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Céréales d’hiver: une saison 2019-2020 à nouveau très particulière

Un hiver extrêmement doux, une longue sécheresse printanière, un ensoleillement record et des températures estivales proches de 40ºC… avec forcément un impact sur le déroulement de cette dernière campagne céréalière.

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Pour chacun d’entre nous, l’année 2020 restera bien évidemment liée à la Covid-19, mais elle pourrait bien être aussi celle de la prise de conscience du dérèglement climatique pour de nombreux citoyens. Les événements météorologiques « exceptionnels » se sont à nouveau multipliés. Au niveau mondial, entre les 34ºC observés au nord du Cercle polaire (fin juin) et les 8 millions d’ha de forêt australienne disparus en fumée en janvier dernier, on ne compte plus les avatars alarmants et inquiétants de notre climat.

À l’échelle de notre pays, le dérèglement apparaît tout aussi évident, avec un cortège d’événements sortant, une nouvelle fois, de la « normalité ».

Semis « entre les gouttes »

Après un mois de septembre sec, nous avons vécu, pour la première fois depuis 2012, un mois d’octobre particulièrement humide, avec une pluviométrie supérieure à 100 l/m². L'implantation des céréales s’est donc faite entre les gouttes, durant les courtes fenêtres de beau temps.

En novembre, la pluie a continué de tomber de manière régulière, perturbant le bon déroulement des arrachages de pommes de terre et de betteraves, ce qui a souvent affecté la structure des terres.

D’une manière générale, les premières levées d’orge et de froment se sont déroulées dans de bonnes conditions. Les températures du mois de novembre, présentant des valeurs légèrement inférieures à la normale, ont permis d’éviter les pullulations d’insectes d’automne comme les mouches des semis, les pucerons ou les cicadelles.

Vu l’absence de fusariose ces dernières années, la qualité des semences même sans fongicide classique était généralement excellente. Néanmoins, la présence de lots de semences cariées n’est plus du tout exceptionnelle. Cette menace concerne notamment le secteur bio et éventuellement les semences fermières ; elle doit être prise très au sérieux.

Extrême douceur hivernale

Le temps humide s’est prolongé durant tout l’hiver, jusqu’à la fin mars. Si les levées tardives ont dans un premier temps été régulières, par la suite, l’eau stagnante a bloqué le développement des plantules, voire par endroits les a asphyxiées, laissant dans les champs de larges zones inoccupées. Vu les dates de semis souvent plus tardives et les conditions de croissance défavorables, le tallage a été moindre que lors des années précédentes.

L’hiver s’est avéré très doux et le minimum atteint à Gembloux fut seulement de -3,8ºC le 21 janvier. C’est donc une fois de plus une saison sans réel hiver qui se termine.

De nombreux dictons vantent les bienfaits du froid hivernal : « Décembre froid et neigeux amène été riche et heureux » ou « Gelée de janvier, promet du bon blé ». Ils reposent sur la sagesse populaire et l’observation : un hiver sans froid favorise le développement de certains insectes ravageurs et de champignons pathogènes. De plus, il ne permet pas aux sols de se restructurer.

Cette année, pourtant, les rendements des céréales d’hiver ont souvent été bons. Les raisons qui ont fait mentir ces dictons sont multiples et méritent quelques explications :

– si les pucerons ont survécu à l’hiver, celui-ci ne leur a pas été aussi bénéfique qu’on pourrait le croire. Certes, les adultes ne sont pas morts de froid, mais l’humidité et les pluies récurrentes semblent les avoir affectés en favorisant le développement de champignons entomopathogènes et de maladies… On pourrait dire que les pucerons ont « attrapé la grippe » (à moins que ce ne soit déjà le coronavirus !). Toujours est-il, qu’à la fin de l’hiver, les pucerons étaient peu nombreux mais la proportion de virulifères était néanmoins élevée ;

– les maladies fongiques étaient bien présentes à la sortie de l’hiver, mais les semaines de vent sec venu du nord-est ont fortement freiné leur développement. Les problèmes de structure et d’eau ont affecté le tallage ; toutefois, si ce dernier intervient significativement dans l’élaboration du rendement, le nombre réduit d’épis a été largement compensé par le nombre de grains par épi et la taille de ces derniers.

D’une manière générale, les dictons datent d’une époque durant laquelle la sole de céréales de printemps était bien plus importante qu’aujourd’hui. Or du côté des froments, orges et avoines de printemps, les résultats de cette année ne sont pas bons.

Longue sécheresse printanière

Le 21 mars, la période de pluie a pris fin laissant place à une longue période de sécheresse. Les pluies de l’hiver ont permis de reconstituer des réserves. De ce fait, dans les sols profonds de Hesbaye, les céréales d’hiver n’ont que très rarement souffert de sécheresse.

Pour les céréales de printemps, il a fallu attendre la fin du mois de mars pour commencer à implanter les cultures. On est dès lors bien loin d’un des dictons les plus vérifiés : « Avoine de février remplit les greniers. » La sécheresse et les pucerons ont fait le reste. En effet, en avril les populations de pucerons s’étaient reconstituées et le virus de la jaunisse s’est répandu sur l’ensemble du territoire, affectant les plantes n’ayant pas encore atteint le stade « redressement » c’est-à-dire les céréales de printemps et… les épeautres ardennais. De nombreux signalements de dernières feuilles de couleur rouge violacé en témoignent. La présence de la jaunisse dans ces régions est un fait nouveau également lié à la hausse des températures.

En avril, l’hiver a brutalement laissé place à l’été avec 15 journées durant lesquelles les températures ont dépassé les 20ºC, tandis que la luminosité abondait. Par conséquent, le nombre de grains par épi, caractère essentiel du rendement et qui s’élabore durant le redressement, a atteint des records. À la récolte, il n’était pas rare d’observer des épis de 23 étages atteignant 12 cm.

Maladies cryptogamiques et ravageurs

Les vents desséchants provenant du nord et de l’est ont enrayé le développement des principales maladies fongiques. Omniprésente durant les dernières décennies, la septoriose semble chaque année devenir une maladie de plus en plus « rare » ou alors cantonnée aux zones les plus maritimes de notre pays.

Les rouilles, elles, sont nettement moins dépendantes de l’humidité. Aussi, à la faveur des températures élevées de l’hiver et du printemps, la race de rouille jaune « Warrior 1 », absente chez nous depuis 2016 semble avoir refait son apparition. Cependant, durant cette saison, son développement est resté limité.

Venons-en aux insectes. Les printemps chauds et secs leur sont très favorables. Pucerons, doryphores, altises… Chaque culture a dû faire face à une recrudescence de ces ravageurs habituels. À côté de ceux-ci, quelques nouveaux opportunistes climatiques ont été observés.

Pour les céréales, on retiendra, cette année, le «  Crambus des chaumes », papillon dont la chenille mine les tiges de froments. Le symptôme le plus visible en fin d’épiaison s’est manifesté par la présence d’épis blancs, dont l’extrémité inférieure reste bloquée dans la gaine. Jusqu’alors, jamais rapportées, ces observations ont été effectuées indépendamment dans plusieurs communes de Hesbaye et du Condroz. Le crambus des chaumes est un cousin des pyrales auxquelles le maïs des régions chaudes de Hesbaye est désormais régulièrement confronté.

En mai, le nombre d’heures d’ensoleillement a, pour la première fois, dépassé les 300 heures ! La photosynthèse en a largement bénéficié, avec un remarquable développement des épis et des grains. La température moyenne mensuelle à Gembloux fut de 12,6ºC, légèrement inférieure à la normale. Ce mois a pourtant été chaud, avec des températures frôlant parfois les 30ºC, mais cette moyenne comprend également une période très froide comptant 7 jours avec des minima inférieurs à 3ºC.

Il s’agit entre autres des trois jours des « Saints de Glace  » (12, 13 et 14 mai) qui ont bien porté leur nom. En Hainaut et Hesbaye, les escourgeons étaient alors au stade « floraison-début remplissage » En Ardenne, où le thermomètre est passé sous zéro, les épeautres et triticales étaient, eux, au stade « début gonflement  » (= méiose pollinique). Ces deux stades, bien que différents, sont sensibles au froid. Des dégâts de gel sur épis et des problèmes de stérilité en ont souvent résulté.

Pour revenir à l’escourgeon, les nouvelles variétés porteuses des gènes de résistance à la jaunisse et à la mosaïque virale semblent bien plus sensibles à ce problème que les variétés plus classiques. Dans le même ordre d’idée, des cultures peu répandues dans nos régions ont démontré de très bons résultats face à ces froids tardifs. Il s’agit notamment des orges d’hiver à deux rangs et des seigles hybrides.

Moissons sans réel souci

La floraison du froment a eu lieu fin mai, début juin. Les températures étaient élevées et la pluie n’est arrivée que plus tard. La fusariose a, donc, tout comme ces trois dernières saisons, été évitée.

À la mi-juin, température et ensoleillement sont revenus à des valeurs normales tandis que quelques pluies ont relancé la végétation des escourgeons alors sénescente., d’où une hétérogénéité de la maturité rendant plus complexe leur moisson. Une récolte caractérisée aussi par de gros grains.

Pour les froments, contrairement aux années antérieures, aucune température « échaudante » (>32ºC) n’a été à déplorer avant la fin juillet. Les pluies de la mi-juin ont remobilisé de l’azote permettant aux variétés d’exprimer leur plein potentiel, tout en maintenant une bonne teneur en protéines. Les récoltes ont commencé vers le 19 juillet et ont couru jusqu’au 15 août. Les dates de maturité ont été très différentes selon les régions, mais dans l’ensemble les moissons n’ont pas posé de problème.

Des rendements supérieurs à 14 t/ha ont été enregistrés dans les essais, sur microparcelles,. Il n’en est malheureusement pas de même pour les terres situées sur sol desséchant ou dont la structure a été altérée par certains précédents culturaux et leurs effets désastreux sur le sol.

Le moment de réflechir à l’assolement

Il y a des risques qu’à l’avenir les sécheresses printanières et estivales ne deviennent la norme. Entre 2000 et 2020, une régression linéaire basée sur les données de la station météo IRM d’Ernage montre une diminution des précipitations sur 20 ans de 46 l/m² pour les printemps et de 82 l/m² pour les étés soit 2.3 l/m² et 4.1 l/m² de pluie en moins chaque année, respectivement pour les saisons de printemps et d’été. L’agriculture doit en tenir compte et continuer d’évoluer et de se renouveler.

Contrairement aux froments et orges d’hiver, les épeautres marquent le pas dans certaines de nos régions, sous le coup des perturbations climatiques qui se répètent.
Contrairement aux froments et orges d’hiver, les épeautres marquent le pas dans certaines de nos régions, sous le coup des perturbations climatiques qui se répètent. - M. de N.

Depuis quelques années, dans plusieurs régions, les épeautres marquent le pas. Cultivée dans les régions plus rudes, la culture d’épeautre souffre plus que les autres céréales de ces perturbations climatiques. À l’avenir, des variétés plus précoces seront à développer pour limiter les effets de ces sécheresses. Pour l’instant, les froments et orges d’hiver tiennent le coup. Alors qu’au sud de Paris, les rendements sont catastrophiques, chez nous les rendements continuent de croître. Le maintien voire l’augmentation des précipitations hivernales (+ 3.6 l/m² par année sur les 20 dernières années à Gembloux) est une bonne nouvelle. De nouvelles opportunités se dessinent. Des cultures jusqu’alors inadaptées à notre région semblent promises à un bel avenir.

L’agriculture wallonne a autant à gagner qu’à perdre dans l’évolution du climat. À l’échelle mondiale ou européenne, elle fait même partie des régions privilégiées. À nous de faire en sorte de prendre le bon virage, d’effectuer les bons choix.

D’après Guillaume Jacquemin,

Cra-w, dans Le Livre Blanc, septembre 2020

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