Le blé dur, une opportunité crédible dans la diversification de nos grandes cultures?

« Le blé dur d’un vert plus pâle (à droite) se conduit de manière très similaire à un froment panifiable (à gauche). Photo réalisée via le drone de l’Irbab 4 juin 2019 à Acosse.
« Le blé dur d’un vert plus pâle (à droite) se conduit de manière très similaire à un froment panifiable (à gauche). Photo réalisée via le drone de l’Irbab 4 juin 2019 à Acosse.

Peu d’entre nous connaissent le blé dur (Triticum turgidum L. subsp. durum) autrement que sous la forme de pâtes alimentaires ou de semoule dans toute leur diversité ; et c’est bien naturel, cette céréale n’ayant jusqu’ici jamais été cultivée dans nos campagnes.

Le blé dur est une céréale à paille cultivée principalement dans les régions chaudes et sèches du pourtour méditerranéen dont l’Europe du sud (Italie, France, Espagne, Grèce…). Ce blé est cependant également cultivé dans des régions plus septentrionales telles que le Canada ou la Russie. La mouture de ses grains livre une semoule qui est la matière première de la fabrication des pâtes et du couscous.

Son nom (Triticum… durum) est lié à la dureté de son grain, supérieure à celle du « blé tendre (Triticum aestivum) », notre froment bien connu !

Quelque 2,2 millions ha dans l’UE en 2019

En 2019, le premier producteur mondial de blé dur était le Canada avec 5 millions de tonnes (1,9 million d’ha) produites en 2019, suivi de l’Italie (4 Mt et 1,25 Mha), la Turquie (3,6 Mt) et du Mexique (2 Mt), selon les données l’expert des marchés agricoles Agritel.

Notre voisin français est le 2e producteur européen, avec 250.000 ha (- 13 % par rapport à 2018) et une production de 1,55 Mt en 2019, pour un rendement moyen de 6,2 t/ha. Les régions principales de production sont le Centre-Val de Loire, l’Occitanie, la Nouvelle Aquitaine, les pays de la Loire et Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Les variétés de blé dur possèdent des barbes disposées sur les côtés de l’épi. Plus précoce que le froment, il est mieux armé pour affronter les conditions de sécheresse.
Les variétés de blé dur possèdent des barbes disposées sur les côtés de l’épi. Plus précoce que le froment, il est mieux armé pour affronter les conditions de sécheresse. - Guillaume Jacquemin

Déjà 2 années d’essais par le Cra-w en Wallonie…

Pour la deuxième saison successive, le Centre wallon de recherches agronomiques a mis en place des essais exploratoires pour déterminer si le blé dur pouvait trouver sa place dans l’assolement en Wallonie. La raréfaction des hivers froids et la multiplicité des sécheresses printanières et estivales, sont autant de paramètres qui ont motivé le lancement de recherches d’espèces mieux adaptées.

Le blé dur est une culture aussi bien d’hiver que de printemps. De nombreuses variétés ont un caractère alternatif. Si le sud de la France et l’Italie privilégient des variétés à semer à l’automne, les Autrichiens et les Allemands optent plus généralement pour des semis de printemps. C’est la rigueur de l’hiver qui dicte ses règles. « Cela explique notamment pourquoi, nous avons, depuis octobre 2018, implanté des essais tant à l’automne qu’au printemps », précisent les expérimentateurs.

S a conduite culturale le rapproche du blé tendre panifiable

Concrètement, les essais d’hiver ont été implantés à Acosse (entre Huy et Hannut) et ceux de printemps à Gembloux.

Le tableau 1 reprend les différentes phytotechnies mises en œuvre. La conduite culturale est très proche de celle d’un blé tendre panifiable (teneur élevée en protéines).

Quelques différences notables cependant : la faible capacité de tallage du blé dur impose une densité de semis supérieure à celle du froment. D’où l’option pour 350 grains/m². La date de semis devrait en moyenne être plus tardive car le blé dur se redresse précocement en sortie d’hiver et encourt donc davantage de risque de gel au stade « épi 1 cm ».

La fertilisation azotée ne doit pas nécessairement être renforcée par rapport au froment, mais cet élément doit être disponible en fin de cycle (floraison-remplissage) car les grains doivent atteindre 14 % de protéines.

Cet été, les premiers blés durs ont été récoltés dès le 13 juillet !
Cet été, les premiers blés durs ont été récoltés dès le 13 juillet !

… et vingt-quatre variétés testées au total

Le t ableau 2 présente les 24 variétés de blé dur évaluées en 2019 et en 2020. Lors de la première année, le choix s’est limité à des variétés originaires de la France et l’Allemagne, mais pour les semis 2019, la gamme s’est étoffée avec des origines italiennes et autrichiennes.

Concernant les variétés témoins, le choix s’est porté sur Wintergold, Casteldoux et Anvergur pour les deux essais d’hiver, et sur Duralis, Casteldoux et Anvergur pour les essais de printemps ; Wintergold est en effet un des rares blés durs typés « hiver ».

Et que disent les rendements ?

Commençons par les essais semés à l’ automne ( tableau 3 ). Au cours des deux saisons culturales, les rendements maximaux obtenus dans l’essai semé à Acosse ont atteint voire dépassé les 10 tonnes/ha. Les moyennes des témoins s’élevaient respectivement à 9,5 et 10 t/ha en 2019 et 2020. Par ailleurs, on observe de profondes différences entre les variétés testées, et les origines françaises sont celles qui ont, à ce jour, procuré les meilleurs rendements.

Les rendements de ces mêmes variét és cultivées sans protection fongicide sont présentés à titre indicatif car le nombre de répétitions n’est pas suffisant pour tirer des conclusions précises. Les résultats permettent cependant de mesurer l’écart entre une variété très sensible à la rouille jaune comme Relief et une variété plus résistante comme Haris tide .

D es rendements moindres pour les semis de printemps

Les essais « de printemps » (tableau 4) affichent sans surprise des performances inférieures à celles des semis d’hiver… En 2019, elles restaient cependant appréciables avec une moyenne de 8,5 t/ha, pour les témoins, en retrait d’1 t/ha seulement par rapport à l’essai semé 4 mois plus tôt.

Cette année, ce fut nettement moins bon (les rendements n’ont pas dépassé 7 t/ha), avec des circonstances atténuantes : les terres n’ont été accessibles qu’à la fin mars, soit un mois plus tard qu’en 2019. La sécheresse printanière et les pucerons vecteurs de la jaunisse nanisante de l’orge ont fait le reste.

Un autre danger encouru par les semis de printemps – surtout s’ils sont précoces – est… l’appétence des graines de blé dur pour les pigeons et corvidés, dont le nombre croissant rend de plus en plus périlleux la réussite de ces semis.

Les expérimentateurs du Cra-w remarquent en outre que, cette année 2020, « les traitements phytosanitaires ont souvent pénalisé les rendements de nombreux essais. Les plantes déjà stressées par la sécheresse n’ont pas supporté la phytotoxicité des produits (régulateurs, fongicides). Un constat visible pour tous nos essais d’avoine, froment et blé dur de printemps, mais également pour certains essais d’hiver en triticale et d’épeautre sur sols superficiels ».

Et le froid, un vrai danger ?

Une des plus grandes craintes concernant le possible développement du blé dur dans nos régions serait de constater que les variétés ne supportent pas le froid. On sait que celui-ci est plus sensible que le froment, mais les tolérances variétales semblent très diverses. Les deux derniers hivers n’ont pas permis de juger de ce critère, mais quelques observations ont cependant pu être réalisées (tableau 5, cotation de 1 à 9, où 9 indique la plus grande tolérance).

On a connu globalement trois périodes froides pour les céréales en cette année 2020 : fin janvier, fin mars et début mai. La plus critique est la dernière, qui a contrarié la période d’épiaison. Les variétés les plus précoces – typiquement d’origine italienne – ont manifesté des problèmes de stérilité. Il n’était pas rare d’observer des épis sur lesquels la moitié des grains manquaient (voir photo ci-desous). Pour les autres variétés, plus tardives, les dégâts du froid ont concerné des parties d’épis ; ils étaient très visuels, mais leur impact sur le rendement était bien moindre que pour les stérilités développées par les variétés précoces.

La froidure survenue au début mai a pu contrarier la fertilité des variétés les plus précoces avec des problèmes de stérilité (absence marquante de grians sur des épis).
La froidure survenue au début mai a pu contrarier la fertilité des variétés les plus précoces avec des problèmes de stérilité (absence marquante de grians sur des épis).

Surveiller la rouille jaune !

Au cours des quatre essais entrepris depuis octobre 2018, aucun problème de verse n’a été observé : les blés durs sont plus courts que les froments et leur tallage est réduit. Il existe cependant d’importants écarts entre les variétés que le tableau 6 permet d’apprécier.

Concernant les maladies fongiques (tableau 7, les cotations sont exprimées sur une échelle de 1 à 9. La cote de 9 étant la plus favorable), la plus dommageable est, sans conteste, la rouille jaune  : les variétés Relief et Fulgur sont les plus sensibles suivies de Miradoux aussi bien au niveau des feuilles que des épis. En effet, en blé dur – plus qu’en froment – la rouille non contrôlée a tendance à progresser vers les épis. Seule Haristide s’est révélée, cette année, totalement indemne. C’est également la seule dont le rendement sans protection fongicide a dépassé les 10 t/ha.

La septoriose ne s’est pas manifestée en 2020, une faible pression en 2019 a cependant permis quelques observations. Quant à l’oïdium, il est apparu plus fréquemment sur les variétés italiennes.

Technologie : des critères plus nombreux qu’en blé tendre !

Les critères technologiques permettant d’évaluer la qualité des grains et leur aptitude à la transformation en pâtes alimentaires, sont nombreux. Les plus importants sont présentés dans le tableau 8.

Les poids de l’hectolitre sont généralement supérieurs à ceux des froments. Dans les essais, toutes les variétés obtiennent des valeurs comprises entre 79 et 84 kg/hl. La saison dernière, Miradoux et Toscadoux sont « montées » jusqu’à 86 kg/hl.

Les teneurs en protéines doivent être supérieures à 14 %. « La fumure appliquée n’a pas été optimale, la première saison. Cette année, nous avons rectifié le tir et les valeurs obtenues sont bien supérieures, dans une fourchette de 13,8 à 20,0 %. Elles sont logiquement inversement proportionnelles aux rendements obtenus, avec une moyenne de 15,9 % pour le semis d’hiver et de 17,3 % pour les semis de printemps (données non présentées).

Tout comme en froment, le nombre de chute d’Hagberg d’une variété de blé dur renseigne sur son activité amylasique et donc sur sa propension à germer sur pied. « Les faibles valeurs obtenues pour les variétés italiennes indiquent qu’elles ont été récoltées en sur-maturité. Il aurait fallu les tester dans un essai distinct récoltable une semaine plus tôt que les autres variétés », observent les expérimentateurs.

Taux de mitadinage

À maturité, les grains de blé dur sont vitreux et… durs. À la suite d’une perturbation de l’agencement des protéines, certains grains peuvent ne pas atteindre ce stade vitreux et devenir farineux. Coupés en deux, ils présentent une couleur blanche et on les dit « mitadinés ». Le mitadinage est un caractère essentiel de la qualité des blés durs. L’industrie accepte jusqu’à 30 % de grains mitadinés. Ce caractère dépend de la teneur en protéines et des conditions météorologiques durant la floraison et le remplissage. Au cours de la seconde saison, les taux obtenus ont été bien meilleurs que lors du premier essai.

La recherche a encore du travail

Les recherches exploratoires entreprises depuis l’automne 2018 sont riches d’enseignements mais elles ne sont pas évidemment suffisantes pour garantir que la culture du blé dur pourra, chaque année, se dérouler sans problème.

Les variétés européennes offrent une très large diversité selon leur origine.
Les variétés européennes offrent une très large diversité selon leur origine. - G. Jacquemin

Des hivers avec des périodes très froides risquent encore de se produire, de même que des mois de juin humides. La culture ne sera jamais sans risque.

Mais existe-t-il une culture sans risque ?

Si le blé dur gèle en hiver, un ressemis est possible au printemps. Et si la qualité des grains n’est pas suffisante pour la semoule, leur forte teneur en protéines reste un atout pour d’autres débouchés dont l’alimentation animale.

Poursuivre les essais

Pour a recherche agronomique, le travail est loin d’être achevé. « Nous réfléchissons à la mise en place d’un vaste réseau d’essais et d’un screening variétal le plus large possible ouvrant potentiellement la porte à des travaux d’amélioration dans nos conditions de culture. La conduite culturale devra être améliorée afin de maximiser les chances de réussite », assurent les experts du Centre de recherches wallon.

Des contacts sont également pris avec les industries dans l’optique de créer une filière belge valorisant la production.

Des semis «agriculteurs» dans les campagnes

Cet automne, nombreux sont les agriculteurs qui se sont dits prêts à tenter l’aventure du blé dur sur quelques ha. À ceux-là et à tous les autres, nous souhaitons de bons semis et une belle saison 2021 », commentent les expérimentateurs du Cra-w.

Propos recueillis par M. de N. auprès de Rodrigo Meza, Damien Eylenbosch, Bruno Godin et Guillaume Jacquemin, Cra-w

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