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Le point juridique sur les contrats d’achat entre producteur de pommes de terre et industriel

Alors que les arrachages ont commencé, il est opportun de de faire le point sur l’évolution de la jurisprudence et de la doctrine en matière de contrat d’achat des pommes de terre.

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Commençons par rappeler les données du problème. Les contrats de vente de pommes de terre par un fermier producteur à un industriel acheteur imposent au fermier vendeur de produire les pommes de terre sur ses champs.

Les champs sont identifiés, le producteur doit se conformer aux normes Végaplan imposées par l’acheteur et celui-ci a le droit de suivre l’évolution de la récolte et de contrôler le respect des normes imposées.

L’agriculteur producteur s’engage à vendre un tonnage déterminé à un prix déterminé et à la période déterminée.

L’acheteur prend livraison de la quantité nette contractuelle fixée, déduction faite des pommes de terre difformes, des pommes de terre pourries, des pierres et autre défaut interne.

Le contrat impose au producteur de produire et de vendre la quantité contractée et exclut toute cause de force majeure, même vérifiée, ayant empêché le fermier de produire la quantité convenue.

À défaut de livraison de la quantité convenue, l’acheteur a le droit de s’approvisionner sur le marché national et a le droit de réclamer au fermier la différence de prix entre le prix fixé contractuellement et le prix d’achat des pommes de terre sur le marché national.

Quelles furent récemment les positions adoptées par le producteur et l’acheteur ?

La saison 2018 fut caractérisée par une sécheresse exceptionnelle constatée dans la plupart des cas par les commissions de dégât aux cultures ayant conclu à une perte de production de 30 à 60 %.

Cette perte de production due aux conditions climatiques exceptionnelles empêchait l’agriculteur producteur de livrer la quantité convenue.

Sommé néanmoins par l’industriel acheteur de livrer la quantité convenue, le fermier producteur invoqua alors le prescrit des articles 1147 et 1148 du Code civil portant que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée puisqu’il s’agit d’une sécheresse exceptionnelle s’apparentant à un cas de force majeure.

L’industriel acheteur contesta cette motivation soutenant que la force majeure est exclue par le contrat d’achat et ne peut s’appliquer dans le cas de marchandises génériques puisque le vendeur est toujours en mesure d’approvisionner sur le marché national, même si cela est plus onéreux pour lui, afin de respecter ses obligations de livraison.

À défaut de livraison, l’acheteur menaçait de s’approvisionner sur le marché national et de facturer au fermier la différence de prix entre le prix fixé contractuellement et le prix payé sur le marché national.

Les fermiers producteurs adoptèrent plusieurs positions :

– certains fermiers payèrent purement et simplement cette différence de prix à l’acheteur ;

– d’autres marquèrent leur accord sur cette différence de prix, mais échelonnèrent le paiement sur plusieurs saisons en diminuant la hauteur des prix de vente contractés par rapport au prix usuel pratiqué dans les contrats de vente ;

– une autre catégorie de producteurs convint d’une transaction en proposant à l’acheteur de diminuer la pénalité ;

– enfin, certains agriculteurs résistèrent et s’engagèrent dans une procédure judiciaire puisque l’acheteur assignait les producteurs à comparaître devant les tribunaux de l’ordre judiciaire pour entendre condamner ceux-ci au paiement des fameuses pénalités convenues, consistant dans la différence de prix entre le prix convenu et le prix d’achat sur le marché national.

Ces pénalités étaient importantes et atteignirent des montants très importants s’élevant entre 30.000 et 80.000 €, voire davantage.

La sécheresse exceptionnelle de la saison 2018 constatée dans nombre de commissions de dégât aux cultures avait conclu à une perte de production de 30 à 60%.
La sécheresse exceptionnelle de la saison 2018 constatée dans nombre de commissions de dégât aux cultures avait conclu à une perte de production de 30 à 60%. - M. de N.

La réponse des tribunaux et cour d’appel et quel est l’état actuel de la jurisprudence ? La condamnation…

Les tribunaux de première instance néerlandophones et la Cour d’appel de Gand, dans un arrêt du 20 janvier 2014, donnèrent raison à l’acheteur et condamnèrent le fermier à payer la pénalité convenue, outre les frais et dépens de l’instance.

Le tribunal de l’entreprise de Mons a eu la même attitude, s’appuyant sur l’arrêt rendu par la 7e chambre de la Cour d’appel de Gand.

La motivation, tant des tribunaux que de la Cour, contenait que le contrat de vente de pommes de terre engendrait une obligation de résultat assimilant le contrat à un contrat de vente pur et simple en considérant que les pommes de terre étaient des marchandises génériques.

Dans la mesure où la Cour et les tribunaux d’instance considéraient que les contrats devaient être considérés comme des contrats de vente de marchandises génériques, la force majeure était exclue.

Les tribunaux d’instance et la Cour soutenaient en fait que le fermier était toujours en mesure de s’approvisionner sur le marché puisqu’il s’agissait d’un contrat de vente pur et simple.

Les fermiers producteurs soutenaient eux que le contrat conclu engendrait une obligation de moyens, et par voie de conséquence ils soutenaient que la force majeure pouvait s’appliquer eu égard au fait qu’ils avaient mis tout en œuvre pour produire les pommes de terre.

Les agriculteurs apportaient la preuve des moyens mis en œuvre pour produire la quantité convenue et s’appuyaient sur les procès-verbaux des commissions de dégâts aux cultures mentionnant les superficies de production et les pourcentages de perte.

Comme dit ci-avant, la motivation des producteurs ne fut pas retenue par les tribunaux d’instance néerlandophones, le tribunal de l’entreprise de Mons et la cour d’appel de Gand.

… sauf…

Et c’est un renversement actuel de la jurisprudence, le tribunal de l’entreprise de Gand, division Audenarde, dans un jugement rendu le 30 juin 2020 s’écarta complètement de la jurisprudence de la Cour d’appel de Gand.

Le tribunal de l’entreprise de Gand, division Audenarde, va examiner le dossier en relevant que le contrat dépasse la volonté des parties puisqu’il n’est en aucune manière tenu compte des conséquences qui sont accordées par l’équité, l’usage ou la loi selon la nature à un engagement.

Dans son appréciation, le tribunal de l’entreprise de Gand, division Audenarde, dans son jugement du 30 juin 2020, relèvera que le gouvernement flamand, mais ce fut le cas en Wallonie également, a reconnu le 26 octobre 2018 la sécheresse de l’été 2018 comme une catastrophe agricole.

Au niveau européen, poursuit ensuite le Tribunal, il a ensuite été promulgué la directive (UE)-2019/633 par le Parlement européen et le Conseil du 17 avril 2019 en matière de pratiques commerciales malhonnêtes dans les relations entre des entreprises dans la chaîne agricole et d’approvisionnement alimentaire. Il y est déclaré que : « dans la chaîne agricole et d’approvisionnement alimentaire, il se produit souvent d’importants déséquilibres dans la position de négociation entre fournisseurs et acquéreurs de produits agricoles et alimentaires. Ces déséquilibres, en ce qui concerne la position de négociation mènent à des pratiques commerciales malhonnêtes lorsque des partenaires commerciaux plus grands et plus puissants essaient d’imposer certaines pratiques ou règlements contractuels qui, en rapport avec une transaction de marché, leur sont avantageux ».

Semblables pratiques peuvent être, par exemple : déroger fortement à une bonne conduite commerciale, agir contrairement à la bonne foi et un agissement honnête et qui sont imposées unilatéralement par un partenaire commercial à un autre partenaire, imposer un transfert injustifié et disproportionné du risque économique d’un partenaire commercial à un autre partenaire commercial ; ou imposer un déséquilibre important entre droits et obligations à un partenaire commercial. Ces pratiques peuvent être manifestement malhonnêtes, même si elles sont convenues par les deux parties.

Cette directive européenne pose en outre que, pour lutter contre des pratiques qui s’écartent fortement d’une bonne conduite commerciale, qui sont contraires à la bonne foi et un traitement honnête et qui sont imposées par un partenaire commercial unilatéralement à un autre partenaire commercial, elle établit une liste minimum de pratiques commerciales malhonnêtes interdites dans des rapports entre acheteurs et fournisseurs dans la chaîne agricole et produits alimentaire ainsi que des règles minimum pour le maintien de ces dispositions d’interdiction et règlements pour la coordination entre les autorités de maintien.

La loi du 4 avril 2019 portant modification du Code de droit économique relativement à l’abus de dépendance économique décrit les clauses illégitimes et pratiques malhonnêtes de marché entre entreprises. Elle stipule dans l’article 4 (article 4, entrée en vigueur 1-6-2020) le livre IV, titre 1 chapitre I du même code, joint à la loi du 3 avril 2013, et dans un article IV-2/1 libellé comme suit : « il est interdit dans le chef d’une ou plusieurs entreprises de faire un abus d’une position de dépendance économique dans laquelle se trouvent une ou plusieurs entreprises, par lequel il peut être porté atteinte à la concurrence sur le marché belge intéressé ou une partie intrinsèque »

II est question d’abus lors de l’imposition directe ou indirecte de prix d’achat ou vente inéquitables ou d’autres conditions contractuelles inéquitables.

Il est encore ajouté dans l’article 16 de la loi du 4 avril 2019 au Code de droit économique, l’article suivant : Art. VI 91/3 § 1 : « Pour l’application de cet article, est illégitime chaque clause d’une convention conclue entre entreprises, qui seule ou de connexité avec une ou plusieurs autres clauses, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties. »

Pour l’appréciation du caractère illégitime d’une clause d’une convention sont prises en considération toutes les circonstances gravitant autour de la conclusion de la convention, l’économie générale de la convention, tous les usages commerciaux en vigueur, ainsi que toutes autres clauses de la convention ou d’une autre convention dont celle-ci dépend au moment où la convention est conclue, en tenant compte de la nature des produits auxquels cette convention se rapporte.

Après rappel des directives européennes et des articles 1134 et 1135, le Tribunal dans son jugement exemplaire a estimé que le fermier producteur pouvait alléguer la force majeure comme justification pour la non-exécution de l’engagement de résultat conformément au principe précité de loyauté et équité.

En conclusion, le Tribunal de Commerce de Gand, division Audenarde, a estimé qu’en application des articles précités ainsi qu’en application des articles 1302, 1147, 1134 et 1135 du Code Civil, le fermier producteur dans la cause pendante devant le Tribunal de Commerce de Gand, division Audenarde, était libéré de l’engagement en vue de la livraison des quantités supplémentaires de pommes de terre en exécution de la convention litigieuse.

Ce jugement est extraordinairement bien motivé à notre sens et remet un peu les pendules à l’heure !

Mais il y a plus

Et c’est ici que l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire vient au secours des agriculteurs producteurs… Une fois n’est pas coutume !

Interrogé par une fermière concernant la légalité de l’achat de pommes de terre sur le marché national par des fermiers, l’agence a répondu en date du 1er octobre 2020 comme suit : « Selon l’arrêté royal du 16 janvier 2006, arrêté royal fixant les agréments, les autorisations et les enregistrements préalables délivrés par l’agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire, un opérateur ne peut exercer une activité dans un établissement ou à partir d’un établissement que s’il est préalablement agréé, autorisé ou enregistré par l’agence. »

Or, le négoce de pommes de terre (achat et revente à des opérateurs professionnels) est une activité qui fait l’objet d’une autorisation par l’Afsca.

La quasi-totalité des fermiers producteurs ont une activité enregistrée « grande culture » qui permet uniquement la vente des produits de leur propre production et nullement des pommes de terre achetées sur le marché national ou à un autre agriculteur.

Si le fermier producteur ne dispose pas de cette autorisation délivrée par l’Afsca et ne dispose que d’une activité enregistrée « grande culture », il ne peut pas acheter sur le marché national et il ne peut pas acheter à un autre agriculteur pour revendre.

À défaut de respecter le prescrit dudit arrêté royal, le fermier contrevenant peut être sanctionné par la perte de toutes ses primes agro-environnementales.

Conformément à cet arrêté royal du 16 janvier 2006, la motivation des tribunaux d’instance et de la cour d’appel de Gand était illégale puisqu’aucun fermier non enregistré préalablement par l’Agence ne peut acheter sur le marché national.

Enfin et nous pouvons en terminer ainsi, l’acheteur, dans la plupart des cas, ne prouve pas qu’il a eu un dommage.

L’acheteur se contente de transmettre au fermier vendeur une information selon laquelle il a acheté telle quantité de pommes de terre sur le marché national à un tel prix dépassant le prix contractuel.

La plupart du temps l’acheteur ne prouve pas qu’il a payé le prix mais surtout n’établit pas la réalité de son dommage en prouvant qu’il avait revendu les pommes de terre contractées à un prix supérieur au prix convenu mais à un prix inférieur au prix d’achat sur le marché national.

Et cela l’acheteur ne le prouve pas et n’établit pas ainsi son dommage.

Bon à retenir

Le présent article a pour but de donner un éclairage juridique et de permettre aux fermiers producteurs d’éviter de véritables drames financiers. À notre sens il suffirait d’ajouter dans tous les contrats que le contrat devra être respecté sauf cas de force majeure constatée contradictoirement ou selon les procès-verbaux de constat de la commission de dégâts aux cultures.

Maîtres Louise et Henry Van Malleghem

, avocats au barreau de Tournai

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