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«La plantation de 1.000km de haies par des agriculteurs semble tout à fait réalisable»

Les haies mixtes, que l’on retrouve notamment dans les milieux ruraux, sont de véritables havres de biodiversité auxquels les agriculteurs ne sont pas insensibles, ce que confirme une enquête du Collège des producteurs. Celle-ci souligne également que si les primes à la plantation constituent une aide certaine, ce sont bien les travaux d’entretien qui freinent le développement de ce type de projet. Il n’est toutefois pas illusoire de voir les fermiers wallons planter 1.000 km de haies à l’horizon 2023.

Temps de lecture : 11 min

Dans le cadre du projet 4.000 km de haies et/ou 1 million d’arbres, le Gouvernement wallon a constitué une task force « haies » visant à identifier les freins et opportunités à la réalisation de cet ambitieux objectif. Au sein de ladite task force, plusieurs groupes de travail ont été constitués, dont un dédié à l’agriculture.

À cette occasion, le Collège des producteurs a mené une enquête auprès des agriculteurs wallons. Le but : caractériser les haies existantes et connaître les intentions de plantation des agriculteurs durant la période 2020-2023. Alain Grifnée, chargé de mission « horticulture ornementale » auprès du Collège, nous en détaille les résultats.

« L’agriculture n’est pas le seul secteur concerné », insiste-t-il d’emblée. « Les autres groupes de travail se consacrent aux communes, entreprises, parcs naturels… Tous ont interrogé le secteur qu’ils représentent afin de déterminer comment les différents acteurs de l’environnement wallon peuvent contribuer à atteindre l’objectif fixé par le Gouvernement. Sur bases des résultats obtenus, des plans d’action seront mis en place, secteur par secteur, afin de lever les freins identifiés sur le terrain. »

Des haies plus longues en bio et régions d’élevage

À l’issue de l’enquête, il apparaît que la longueur moyenne de haies par ferme atteint 1,47 km. Un chiffre similaire à celui de 1,57 km estimé en mettant en relation la longueur des haies recensées dans les déclarations pac avec le nombre d’agriculteurs actifs en Wallonie. « Globalement, les agriculteurs bio ont tendance à planter des haies plus longues (2,21 km) que les producteurs mixtes (1,21 km) et conventionnels (1,22 km) », constate M. Grifnée. 46 % des agriculteurs ayant pris part à l’enquête estiment avoir moins de 500 m de haies alors qu’ils sont près de 9 % à déclarer avoir plus de 5 km de haies sur leurs terres.

L’enquête révèle que plus la superficie de l’exploitation est grande, plus les haies sont longues. Ainsi, leur longueur dépasse fréquemment 2 km sur les exploitations de plus de 100 ha, pour atteindre près de 3 km pour les fermes s’étendant sur plus de 200 ha. À l’autre opposé, sur les fermes de moins de 25 ha, ce type d’aménagement affiche une longueur moyenne de 640 m.

L’enquête menée par le Collège des producteurs démontre que les agriculteurs  portent un intérêt fort à la biodiversité que peuvent héberger les haies.
L’enquête menée par le Collège des producteurs démontre que les agriculteurs portent un intérêt fort à la biodiversité que peuvent héberger les haies.

Un comparatif des différentes régions agricoles a également été effectué. « Les régions limoneuse et sablo-limoneuse arrivent, sans surprise, en queue de peloton. Cela s’explique par l’étendue qu’y occupent les grandes cultures. » La longueur moyenne des haies d’une exploitation n’y atteint que 520 et 550 m, respectivement. Du côté des régions d’élevage, les haies sont nettement plus longues : 2,36 km en Région jurassique, 2,51 km en Région herbagère et 3,23 km en Haute Ardenne.

2016-2019 : des disparités selon les provinces et régions agricoles

Dans un deuxième temps, le Collège des producteurs s’est intéressé aux haies plantées entre 2016 et 2019, période durant laquelle le ministre wallon de l’Agriculture et de la Nature, René Collin, a lancé le projet « 110 km haies » destiné à soutenir la plantation de ces aménagements. « 29 % des répondants affirment avoir planté des haies entre 2016 et 2019, pour une longueur totale renseignée de 78,53 km, soit une moyenne de 467 m par ferme. »

Une fois encore, la longueur moyenne des aménagements est plus élevée en bio (641 m) qu’en mixte (513 m) et conventionnel (315 m). On constate aussi que 45 % des producteurs bio ayant répondu à l’enquête affirment avoir planté des haies, contre seulement 28 % des producteurs mixtes et 22 % des producteurs conventionnels. « Les agriculteurs bio semblent montrer un plus grand intérêt pour les haies. Mais n’oublions pas que ceux-ci sont légèrement sur-représentés dans l’enquête (voir encadré) », note Alain Grifnée.

En matière de répartition géographique, près de 40 % des répondants installés en province de Luxembourg disent avoir planté des haies, contre 33 % en province de Namur, 28 % en Hainaut, 23 % en province de Liège et 22 % en Brabant wallon. C’est pourtant dans cette dernière province que les projets sont les plus longs (1,39 km, en moyenne).

Les résultats classés par régions agricoles corroborent ces chiffres : c’est en Région sablo-limoneuse, s’étendant principalement en Brabant wallon, que les haies plantées entre 2016 et 2019 sont les plus longues (1,41 km). « Outre cette région, les longueurs moyennes plantées sont supérieures à la moyenne wallonne en Ardenne (550 m) et dans le Condroz (693 m). Un grand intérêt est également observé en Région jurassique, où le nombre de planteurs parmi les répondants est très élevé », ajoute-t-il.

Le budget dédié à la plantation d’arbres et de haies s’élève désormais à 1million d’euros et grimpera jusqu’à 2millions d’euros en 2024.
Le budget dédié à la plantation d’arbres et de haies s’élève désormais à 1million d’euros et grimpera jusqu’à 2millions d’euros en 2024. - J.V.

Une fois encore, plus la ferme est étendue, plus les haies sont longues. Globalement, entre un quart et un tiers des répondants, qu’importe la superficie exploitée, sont des planteurs de haies. « On constate aussi que les agriculteurs qui sont propriétaires d’au moins 80 % de leurs terres sont les plus nombreux à mettre en place de tels projets. Les longueurs plantées sont, de même, supérieures à la moyenne wallonne. Cela n’empêche toutefois pas les autres fermiers d’aménager des haies sur leurs parcelles. »

En vue d’améliorer la biodiversité

Les raisons qui poussent les agriculteurs à planter des haies sont multiples et variées : améliorer la biodiversité (pour 40 % des planteurs), éviter les dérives de pulvérisation (9 %), par soucis d’esthétique (8 %), se protéger du vent (6 %), améliorer l’alimentation du bétail (6 %), élaborer un parcours pour volailles (6 %), clôturer (6 %), ombrager le troupeau (5 %), chasser (5 %), pour la biomasse (5 %) ou réduire l’érosion (4 %).

« Généralement, un agriculteur plante une haie pour plusieurs raisons. On observe néanmoins une grande tendance à vouloir améliorer la biodiversité. Cela prouve que le monde agricole ne se désintéresse pas de cela, contrairement à ce que l’on entend parfois. »

Seuls 21 % des agriculteurs ayant planté des haies entre 2016 et 2019 ont fait appel à une aide extérieure (parcs naturels, Natagriwal, administration…). De même, ils ne sont que 23 % à avoir sollicité une prime auprès de la Région wallonne, d’un parc naturel ou encore de la province. « Cela s’explique par le fait que les agriculteurs souhaitent garder leurs indépendances. Or, l’octroi d’une aide financière est conditionné au respect de règles strictes relatives, notamment, au maintien des haies. »

2020-2023 : des intentions de plantation très élevées

En parallèle, les producteurs wallons ont été sondés quant à leur intention de planter des haies durant la période 2020-2023, en vue de déterminer leur éventuelle participation au projet 4.000 km de haies et/ou 1 million d’arbres. « Les résultats nous ont surpris. 51 % des répondants disent avoir l’intention de planter des haies dans les quatre prochaines années, pour une longueur totale renseignée de 180,48 km, soit 673 m par exploitation, contre 467 m sur la période 2016-2019. »

Ici aussi, la longueur moyenne des aménagements est plus élevée en bio (912 m) qu’en mixte (719 m) et conventionnel (486 m). On remarque que 65 % des producteurs bio ayant répondu à l’enquête indiquent avoir l’intention de planter des haies, contre 54 % des producteurs mixtes et 37 % des conventionnels.

L’enquête démontre encore que les agriculteurs de la région jurassique sont les plus enclins à planter. « Plus de 60 % des répondants issus de cette région indiquent vouloir implanter des haies, sur une longueur moyenne de 1,04 km. Ce n’est pas la plus grande région de Wallonie, mais ces résultats sont motivants. » Dans le Condroz, région nettement plus étendue, près de 50 % des répondants sont prêts à planter, sur une longueur moyenne dépassant, ici aussi, le kilomètre (1,03 km). C’est en Région herbagère que les intentions de plantation sont les plus faibles. « Mais n’oublions pas que ces aménagements y sont déjà largement présents. »

Les résultats, reliés à la taille des exploitations, montrent sans surprise que la longueur moyenne à planter est supérieure dans les grandes fermes. A contrario, plus elles sont petites, plus nombreux sont les agriculteurs à vouloir installer des haies. Le pourcentage de terres en propriété influence proportionnellement, lui aussi, les intentions : les agriculteurs qui possèdent le plus de terres sont les plus désireux de planter.

Et Alain Grifnée de poursuivre : « Si l’on reporte les réponses de l’échantillon à l’ensemble de la population agricole wallonne, soit 12.733 personnes, les intentions de plantation permettraient d’envisager une longueur de plantation proche des 4.000 km pour la période 2020-2023. Il est néanmoins optimiste de se baser sur un passage à l’acte total, d’autant que les répondants montrent probablement un intérêt supérieur pour les haies. De manière plus réaliste, et sur base d’une hypothèse de 25 % de passage à l’acte, la plantation de 1.000 km de haies par des agriculteurs semble, quant à elle, tout à fait réalisable. »

Ajoutons que la motivation majeure des répondants pour les plantations envisagées est, de loin, l’amélioration de la biodiversité. L’évitement des dérives de pulvérisation est la seconde motivation pour les producteurs bio. Les autres raisons sont les mêmes que celles citées pour les haies plantées en 2016-2019.

Haies simple, double ou triple rang ?

Parmi les agriculteurs indiquant vouloir planter des haies, 64 % opteraient pour des haies simple rang, 23 % pour des haies double rang et 4 % pour des haies triple rang. « La principale motivation à planter est l’amélioration de la biodiversité. Or, la part de haies double et triple rang, soit les plus intéressantes pour la biodiversité, est relativement faible. Cela peut paraître étonnant, mais gardons en tête qu’en parallèle, les agriculteurs souhaitent maintenir leur surface de culture. Les atouts des haies plus larges devraient néanmoins être mieux expliqués. »

Seuls 19 % des plantations envisagées le seront au travers d’un appel aux professionnels. 64 % des agriculteurs pensent faire cette opération eux-mêmes. « Des séances d’information et de formation devraient être organisées pour les guider dans le choix des espèces et des conditions de plantation. »

La prime à la plantation, un réel incitant ?

Le Collège des producteurs s’est encore demandé si l’aide à plantation peut inciter les agriculteurs à planter davantage. Pour 43 % d’entre eux, la réponse est non. Parmi ceux-ci, 20 % avaient déjà des objectifs de plantation et ne comptent pas modifier leurs projets ; les autres 80 % n’avaient pas l’intention de planter et la prime ne les fait pas changer d’avis.

Dans le groupe des « oui » (57 % des répondants), 74 % des agriculteurs avaient déjà l’intention de planter et la prime les incite à planter davantage, tandis qu’ils sont 26 % à changer d’avis et à s’orienter vers une plantation. « Les répondants estiment par ailleurs que 74 % du coût de plantation devraient être couverts. L’aide wallonne est, justement, plafonnée à 80 %. »

Les raisons évoquées par les agriculteurs pour justifier une non-plantation, même si une aide financière est prévue, sont nombreuses : manque de temps pour l’entretien ou entretien trop coûteux, crainte de contrôles accrus, réglementations trop changeantes, haies déjà présentes en suffisance sur l’exploitation, problème de trésorerie, craintes d’être gêné par les haies ou encore démarche compliquée pour obtenir l’accord des propriétaires.

Près de 50 % de ces agriculteurs affirment par ailleurs que rien ne leur fera changer d’avis. D’autres sont prêts à revoir leur opinion si l’entretien des haies (et parfois leur plantation) est pris en charge par un tiers (13 %), si l’aide pour l’entretien est revalorisée (12 %), si les contraintes administratives sont plus souples et moins changeantes (9 %) et s’ils gardent leur liberté dans la gestion des haies (8,5 %).

« La prime a un caractère incitant pour un certain nombre d’agriculteurs, mais elle ne suffit visiblement pas. On constate même que l’entretien des haies est le véritable problème et empêche bon nombre d’agriculteurs de franchir le pas vers la plantation. Le système actuel de soutien devrait, dès lors, également inclure des mécanismes d’aides pour mener à bien l’entretien des aménagements parcellaires. »

À ce titre, 38 % des répondants se montrent intéressés par la création d’un système de mutualisation pour l’entretien (33 % s’y opposent, 29 % n’ont pas d’avis sur la question). Cela permettrait, en effet, de répartir le coût du matériel, de réduire le besoin de main-d’œuvre et la pénibilité du travail et de disposer de matériel plus performant. Ceux qui s’y opposent souhaitent garder leur autonomie, possèdent déjà le matériel nécessaire ou ne témoignent que de peu de confiance à l’égard du système.

Envisager des mesures complémentaires

« Les résultats de l’enquête incitent à penser que, sans modalités spécifiques, un système d’aide financière à la plantation orientera surtout l’augmentation des longueurs plantées chez les agriculteurs qui en ont déjà l’intention ainsi que dans les régions disposant déjà d’une plus grande densité de haies. Des mesures complémentaires semblent devoir être envisagées dès lors que des régions à faible biodiversité ou faible densité de haies seraient ciblées, et dès lors que des producteurs non sensibilisés à la question seraient ciblés. Pour ces derniers, il faudrait avoir une réflexion évaluant comment lever un éventuel blocage sociologique, résultant des divergences observées entre les mesures actuelles et celles prises voici plusieurs dizaines d’années », conclut Alain Grifnée.

Propos recueillis par J. Vandegoor

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