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A la Fermière de Méan: quand la solidarité entre artisans crée des complémentarités

Les deux Marc (Ruwet et Lecomte), de la coopérative « la Fermière de Méan », sont deux visages bien connus de la Foire de Libramont. Au four et au moulin, notamment à l’Ardenne Joyeuse où leur tartiflette connaît toujours un franc succès malgré des chaleurs caniculaires… Leur implication n’y a d’égal que leurs produits d’exceptions. Cette année, au vu de la crise due au Covid-19, ils ont dû adapter leur fonctionnement. Leur expérience leur a permis une belle résilience. Rencontre.

Temps de lecture : 9 min

L a Fermière de Méan est née au début des années 80, sous l’impulsion d’un autre Marc (Vanoverschelde), aujourd’hui porteur du projet de la Ferme du Hayon, à Somethonne. À cette époque, il veut diversifier l’exploitation familiale. Il prend notamment le parti de reprendre des recettes de grand-mère et de transformer une partie du lait en beurre, en crau stoffe (boulette de gras) et dans un fromage de type St Paulin.

Une coopérative de commercialisation…

Pour commercialiser sa production, il se fait une place sur le marché de Namur. Malgré la petite production, il doit faire face à une grosse demande. Il crée alors une coopérative de commercialisation en 1986 qui inclut les producteurs de la région qui voulaient se diversifier. La Fermière de Méan est une petite structure, son capital initial n’étant que de 30.000 FB.

La machine se met en marche rapidement. Andenne, Liège… des marchés s’ajoutent à leur tournée, du personnel est engagé… Sur les quatre premières années, le nombre de coopérateurs passe de six à 30.

Marc Lecomte à la réalisation de la tartiflette qui connaît toujours un franc succès malgré des chaleurs caniculaires, lors de la Foire de Libramont
Marc Lecomte à la réalisation de la tartiflette qui connaît toujours un franc succès malgré des chaleurs caniculaires, lors de la Foire de Libramont - J-P Ruelle

… et de production

Leur produit phare ? Le fromage ! La gamme s’élargit et Marc remet sa production à la coopérative. Nous sommes en 1990 et l’entreprise évolue en une structure de production et de commercialisation.

Marc Lecomte : « C’est un cycle qui se répète. La coopérative livrait à l’époque sa production à des groupes de personnes qui s’occupaient de se les partager. Si aujourd’hui, on voit la dynamique des groupements d’achats s’amplifier, il y a trente ans, leurs mises en place étaient encore très marginales. L’outil Internet n’existait alors pas, or on connaît aujourd’hui sa portée ! »

La demande augmentant, la Fermière de Méan devait pouvoir la suivre, d’où la nécessité de se professionnaliser, d’investir dans du matériel tout en respectant les normes. La coopérative prend la taille d’une PME et des subsides liés au plan de développement en zone rurale (Zone 5b) viennent s’y greffer. Deux ans plus tard, la croissance est toujours rapide avec la mise au point de nouveaux produits. C’est à cette époque que Marc Ruwet s’engage à temps plein dans l’aventure.

En 1994, les difficultés commencent à poindre au niveau de la subsidiation. La fromagerie est encore trop petite et les délais de paiement sont trop lents par rapport aux besoins de l’entreprise.

Un directeur est engagé sur demande du conseil d’administration pour remettre de l’ordre dans le fonctionnement. « Nous étions devenus un bon client des subsides. Le modèle de développement ne correspondait plus au modèle de l’initiateur qui a ensuite quitté le projet.

Trois ans plus tard, Marc Lecomte arrive en tant que directeur de la société. À cette époque, tout le monde avait encore un statut de coopérateur et de salarié.

Un nouveau départ

La dépendance aux subsides induit un équilibre artificiel dans le projet, s’ensuivent des problèmes d’organisation et de trésorerie. La coopérative ne veut plus dépendre des subsides. Nous sommes en 2003, et l’AG décide de changer d’orientation : soit la coopérative est reprise en main par des travailleurs sous un autre statut, soit la fromagerie est remise à un tiers.

Les deux Marc, accompagnés de Philippe Herman, aujourd’hui pensionné, s’investissent davantage dans le projet et deviennent indépendants associés actifs. Les statuts de la coopérative changent. Ils entrent dans le système 1 part =1 voie. Fini la course aux subsides. Ils recapitalisent la structure et détiennent à trois la majorité des parts (60 %). Les 36 autres coopérateurs (agriculteurs et producteurs) détiennent le reste des parts.

Marc Lecomte : « Nous avons diminué la production et repris sur un autre mode de fonctionnement. Pendant deux ans, nous n’étions que trois. » La coopérative revient alors à ses fondamentaux. Ils transforment alors quelque 110.000 l de lait cru. En 2005, ils engagent leur premier temps plein, le second arrivera l’année suivante. C’est à partir de là que la coopérative connaît une croissance de 8 à 10 % de ses volumes chaque année.

« Nous avons redressé la barre jusqu’en 2019, année durant laquelle on a encore progressé et engagé un troisième associé. » En 2019, ils ont valorisé près de 260.000 l de lait cru collectés – 160.000 l de lait de vache et 100.000 de lait de chèvre. Ce dernier restait marginal il y a vingt ans mais sa transformation s’est beaucoup développée ces 10 dernières années », constate Marc.

La gamme de fromages de la Fermière de Méan
La gamme de fromages de la Fermière de Méan - J-P Ruelle

Trouver sa place

Marc Ruwet se souvient : « Nous avons avancé par essais-erreurs, et c’est ce qui nous a permis de nous professionnaliser. En fonction des demandes, on a pu améliorer et modifier les recettes de nos fromages. La communication avec nos clients a réellement fait évoluer la production. Fromages frais (comme les maquées à l’ancienne), à pâtes molles et croûtes lavées (le Brusy, le Charmoix, le Cabricharme), à pâtes pressées (la tomme de chèvre, le Petit Paradis, Li Vi Cinsy)… le choix est varié. »

« Pour la vente au détail, nous pouvons en outre compter sur un réseau de producteurs avec qui nous travaillons depuis le début. Nous avons grandi ensemble et nous leur sommes fidèles. Nous avons 350 références de près de 25 producteurs. Nous développons le réseau de distribution de leurs productions, et nous leur donnons accès à des marchés auxquels ils n’auraient autrement pas accès, comme ceux de Namur et de Bruxelles », enchérit son collègue.

Il poursuit : « Nous voulons également être une plateforme de références. Il nous arrive de rencontrer des producteurs, de leur mettre le pied à l’étrier et de les lancer. On a ainsi une gamme structurée et complémentaire. Nous avons une bonne connaissance de notre produit d’autant que nous nous adressons à une clientèle de niche. Celle-ci a des demandes précises et réfléchies. Au niveau de notre stock, il y a une bonne rotation et donc de la fraîcheur dans notre produit. »

« Une partie de notre production s’exporte par le biais de grossistes. En 2015, la coopérative a d’ailleurs eu la surprise de voir son Cabricharme, un type de reblochon au lait de chèvre, décrocher l’argent lors d’un concours de produits alimentaires à New-York. »

Une partie de la solution ?

« Parfois, on entend que notre infrastructure peut être une solution aux productions industrielles. Mais relativisons ! Bien que nous soyons une très petite structure qui génère un emploi par 100.000 l de lait transformé – dans l’industrie, on parle d’un emploi généré par million de litres transformé – nous ne nous opposons en aucune façon aux autres laiteries. Nous nous inscrivons davantage dans un marché de niche », commente M. Ruwet.

L’autre Marc sourit : « Si nous ne valorisons pas de grands volumes (au maximum 2.000 l/jour, 6.000 l/semaine), la part que l’on achète à nos producteurs n’est toutefois pas négligeable. Le prix payé au producteur est lié à ses coûts de production. Ce petit plus leur confère à terme davantage de stabilité, de résilience. Bien que nous soyons une petite structure pour nos producteurs, nous éprouvons l’un pour l’autre un certain respect, une reconnaissance mutuelle. Nous avons d’ailleurs toujours été livrés, jamais négligé ».

Mais pour ce faire, la qualité microbiologique et l’homogénéité du lait doivent être au top ! « C’est primordial pour la stabilité de nos productions. Notre objectif est de livrer au mieux les clients », enchérit-il.

Frappé de plein fouet par le coronavirus

Avec les années nous avons atteint notre vitesse de croisière. Nous sommes relativement stables au niveau des employés, de l’expérience. Les locaux actuels ne nous permettent pas de grandir outre mesure et c’est aussi une volonté de rester artisan. Nous aimons ce que nous faisons, mais c’est un métier exigeant. Nous ne voulons pas devenir des gestionnaires. Nous avons optimisé la structure pour garder la qualité de nos produits constante. »

Cette année, nous avions l’objectif de transformer 300.000 l mais la crise du Covid-19 est passée par là. Jusqu’au 18 mars, nous pensions pouvoir continuer notre activité sur les marchés en tant que commerce de première nécessité… Du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés sans chiffre d’affaires pour les marchés. Avec seulement 10 à 15 % du chiffre habituel, il a fallu réinventer le système et rapidement !

Les livraisons étaient la seule solution. Sur base de quelques contacts, et en utilisant les réseaux sociaux, nous avons pu remonter la filière. Nous proposions des livraisons en direct. En trois à quatre semaines, nous sommes parvenus à atteindre 60 % de notre chiffre pour la vente au détail. Cette clientèle nous a clairement permis de survivre. Notre richesse au niveau commercial nous a permis de tenir la route ! Quand une de nos activités faiblit, une autre prend le pas. Nos produits sont distribués assez largement. Nous n’avons jamais négligé nos clients, ce qui nous permet une certaine résilience. »

Marc Ruwet : Cela n’a pas été simple à gérer. Production mise à l’arrêt, anticipation du redémarrage… la gestion des stocks n’a pas été simple. D’autant que le Covid-19 a induit des changements dans nos productions. On le voit dans les produits vendus. La demande en produits s’est déplacée vers des fromages plus « basiques ». Nous avons perdu des parts dans le créneau des produits dits de « dégustation ». Nous devons en tenir compte. »

Globalement, en 2020 nous pensons perdre 40 % de notre chiffre d’affaires par rapport à l’année dernière. Sans Foire de Libramont et des autres événements d’envergure, les 10 à 15 % du chiffre réalisé annuellement dans l’événementiel tomberont à zéro.

Pour Marc Ruwet, la crise du Covid-19 n’a pas été facile à gérer. «Production mise à l'arrêt, anticipation du redémarrage... la gestion des stocks n'a pas été simple. D'autant que la crise a induit des changements dans nos productions. On le voit dans les produits vendus».
Pour Marc Ruwet, la crise du Covid-19 n’a pas été facile à gérer. «Production mise à l'arrêt, anticipation du redémarrage... la gestion des stocks n'a pas été simple. D'autant que la crise a induit des changements dans nos productions. On le voit dans les produits vendus». - P-Y L.

Une structure plus forte après la crise ?

Nous avons pu reprendre les marchés depuis le 8 mai. Nous avons fait transformer le camion. La prime de la région wallonne n’a finalement couvert que les frais supplémentaires par rapport à notre nouvelle activité.

Malgré un possible retour à la normal, il a été décidé de maintenir également le système mis en place durant la crise. On a en effet pu toucher des clients qui ne viendraient pas au marché. Et Ceux-ci nous ont permis de survivre. Et comme nous ne savons pas de quoi demain sera fait…

La crise nous aura finalement permis de consolider notre base de client avec qui on peut travailler. Tout le monde à subit un choc et tout le monde veut continuer ensemble. Autre point positif : de véritables liens de solidarité se sont tissés pour aboutir sur davantage de complémentarités entre artisans. Des synergies se créent et nous nous sentons renforcés. Nous sommes persuadés que si cette épreuve était survenue il y a 20 ans, nous ne serions plus là. Les mesures mises en place par le gou vernement, et notre expérience nous ont permis de rebondir !

Notre activité, comme elle fonctionne actuellement, est rentable. Tous les maillons de la filière s’y retrouvent. Nous sommes persuadés que ce type de coopérative peut essaimer. Bien sûr, en apprenant de nos erreurs mais il y a clairement de la place pour d’autres projets, tant les types de production peuvent être différents. Nous n’avons pas peur de la concurrence, au contraire, elle peut consolider notre modèle et renforcer ce type de projets.

P-Y L.

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