Plan d’action loup en Wallonie: quel accompagnement pour les éleveurs?

Le loup « Akéla », seul individu actuellement établi en Wallonie, photographié dans les Hautes-Fagnes en février 2019.
Le loup « Akéla », seul individu actuellement établi en Wallonie, photographié dans les Hautes-Fagnes en février 2019. - © Roger Herman

Le loup était présent sur l’ensemble du continent européen il y a encore 200 ans. En Belgique, le dernier loup est tiré à la toute fin du XIXe siècle. À cette période, la superficie forestière est largement inférieure à celle d’aujourd’hui et le grand gibier est quasi absent. Le pâturage ovin est omniprésent jusqu’en forêt. Des maladies zoonotiques, telles que la rage, existent encore. Les conflits avec le loup sont réguliers. L’espèce, considérée comme nuisible, est persécutée et finit par disparaître de la plupart des pays d’Europe occidentale, sauf dans certaines contrées reculées.

La Convention de Berne en 1979, puis la Directive Habitats en 1992, offrent un statut de protection au loup. Ces mesures de conservation au niveau européen permettent aux populations relictuelles de se reconstituer depuis les Abruzzes italiennes et la Pologne. Le loup revient en France en 1992 et en Allemagne en 2000. Un premier loup est filmé près de Beauraing en 2011. Neuf années plus tard les premiers louveteaux naissent à Bourg-Léopold (en Flandre). Ce retour, très progressif, est en grande partie lié au potentiel de dispersion remarquable du loup, capable, lorsqu’il quitte sa meute, de parcourir plusieurs centaines de kilomètres à la recherche d’un territoire. Ainsi la louve Naya, qui s’était installée en janvier 2018 en Flandre, a parcouru plus de 700 km depuis le territoire où elle est née en Allemagne. Son périple exact a pu être reconstitué grâce aux localisations fournies par le collier GPS dont les chercheurs allemands l’avaient équipée après capture (voir ci-dessous). Il est important d’insister ici sur le caractère naturel du retour du loup. En aucun cas il n’a fait l’objet d’une réintroduction assistée par l’homme.

Parcours de la louve « Naya » depuis le Land de Basse-Saxe jusqu’en Flandre,  soit 700 km en 2,5 mois.
Parcours de la louve « Naya » depuis le Land de Basse-Saxe jusqu’en Flandre, soit 700 km en 2,5 mois. - (données Norman Stier UDresde, infographie INBO)

Trois loups établis chez nous

Les loups actuellement établis de façon sûre en Belgique sont au nombre de trois : Akéla (juin 2018) dans le Hautes-Fagnes, August et Noëlla (août 2018 et décembre 2019) dans le Limbourg, à l’origine de la première meute belge. Tous sont de lignée germano-polonaise. Akéla est arrivé en Belgique en passant par l’Allemagne (Clèves) en février 2018 pour rejoindre ensuite les Hautes-Fagnes. Ces déplacements sur de longues distances ne se font pas sans risque. En 2019, 97 loups étaient écrasés en Allemagne, faisant de la route le principal régulateur de l’espèce. Ce nombre impressionnant d’individus victimes de collision montre à quel point la population de loups allemande est dynamique (65 meutes et couples en 2019) et présage qu’il faudra dorénavant s’attendre chaque année au passage de loups dispersants en Belgique, à la recherche d’un nouveau territoire.

Pourtant, si la Wallonie compte un seul loup établi depuis 2 ans dans les Hautes-Fagnes, huit autres individus de passage ont été détectés, parmi lesquels une seule femelle. Trois traces d’ADN ont été détectées ailleurs que dans les Hautes-Fagnes : sur les communes de La Roche (2016), Léglise (2019, avec un individu issu de la population française) et Rochefort (2020). La situation pouvant évoluer rapidement compte tenu du contexte prévalant dans les régions voisines, un plan d’action devenait nécessaire afin d’anticiper sereinement le retour de cette espèce, surtout en ce qui concerne la cohabitation avec les activités humaines. Ce plan porte sur la période 2020-2025.

En 2020, la forêt wallonne compte 200.000 ha de plus qu’au siècle passé suite aux épisodes d’enrésinement, et les populations d’ongulés sauvages sont importantes après une augmentation exponentielle depuis les années 1980. L’utilisation de la forêt a changé et le droit de pacage qui y était pratiqué a disparu. La rage a été éradiquée. A contrario, l’urbanisation est galopante et le réseau routier dense et fréquenté. C’est le contexte actuel du retour de l’espèce loup…

Les objectifs

opérationnels du plan loup

Le plan loup est décliné en quatre objectifs opérationnels. L’un d’entre eux concerne spécifiquement la protection des troupeaux et l’aide aux éleveurs.

1. Suivre la présence et l’installation des individus de loup en Wallonie

Considérant que pour protéger une espèce il faut bien la connaître, la base du plan loup repose sur un monitoring adapté. Espèce discrète par définition, chaque indice est exploité pour mettre en évidence sa présence. Il peut s’agir d’observations (photos ou vidéos, témoignages), d’analyses de proies domestiques ou sauvages, de collecte d’excréments ou de poils, etc. Chaque signalement fait l’objet d’une enquête de la part du Réseau Loup. Les résultats sont disponibles en ligne. Le réseau existe déjà depuis 2017 et est composé de l’administration (DNF et DEMNA), de scientifiques (biologistes et vétérinaires), mais également de représentants de différentes parties prenantes telles que les éleveurs, les naturalistes et les chasseurs.

La distinction entre chien et loup est effectivement primordiale puisque, une attaque sur du bétail peut donner lieu à une indemnisation par l’Etat si celle-ci est l’œuvre d’un loup (voir plus bas). Il ne faut pas négliger cette réalité qui peut surprendre car, actuellement, la plupart des attaques sur troupeaux sont l’œuvre de chiens divagants (c’est-à-dire un chien qui s’évade de son foyer pour une durée limitée, souvent de nuit). Des races de grands chiens telles que les bergers allemands, les beaucerons, les chiens-loups (tchécoslovaques ou de Saarloos) sont tout à fait capables d’attaquer du bétail sans évoquer le moindre soupçon de la part de leur propriétaire. Les petits chiens aussi (genre Jack Russel) peuvent commettre des dégâts importants. Au Royaume-Uni par exemple (où le loup est absent), les seuls chiens divagants sont responsables de la perte de 15.000 moutons par an !

2. Protéger l’espèce loup et gérer d’éventuelles situations problématiques

Ces actions relèvent essentiellement des mesures de protection prévues dans la Loi sur la Conservation de la Nature, comme pour de nombreuses autres espèces protégées en Wallonie. La période d’occupation de la tanière, au moment de la mise bas et des semaines qui suivent, nécessite une certaine quiétude pour peu que l’on puisse localiser cette tanière. À cette période l’exploitation forestière en peuplement feuillu est peu fréquente et la chasse pratiquée exclusivement à l’affût. L’exploitation forestière en résineux devra le cas échéant être adaptée localement comme c’est déjà le cas actuellement pour d’autres espèces protégées (par ex. cigogne noire). Dans la majorité des cas, il ne devrait pas y avoir de contrainte majeure pour le propriétaire ou le chasseur.

Une autre action prévoit la gestion de situations problématiques qui pourraient être rencontrées. Il s’agit essentiellement d’attaques à répétition perpétrées par un même individu à intervalles réguliers et malgré des mesures de protection adaptées, ou de comportements d’habituation vis-à-vis de l’homme liés par exemple à un conditionnement à de la nourriture volontairement distribuée. Dans ces situations bien particulières, qui seront discutées au cas par cas si elles se présentent, des mesures d’effarouchement appropriées et progressives pourront être prises par les Autorités conformément à la Loi sur la Conservation de la Nature.

3. Appuyer la protection des troupeaux en implémentant des mesures de prévention et d’indemnisation appropriées

Sur base de l’expérience des pays voisins, le retour du loup s’accompagne inévitablement de conflits avec les éleveurs, principalement ovins. La philosophie générale de cet objectif essentiel du plan est de compliquer la tâche du loup pour accéder au bétail domestique, ressource parfois plus facile à atteindre que la faune sauvage. Deux formes d’aide sont mises en place à cette fin.

–  La mise à disposition de kit de protection

La première aide est la mise à disposition, sous forme de prêt gratuit, de « kits de protection » composés de filets mobiles électrifiés (éventuellement à combiner avec un dispositif supplémentaire d’effarouchement). Ces kits sont disponibles après la réalisation d’une analyse de risque par un conseiller de Natagriwal. En cas d’attaque, celui-ci se rendra sur place pour analyser la situation des parcelles et évaluer la protection la plus pertinente à mettre en place. Si l’installation d’un kit s’avère utile, une convention de prêt sera signée et le matériel sera mis à disposition de l’éleveur. La mise en place du système de protection est à la charge du propriétaire ou du gestionnaire, mais il bénéficie des conseils de Natagriwal et, s’il le souhaite, de l’aide de volontaires de la Wolf Fencing Team. Plusieurs analyses de risque ont déjà été effectuées au cours des derniers mois et le Service Public de Wallonie a mis à disposition le matériel nécessaire. En l’absence d’attaque et en dehors d’une zone de présence permanente, Natagriwal peut également donner des conseils à titre préventif.

Type de filet électrifié prêté à un propriétaire de troupeau afin de dissuader le loup de pénétrer dans sa pâture  après deux incursions (en septembre et décembre 2019).
Type de filet électrifié prêté à un propriétaire de troupeau afin de dissuader le loup de pénétrer dans sa pâture après deux incursions (en septembre et décembre 2019). - © P. Ghiette – DEMNA

–  Le subventionnement de moyens de protection durable

Toujours sur base de cette analyse de risque, le DNF peut financer des moyens de protection durable (électrification d’une clôture existante par exemple) à hauteur de 80 % du coût d’investissement, à condition que le troupeau soit situé en zone de présence permanente de loup et que le cheptel compte au moins 10 bêtes. La mise en place du système de protection repose sur les mêmes principes que pour les kits de protection (analyse de risque par un conseiller de Natagriwal).

– Indemnisation des animaux attaqués

À côté des moyens de protection, des mesures d’indemnisation sont également prévues, que le propriétaire soit professionnel ou particulier. En cas d’attaque, la première chose à faire consiste à contacter le réseau loup pour une expertise. S’il s’agit d’un loup (de manière certaine ou probable), une indemnisation aura lieu. Le montant est déterminé par un expert indépendant, en tenant bien entendu compte de critères comme l’âge, la race ou la valeur génétique de l’animal. Toutes les espèces de rente sont prises en compte par l’indemnisation, pas uniquement les moutons. Les frais vétérinaires sont pris en charge également à concurrence de la valeur de l’animal. D’éventuels dommages aux chiens de travail seront aussi indemnisés, qu’il s’agisse de chiens de conduite de troupeaux, de protection ou de chiens de chasse (traque ou sang).

4. Assurer la sensibilisation des différents publics

Le volet communication est stratégique également pour une espèce comme le loup qui charrie son lot de fantasmes même au sein de publics avertis. En plus d’une information spécialement dédiée au grand public, de l’information plus ciblée sera organisée auprès des éleveurs, des chasseurs, des gestionnaires de milieux naturels et des naturalistes notamment. En particulier un guide de bonnes pratiques sera rédigé à l’attention des éleveurs pour les tenir à jour des moyens de protection les plus efficaces. Il est prévu de publier ce guide en 2021.

Discussion avec un éleveur lors d’une analyse de risque effectuée en mai 2020.
Discussion avec un éleveur lors d’une analyse de risque effectuée en mai 2020. - M. Halford – Natagriwal

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Si le plan loup est théoriquement sur les rails pour une période de cinq ans, il va de soi qu’il n’est pas figé. En fonction de l’évolution de la situation, il pourrait être adapté, toujours dans l’intérêt des parties prenantes et du loup lui-même.

D’après Alain Licoppe

et Violaine Fichefet

SPW-ARNE – DEMNA

Vinciane Schockert

convention ULiège – SPW

Mathieu Halford

Natagriwal

Le cas des attaques d’un loup allemand à Nidrum

Deux attaques de loup ont récemment fait grand bruit dans la région germanophone. Elles pourraient être l’œuvre du loup « Billy », originaire du Nord de l’Allemagne. Le loup dispersant a d’abord séjourné aux Pays-Bas en avril et mai, où il a attaqué 8 troupeaux ovins faisant 39 victimes. Il est ensuite passé en juin en Flandre, principalement dans la région de Turnhout, où il a attaqué des troupeaux à 5 reprises (3 fois sur moutons et 2 fois sur bovins) avant d’être aperçu début juillet dans les Fourons (Région flamande). Des attaques ont rapidement été recensées côté wallon, le 10 juillet à Nidrum (2 veaux) et le 12 juillet à Stoubach (5 moutons).

Si le prédateur des deux attaques du côté wallon est assurément un loup de la population allemande, un doute subsiste quant à son identité précise car, en raison de la faible qualité de l’ADN prélevée sur les proies, les analyses génétiques n’ont malheureusement pas permis de confirmer qu’il s’agissait du même animal. Cette hypothèse est toutefois probable car le modus operandi de ce loup coïncide bien avec celui renseigné par les scientifiques des régions voisines. En outre, d’autres attaques sont survenues dès la mi-juillet à la frontière belge, du côté allemand (région de Bitburg), c’est-à-dire dans la suite logique de son parcours. L’analyse génétique de la salive prélevée sur ces dernières attaques a permis de confirmer qu’il s’agissait bien de Billy.

Ce qui est évident, c’est que contrairement aux autres loups qui ont visité la Wallonie depuis 2016 (et notamment Akéla qui, en plus de 2 ans dans les Hautes Fagnes, n’a commis que quelques rares attaques sur troupeaux domestiques générant un faible nombre de victimes), cet individu montre une attirance anormalement importante pour les proies domestiques. Un tel comportement atypique, avec attaques sur bovins, en étable, n’était jamais survenu en Wallonie et est heureusement relativement peu courant dans les pays voisins. Il a, à juste titre, créé l’émoi dans l’Est de la Belgique durant l’été. Il ne faut toutefois pas conclure que tous les individus de cette espèce se comportent de la sorte. Le fait qu’il s’agit d’un animal en dispersion, s’arrêtant rarement deux fois au même endroit et dont les déplacements sont impossibles à anticiper, rend son contrôle très difficile. Si « Billy » est loin à présent, il n’empêche que la Région souhaite pouvoir encadrer de telles situations problématiques au mieux, en soutien aux éleveurs, et dans la mesure du possible.

C’est pourquoi le SPW n’a pas tardé à réunir une première série d’acteurs impliqués dans le volet « effarouchement » du plan loup. En outre, pour échanger sur ces différentes situations dans l’Est de la Belgique et rappeler l’aide qui peut être apportée par le SPW aux éleveurs, des réunions sont également envisagées d’ici les prochaines semaines avec des représentants du monde de l’élevage.

A noter que les deux demandes d’indemnisation relatives aux attaques wallonnes sont en cours de traitement, notamment pour estimer le montant des dommages par l’expert agréé.

Le direct

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