares de la race. La mesure objective de la lymphangyte chronique sur les étalons reproducteurs devrait constituer davantage qu’un classement, un critère d’exclusion d’appartenance à la race. Dans le même sens, des éleveurs évoquent qu’une taille en dehors des critères de la race devrait davantage être sanctionnée afin de préserver les qualités intrinsèques de la race.

Les éleveurs de CTA ne sont pas reconnus comme agriculteurs et ne peuvent bénéficier de soutiens comparables alors qu’ils subissent la plupart du temps les mêmes contraintes ou calamités tels que des événements climatiques, des baisses de marchés ou des crises sanitaires. Cette non-reconnaissance entraîne de surcroît une inégalité d’accès à la terre qui freine et décourage l’élevage du CTA.

Tout en étant reconnaissants pour les soutiens financiers existants, de nombreux éleveurs font une demande criante pour que des mesures structurelles soient mises en place afin d’obtenir le statut d’agriculteur ou du moins de pouvoir bénéficier des mêmes avantages car ils estiment subir les mêmes aléas sans, par contre, obtenir les mêmes soutiens. La jeune génération se verrait également encouragée à poursuivre et initier de nouveaux élevages.

Le Cheval de Trait Ardennais, menacé d’extinction, pourrait ainsi devenir une filière à part entière plutôt que de finir, à terme, sur la table d’autopsie.

Valère Marchand

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