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Le cheval de trait en maraîchage: une interface qualité entre l’homme et la terre

La crise sanitaire que nous traversons a provoqué des changements de comportement dans nos habitudes de consommation. Contraint par la limitation des déplacements, par l’interdiction des fortes concentrations humaines et par les pénuries en grandes surfaces, le consommateur s’est davantage tourné vers les produits locaux et les circuits courts. Parmi eux, les productions maraîchères où le cheval de trait constitue fréquemment une source d’énergie renouvelable. En témoignent, deux maraîchers professionnels.

Temps de lecture : 7 min

Le phénomène n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années en Wallonie, le nombre de maraîchers professionnels utilisant le cheval de travail dans leurs exploitations va grandissant. À ceux-ci, il faut ajouter quelques prestataires de services au cheval de trait qui interviennent épisodiquement dans les maraîchages en tant que sous-traitants.

Tout au cheval

Benoît Redant et sa compagne, Mélanie, sont installés à Jallet, dans la commune de Ohey depuis 2013. Le maraîchage s’étend sur une superficie d’1,5 ha. Les légumes sont commercialisés à raison de 2 jours par semaine sur les marchés locaux d’Andenne et de Huy.

« Benoît Redant, maraîcher bio en traction animale », c’est la messagerie d’accueil que vous entendrez lorsque Benoît ne peut répondre au téléphone. L’entreprise de maraîchage baptisée « As Vèyou l’porê ? », est labellisé bio : un gage de qualité qui répond à une demande croissante. D’autre part, la traction animale y est la seule source d’énergie motrice. Exit la mécanique motorisée. Le Ptit gris, tracteur emblématique ancestral, fut autrefois acteur de travaux dans les plates-bandes de Jallet mais aujourd’hui, il cherche amateur car il est à vendre.

La traction animale fut d’abord introduite par des ânesses qui ont rapidement laissé place au cheval pour raison de meilleure productivité. Callan, le cheval de trait hongre Ardennais de 15 ans, évolue dans les parcelles maraîchères journellement. Benoît en très satisfait et envisage aujourd’hui l’acquisition d’un deuxième cheval. « L’énergie équine est ma seule source d’énergie dans le maraîchage » explique Benoît, qui précise : « Callan est sollicité pour le labour, la reprise de labour, la préparation des semis, l’épandage de fumier, le transport, l’arrachage de pomme de terre, le désherbage, le buttage… et bien sûr, Callan et les ânes, fournissent l’engrais organique »

Les outils de traction chevaline utilisés sont très variés et tous adaptés à la traction équine, soit en traîne directe pour le labour, le hersage ou encore le butage ou en traîne indirecte à l’aide d’un avant-train entre autres pour l’épandage du fumier. Parmi le matériel présent chez Benoît, la kassine, du fabricant français « Prommata ». On la retrouve fréquemment chez les maraîchers en traction animale. Elle consiste en une structure métallique centrale de base sur laquelle plusieurs outils mono-rang interchangeables peuvent être adaptés très facilement et rapidement sans outillage particulier. Benoît en possède plusieurs exemplaires.

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Des prix maîtrisés

Le maraîcher n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. Il remet sans cesse son activité en question. Comment améliorer mon travail, comment être plus efficace, quelle culture pour quel besoin sont quelques questions qu’il se pose en permanence. Il n’est pas étonnant de l’entendre dire « Je prévois d’utiliser un nouvel outillage plus performant pour les cultures de légumes : le Bucher, une structure centrale sur laquelle divers outils multi-rangs peuvent être adaptés aisément. Pour le semis du blé destiné à la fabrication de farine Bio, j’envisage l’utilisation d’un semoir à traction chevaline ».

Certes le maraîchage bio est contraignant et exigeant mais il est aussi rémunérateur. Les consommateurs sont demandeurs de légumes dont ils ont la garantie d’être exempts de produits de synthèse. Cette demande croissante autorise Benoît et Mélanie à appliquer des prix dont ils estiment être le juste prix. « Je décide du prix de mes produits, on ne me les impose pas » fait remarquer le maraîcher qui ajoute « Je vends mes produits, on ne me les achète pas ». Suivez son regard : on est loin, très loin de la pac et des effets pervers de la mondialisation.

Labour d'hiver avec charrue brabant chez Benoît Redant.
Labour d'hiver avec charrue brabant chez Benoît Redant.

Le temps : le plus grand concurrent

Derrière Pétula, Sarah disparaît en un clin d’œil. Mais le timbre de voix de la jeune femme donne à la jument de trait Ardennaise l’indication précise du mouvement. Sur cette colline de Comblain-au-Pont, embellie par l’horizon boisé, la sérénité des lieux invite à prendre le temps. Mon regard s’étonne du pas, juste, délicat et précis du cheval évoluant entre les buttes. Sarah prononce les mots justes et concis pour inviter la jument à reprendre la ligne suivante. La tête de Pétula, caractéristique de la race Ardennaise, semble sourire et se moquer de mon étonnement à ne voir aucun légume piétiné.

« Mon plus grand concurrent c’est le temps » indique Sarah Remy, qui explique : « Les gens ne prennent pas le temps de venir découvrir les produits maraîchers et les maraîchages. Ils se tournent vers les grandes surfaces pour gagner du temps même s’ils savent que la qualité n’y est pas ». Sarah ajoute : « Avec le confinement et les restrictions qui ont suivi dans les grandes surfaces, les consommateurs ont eu le temps de venir découvrir mon activité et ils ont pris goût à mes produits. Ils ont pris le temps et cela m’a amené davantage de clients. »

Le tracteur, non merci

Sarah Remy est installée en production maraîchère à Comblain-au-Pont depuis 2014, au « Jardin de la Fouarge ». « La mécanique, ce n’est pas mon truc » m’a-t-elle plusieurs fois répété et dès qu’elle a envisagé son projet de maraîchage, elle savait que ce serait en traction animale. Sa formation maraîchère l’ayant amené à la conduite d’ânes ; elle avait logiquement prévu d’introduire la traction asine dans son activité. Mais l’histoire a voulu que Pétula, jument de trait ardennaise, devienne sa partenaire de travail car elle a pu bénéficier de soutiens régionaux et communaux à la condition d’utiliser le cheval de trait dans son maraîchage.

Alors âgée de 1 an, Pétula commença son débourrage chez Simon Abraham, lui-même expérimenté en traction équine dans le maraîchage. Aidée aussi par Marc Guillaume, meneur chevronné, Sarah perfectionna son métier chez Simon tout en évoluant aux côtés de Pétula.

« Avec Pétula, une magie s’est véritablement opérée. Je m’y suis attachée et rien ne me fera revenir en arrière, surtout pas la mécanisation » confie Sarah. De son expérience asine, elle évoque : « Le cheval est plus maniable et plus précis en ce sens qu’il répond plus efficacement aux ordres. L’âne est souvent mené aux guides, ce qui exige communément d’être deux ; l’un pour mener l’animal, l’autre pour guider l’outil  ».

Chez Sarah, la surface maraîchère s’étend sur 60 ares et il est question d’agrandir d’un hectare supplémentaire. Trois canaux permettent d’écouler la production : un marché local à raison d’un jour par semaine, une vente hebdomadaire sur place et des ventes chez des restaurateurs (lorsque ceux-ci ne sont pas dans l’obligation de fermer leur établissement bien entendu).

La surface maraîchère est principalement travaillée avec la kassine. « C’est un matériel qui me convient très bien : il est maniable, avec des outils facilement interchangeables. Il est parfois un peu trop léger pour s’enfoncer suffisamment dans le sol mais j’en suis globalement satisfaite » commente Sarah.

La jument a labouré la surface la première année ; depuis, le sol est couvert d’engrais verts ou bâché en période hivernale et à l’entame de la saison, le sol est griffé, passé au vibroculteur puis butté. Les buttes sont désherbées régulièrement et lorsqu’une culture est terminée, elles sont égalisées, le sol retravaillé et à nouveau butté.

La pandémie de la Covid-19 nous a donné du temps pour stimuler nos besoins en produits alimentaires de qualité, en l’occurrence en produits maraîchers. Le cheval de trait y joue un rôle majeur à plus d’un titre. Sa présence sur les maraîchages donne une connotation positive et rassurante sur les méthodes de production maraîchère. Il est en quelque sorte une garantie de respect. Respect du sol, de l’air, du silence, de l’homme et de la vie. Il est un gage de qualité. Il est une interface qualité entre l’homme et la terre. Puisse le consommateur s’en souvenir au-delà de cette pandémie ravageuse.

Pour aller à leur rencontre :

Sarah Remy : Le jardin de la Fouarge, Rue de Fy 15 à Comblain-au-Pont ; www.jardindelafouarge.com/

Benoît Redant : As vèyou l’porê ?, Tige du Chenu, à Jallet ; www.face-

book.com/asveyoulpore.be/

Valère Marchand

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