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«La Belgique accorde davantage d’importance au bien-être des lapins que ses voisins»

À Lichtaert, en province d’Anvers, Luc et Mia Buyens-Vermissen sont à la tête d’un élevage de lapins depuis 1985, année de construction de leur première étable. Si celle-ci ne comptait initialement que 450 lapines reproductrices, le couple élève aujourd’hui 1.400 mères et dispose de trois bâtiments.

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La Belgique recense 16 éleveurs de lapins qui, ensemble, ne satisfont que 20 % de la consommation intérieure en viande de lapin. « Toute la production est commercialisée sur le territoire national, mais cela ne suffit pas. Le manque est acheté à l’étranger, auprès de pays voisins », explique Luc. « Cependant, les règles en matière de bien-être animal y sont moins strictes et, par conséquent, la viande moins coûteuse… Heureusement, des accords existent avec la plupart des supermarchés pour n’y commercialiser que de la viande de lapins élevés en parcs. »

En parcs enrichis, pour l’épanouissement

Les règles concernant le logement des lapins sont strictes en Belgique. Depuis 2016, l’engraissement en cage est interdit, ce qui a impliqué de nombreux changements pour les éleveurs. Désormais, les lapins doivent être élevés dans des parcs enrichis, dont le sol est couvert de repose-pattes, zones de confort ou tapis. Le toit des parcs est ouvert, et chaque logement est pourvu de matériel d’enrichissement (plates-formes, matériels à ronger, tunnels et autres abris).

Un délai supplémentaire a été accordé aux éleveurs qui, avant le 1er  janvier 2016, avaient déjà mis en place des cages aménagées. Ils sont en effet autorisés à conserver ces logements jusqu’au 31 décembre 2024, date à laquelle ils devront se conformer à l’utilisation de parcs aménagés.

« De notre côté, nous disposons de trois bâtiments ; deux pour la reproduction et un pour l’engraissement. Toutes les trois semaines, nous conduisons un groupe de lapereaux sevrés depuis un site de reproduction vers le site d’engraissement. Ce qui nous prend un certain temps… », poursuit l’éleveur.

Le bien-être animal, un important point d’attention

Chez Luc et Mia, les lapins en engraissement vivent en parcs enrichis. Les lapines reproductrices et leurs portées sont toujours hébergées en cages aménagées. Dès 2025, celles-ci devront également prendre place dans des parcs enrichis.

Outre les parcs enrichis, on retrouve des parcs mixtes. Après le sevrage, les jeunes de plusieurs mères sont regroupés dans un grand parc, en supprimant toute cloison de séparation. Ils disposent ainsi d’un espace de vie et d’exercice plus étendu. Cela permet de regrouper les activités de reproduction et d’engraissement dans un même bâtiment. Le travail est également plus aisé, car il suffit de déplacer les lapines reproductrices plutôt que leurs jeunes.

Ces lapereaux, qui n’ont que quelques jours, sont regroupés dans une cage aménagée.
Ces lapereaux, qui n’ont que quelques jours, sont regroupés dans une cage aménagée. - S.N.

Le couple s’est forgé un avis positif sur ces parcs mais déplore que l’association de défense des animaux Gaia souhaite que les mères restent, elles aussi, en groupe durant une courte période. L’association soutient que les lapines ont besoin de contacts sociaux supplémentaires, mais les éleveurs en doutent. « Nous avons testé cela dans notre exploitation, à petite échelle. Jusqu’à présent, nous n’y voyons aucun avantage. »

Les reproductrices se montrent agressives les unes envers les autres et vis-à-vis des jeunes. Résultats : 70 à 80 % des lapins se blessent durant cette vie de groupe, ce qui peut entraîner des inflammations et infections chez certains sujets. Les mères accorderaient également moins d’attention à leur portée. Cela se traduit par un poids plus faible des lapereaux au sevrage et un accroissement de la mortalité. En raison de l’agitation et de la courte période de récupération à laquelle sont soumises les lapines, la portée suivante serait plus irrégulière et les lapereaux présenteraient des poids à la naissance inférieurs.

« Garder les lapins en bonne santé est une préoccupation quotidienne qui influence fortement les résultats de notre exploitation. »

« Gaia souhaite introduire ce système pour accroître le bien-être des animaux, mais ce n’est pas ce que nous observons en pratique. Au contraire, les agressions et blessures ne font qu’aggraver la situation. En Flandre, l’Ilvo mène actuellement une étude visant à évaluer les différents effets des logements collectifs. La législation devrait évoluer une fois que les résultats, attendus pour 2022, seront connus. »

Trouver un repreneur

Luc et Mia, âgés respectivement de 59 et 60 ans, ne savent pas encore s’ils investiront dans de nouvelles infrastructures s’ils y sont contraints. « Nous avons trois enfants, mais aucun ne souhaite reprendre nos activités. Mia pourrait prendre sa pension en 2023 et moi, en 2027 », détaille Luc.

« Bien sûr, nous souhaitons que notre activité perdure, mais nous devons trouver un repreneur hors de la famille. Dans notre secteur, ce n’est pas évident… Un membre de notre équipe souhaite prendre la relève mais comme l’élevage de lapins demeure peu connu, la banque hésite à lui accorder un prêt. De notre côté, nous espérons qu’il nous succédera. »

Faire face aux aléas des marchés

Reprendre une activité, c’est d’ailleurs quelque chose que Luc et Mia connaissent. Ils ne se sont pas immédiatement tournés vers l’élevage de lapins mais tous deux ont grandi dans le milieu agricole. Elle s’est toutefois orientée vers des études de chimie tandis que lui est ingénieur industriel en agronomie. Après avoir travaillé deux ans dans l’industrie pétrochimique, Mia a perdu son poste. À la recherche d’un nouvel emploi, elle s’est intéressée à l’élevage de lapins de ses parents. Elle a alors proposé à Luc de créer leur propre activité.

Les parcs aménagés sont pourvus de matériels d’enrichissement, tel le tuyau que nous montre Luc.
Les parcs aménagés sont pourvus de matériels d’enrichissement, tel le tuyau que nous montre Luc. - S.N.

Deux semaines plus tard, le jeune couple introduisait ses demandes de permis. Un an plus tard, soit fin 1985, la construction du premier bâtiment, sur un terrain appartenant aux parents de Luc, était terminée. Les premiers lapins sont arrivés au mois de janvier suivant.

Luc a combiné l’élevage avec son métier d’enseignant en établissement agricole durant trois ans, jusqu’à l’édification d’un second bâtiment. En 1993, le couple s’attelle à construire sa maison mais fait rapidement face, en 1994, à un effondrement des cours du lapin sur les marchés. Pour garder la tête hors de l’eau, l’éleveur a repris un emploi à l’extérieur. Durant quatre ans, il a représenté une firme produisant des aliments pour lapins. Une profession qu’il a également exercée entre 2006 et 2019, à la demande de son ancien employeur. « En 2006, nous avons aussi acheté la porcherie de mes parents qui se trouvait sur le même terrain. Nous l’avons transformée, toujours dans le but d’y élever des lapins. »

Conduite en bande et insémination artificielle

« À nos débuts, nous avons privilégié la reproduction naturelle. Mais cela prenait beaucoup de temps… Les accouplements se faisaient trois jours par semaine et chaque lapine se trouvait à un stade différent du cycle de reproduction », détaille Luc. « Aujourd’hui, je peux affirmer que ce n’était pas la meilleure manière de procéder. Nous sommes parmi les premiers en Belgique à nous être tournés vers l’insémination artificielle. »

Luc et Mia sont à la tête de leur élevage depuis 35ans mais sont aujourd’hui confrontés à la difficulté de trouver un repreneur.
Luc et Mia sont à la tête de leur élevage depuis 35ans mais sont aujourd’hui confrontés à la difficulté de trouver un repreneur. - S.N.

En optant pour la conduite en bande, toutes les mères sont inséminées le même jour. Ainsi, les phases de mise-bas, sevrage, engraissement et abattage se déroulent simultanément pour tous les animaux. « Cela facilite grandement le travail. »

La Belgique, un pays à la pointe

« La réglementation belge est en avance de plusieurs années lorsque l’on voit ce qui se fait chez nos voisins. Les nouvelles normes de logement en vigueur chez nous sont le fruit de longues négociations avec Gaia. Il s’agit d’un compromis entre amélioration du bien-être animal et ce qui était faisable, en pratique, dans les élevages. Au fil des années, cette évolution de la législation a été source de surcoûts pour les éleveurs, ce qui explique pourquoi notre viande est plus chère. »

Selon Luc, les investissements effectués portent maintenant leurs fruits. « Nous devions avoir la certitude que notre viande trouverait toujours preneur, malgré la hausse des prix. C’est pourquoi nous avons consulté la grande distribution, en présence de Gaia. »

« Les supermarchés ont accepté de commercialiser principalement de la viande de lapins élevés en parc enrichi. Cela nous permet de sécuriser nos ventes, car la plupart de nos voisins travaillent encore avec des cages d’engraissement. De cette façon, l’investissement a été moins douloureux. » Seuls les Pays-Bas ont déjà largement adopté les parcs enrichis. En effet, la quasi-totalité de leurs lapins est abattue en Belgique. Nos voisins hollandais ne disposent pas d’abattoir pour les lapins alors que nous disposons de deux infrastructures adaptées.

Un secteur attractif

« De manière générale, nous avons gagné correctement notre vie grâce à l’élevage », poursuit Mia. « Car nous sommes des entrepreneurs ; c’est dans notre sang et nous aimons notre travail. Notre regard est toujours tourné vers l’avenir, et il n’en est pas autrement lorsque l’on parle de lapins. »

L’éleveuse continue : « Nous sommes libres dans l’organisation de notre travail. Le matin, nos journées débutent entre 8 et 9 heures et, si besoin, nous pouvons entamer le travail quelques heures plus tard. Alors que dans une ferme laitière, l’heure de la traite a sonné lorsque les pis sont remplis. En outre, l’élevage de lapins est peu exigeant physiquement, bien qu’il le soit en main-d’œuvre. Les nuisances olfactives et auditives sont, quant à elles, minimes ».

Plusieurs défis à relever

« Ces dernières années, les changements de législation ont été un grand défi pour notre secteur », soupire-t-elle. « J’espère que les règles relatives à l’hébergement des lapins n’évolueront plus aussi rapidement après 2024. »

« La situation sur les marchés évolue de jour en jour », poursuit Luc. « L’été est une très mauvaise période pour les éleveurs. La consommation de viande de lapin chute durant les mois les plus chauds et les livraisons sont payées sous les coûts de production, car les congélateurs des abattoirs sont remplis. Nous prenons généralement nos vacances durant cette saison. Les ventes sont meilleures en automne, mais c’est au printemps que les animaux sont les plus fertiles. L’élevage de lapin, c’est en quelque sorte un défi. »

« En matière de santé animale, nous recevons peu d’accompagnement », ajoute Mia. « Nous sommes responsables du cycle de vie complet de nos animaux. Il n’y a aucun système d’intégration comme on peut le voir dans le secteur de la volaille. Peu nombreux sont les vétérinaires à avoir de bonnes connaissances de l’élevage de lapins. Généralement, nous amenons nous-mêmes les sujets malades dans un laboratoire de recherche. Garder les lapins en bonne santé est une préoccupation quotidienne qui influence fortement les résultats de notre exploitation. »

D’après Sanne Nuyts

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